Seconde partie de notre entretien avec Philippe Pujol, auteur de « La fabrique du monstre » (Les Arènes). Le journaliste aborde les thèmes du clientélisme et de la politique à Marseille.
Dans le clientélisme, vous parlez beaucoup des syndicats avec Force Ouvrière.
Philippe Pujol: Le clientélisme syndical avec Force Ouvrière, dont la Cour des Comptes a parlé, est important. De nombreux rapports disent que FO a une présence trop intime avec les institutions. Eux font les effarouchés mais c’est du bluff. Tout est légal mais c’est étrange. Ils sont partout et font donc ce qu’ils veulent. Defferre les tenaient, maintenant ils tiennent Gaudin. Si ce n’est pas illégal, ce n’est pas très moral. Cette hégémonie a été dénoncé par plein de monde et elle va perdurer.
[pullquote]FO : Ils ne sont même pas en danger mais qu’ils arrêtent de se moquer des gens.[/pullquote] Ils ne sont même pas en danger mais qu’ils arrêtent de se moquer des gens. Il y a des postes à MPM que l’on est obligé de doubler parce qu’untel est nommé sans en avoir les compétences et qu’il faut un technicien en plus pour occuper son poste.
Une autre forme de clientélisme est celui du BTP, de l’immobilier.
PP: C’est le plus subtil, le plus difficile à comprendre. Il demande des arrangements qui restent dans le cadre de la loi. Il n’y a rien d’écrit, pas de corruption, ce n’est pas nécessaire même si c’est peut-être arrivé. Les élus et surtout le monde économique puissant ont placé des gens partout. Donc on n’a pas besoin de corrompre puisqu’on est dans du conflit d’intérêt. Ca a été dénoncé avant moi. Ce sont toujours les mêmes architectes qui bossent à Marseille. Et il y a des trucs qui sont pourris, moches. Ce qui a été fait par Rogeon est d’une laideur absolue, c’est une honte urbanistique. Tout comme ce qui est fait aux Catalans, c’est pathétique. Après il y a des réussites de temps en temps comme le Mucem.
Comment fonctionne ce système ?
[pullquote] Et le problème n’est pas de construire, c’est de vendre la ville à la découpe sans la penser.[/pullquote] PP: Ils ont un cahier des charges presque vide, donc ils font comme ils veulent c’est à dire à moindre coût. Au final, ce sont toujours les mêmes entreprises amies qui travaillent, qui ont les mêmes sous-traitants amis et on va jusqu’en bas avec les salariés payés au black. Tout ce système est fait pour que chacun se gave. Toute cette pyramide a intérêt à ce qu’il perdure. Et le problème n’est pas de construire, c’est de vendre la ville à la découpe sans la penser. L’urbanisme n’est pas pensé, on contourne le PLU par des ruses qui sont légales. C’est une des raisons pour lesquelles il y a très peu de concertation au préalable.
Au niveau politique, vous dressez deux portraits de Jean-Claude Gaudin et Jean-Noël Guérini avec un parallèle évident.
[pullquote] Gaudin-Guérini : les deux ont ce truc là de ne jamais cesser de se relever quoi qu’il arrive. [/pullquote] PP: Ce sont deux mécaniciens politiques, deux types d’une grande intelligence sur le fonctionnement des institutions et des partis. Ils ont un flair incroyable et une capacité à comprendre l’autre, adversaire, allié ou traitre, très forte. Ils cachent cela tous les deux, l’un pas une pseudo-bêtise apparente, Guérini, et l’autre par un côté pagnolesque, Gaudin, alors que c’est un libéral dur, très moderne dans sa communication qui maîtrise son personnage à la perfection. Ils ont cela en commun avec la finesse et la capacité de comprendre et de voir avant les autres.
Je dirais que Guérini a un peu plus d’idéologie, de programme politique que Gaudin. Derrière les entourloupes, il avait une envie quand même de faire quelque chose et il en a un peu fait aux niveaux culturel et social. Mais les deux sont forts, ils ont des carrières incroyables bien au delà de leurs niveaux. Gaudin n’a pas l’ampleur de sa carrière, au niveau de la vision de la Cité. Les deux ont ce truc là de ne jamais cesser de se relever quoi qu’il arrive.
Ensuite, c’est Stéphane Ravier (scénateur-maire FN des 13ème et 14ème arrondissements) qui entre dans l’histoire.
[pullquote] Stéphane Ravier : Il a cet héritage, ce mode de fonctionnement clientéliste. Il crée des associations, en fait venir des quartiers sud dans son secteur. [/pullquote] PP: Lui il ne faut pas l’oublier. Au milieu de tout cela, je raconte aussi le FN marseillais avec les accointances avec Gaudin et d’autres. Il y a certains personnages qui passent de l’un à l’autre. Il y a aussi un banditisme proche de l’extrême droite avec les anciens de l’OAS quand ils sont arrivés et sont devenus des voyous. Ravier n’est ni plus ni moins que la continuité de tout cela. Il a cet héritage, ce mode de fonctionnement clientéliste. Il crée des associations, en fait venir des quartiers sud dans son secteur. C’est un pur enfant du système et s’il est là c’est parce qu’il en connait les rouages. En plus, il bénéficie des délaissés du système, c’est sa force actuelle. Il bénéficie alors des déçus, de ses réseaux clientélistes, qui grossissent, et des FN traditionnels. Ravier ce n’est pas un crétin, c’est quelqu’un d’intelligent.
On voit le constat que vous faites de la situation, il en ressort une vision ni pessimiste, ni optimiste.
[pullquote] Le dynamisme marseillais est aussi dans sa jeunesse, toute sa jeunesse, sans opposer celle des quartiers et les autres.[/pullquote] PP: Parce que moi-même je ne fais aucun effort pour orienter de cette manière. Ce n’est pas réfléchi de ma part, je ne me pose pas la question, je n’en sais rien. Il y a des raisons d’être pessimiste puisque ce système perdure et les inégalités se creusent avec la démission de la bourgeoisie marseillaise qui a peur de ce qu’elle a créé. Ensuite l’optimisme est sur la possibilité de pouvoir raconter ce que je raconte comme d’autres avant moi et d’autres après. Ce sujet n’est pas tabou.
Aussi, la population dite « de Parisiens » est arrivée et a apporté un dynamisme. Elle a créé des associations qui sont un caillou dans la chaussure de ces systèmes et qui, je l’espère, continueront. En même temps, le dynamisme marseillais est aussi dans sa jeunesse, toute sa jeunesse, sans opposer celle des quartiers et les autres. Toujours est-il que c’est dans ces quartiers populaires que la jeunesse se concentre. La population a envie d’en sortir et là aussi, à un moment, il y aura une faille et ça passera.
Vous évoquez des améliorations.
PP: Oui il y a des améliorations réelles, incontestables. Mais elles ne viennent jamais des institutions locales. Paris à trois heures de train, c’est la SNCF. Euromediterranée, c’est Vigouroux (maire de Marseille de 1986 à 1995), l’Etat et l’Europe. Capitale de la Culture en 2013, c’est l’Europe. Et au final, pour organiser le dernier, on a fait venir des Parisiens parce qu’on a senti que l’organisation locale allait s’en servir comme d’un outil clientéliste de plus. Avec le monde économique, on a réussi à limiter la casse et même à faire de bonnes choses, ce qui n’était pas gagné. Ca aurait pu être une catastrophe mais on a réussi à faire quelque chose de pas mal. Je vois énormément de gens qui ont des idées, des compétences mais pas le soutien des institutions. Y compris dans le monde économique. On se gargarise de la French Tech mais au début ils n’ont pas été aidés. Alors maintenant, les élus font de la récupération, mais ils n’ont rien lancé.
Au final, tout le système décrit dans le livre forme une sorte d’équilibre.
[pullquote] La solution passe par la citoyenneté, c’est à dire plus de démocratie. [/pullquote] PP: Tout s’imbrique, c’est ce que je veux montrer dans le livre. L’histoire de Kader, la vie d’une cité, les politiques. Tout ça, c’est un système, un écosystème qui n’évolue pas. C’est ce qui s’appelle l’entropie en science: mettre beaucoup d’énergie pour que rien ne bouge. Il y a des moyens, mal utilisés, même si il n’y en a jamais assez. Il n’y a pas de cohérence dans tout cela. C’est fait exprès parce que s’il y a cohérence, des gens deviennent inutiles. C’est pour ça qu’il y a une concurrence énorme entre les associations, les élus… On manque de citoyenneté, des élus qui ont trop d’importance ne représentent pas grand monde. La solution passe par la citoyenneté, c’est à dire plus de démocratie.
À lire aussi la première partie de notre entretien: Philippe Pujol : « Celui qui dit « je comprends Marseille » est un menteur » (1/2)