A l’heure de la conférence sur le changement climatique Cop21 tant annoncée depuis des mois, des initiatives ont été prises* afin de rappeler l’importance de l’océan dans le climat et de s’assurer qu’il ne soit pas oublié des négociations sur la suite à donner au protocole de Kyoto.
[pullquote]Montréal est à la même latitude que Bordeaux, pourtant… [/pullquote] L’océan a un rôle majeur sur les échanges de chaleur avec l’atmosphère et de redistribution d’une partie de la chaleur solaire reçue aux tropiques vers les plus hautes latitudes. L’un des exemples que nous connaissons le plus est le courant du Gulf Stream qui apporte, en se déplaçant du centre de l’Atlantique ouest vers le nord de l’Atlantique est, des eaux chaudes à nos côtes européennes. Ces eaux chaudes vont restituer à l’atmosphère une partie de leur chaleur acquise plus au sud. Couplé aux vents d’ouest dominants à ces latitudes, ce courant de surface de l’océan explique que nos hivers soient beaucoup plus doux que ceux aux mêmes
latitudes près des côtes nord américaines alors qu’elles reçoivent la même quantité d’énergie solaire (Montréal est à la même latitude que Bordeaux).
[pullquote] Les impacts sur nos sociétés seraient considérables tant à l’échelle régionale que globale. [/pullquote] On connaît également tous intuitivement le rôle de l’océan sur le cycle de l’eau et les précipitations. Ainsi à l’échelle globale, 40% des précipitations sur les continents (sous forme de pluie ou de neige) sont issues de vapeur d’eau qui s’est évaporée à la surface de l’océan. On peut aisément imaginer que si ces échanges d’eau et de chaleur, cette circulation superficielle de l’océan, étaient fortement modifiés, les impacts sur nos sociétés seraient considérables tant à l’échelle régionale que globale.
[pullquote]L’océan, qui a une profondeur moyenne de 3800m, a une capacité gigantesque à y stocker chaleur et carbone.[/pullquote] Cependant ce ne sont pas les seuls rôles de l’océan dans le climat. Deux aspects fondamentaux sont moins connus du grand public car ils se passent en profondeur, bien loin des horizons à portée de vue immédiate. L’océan, qui a une profondeur moyenne de 3800m, a une capacité gigantesque à y stocker chaleur et carbone. On estime que l’océan a absorbé près de 93% de l’excès de chaleur dû à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis que les activités humaines ont commencé à émettre en grandes quantités du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère.
[pullquote] Il existe trois régions de formation de ces eaux denses dans l’océan mondial dont la Méditerranée grâce à l’effet des vents froids hivernaux.[/pullquote] Pour stocker de la chaleur d’origine atmosphérique vers les abysses, il faut faire plonger des eaux de surface vers le fond. Ceci se produit lorsque l’eau de mer de surface voit sa densité augmenter ce qui peut se faire par refroidissement et/ou augmentation de sa salinité. Il existe trois régions de formation de ces eaux denses dans l’océan mondial. La plus proche de nous (mais la moins importante en terme de stockage d’excès de chaleur) est en Méditerranée où les vents froids hivernaux (Mistral et Tramontane sur le Golfe du Lion, Borea dans l’Adriatique, et Melten en Mer Egée) permettent un refroidissement suffisant pour faire « couler » des eaux de surface à plus de 1000m de profondeur. Les deux autres zones se situent en Atlantique Nord (Mer du Labrador, Mer de Norvège) et dans l’Océan Austral autour de l’Antarctique.
[pullquote] L’océan, une capacité thermique mille fois plus élevée que celle de l’atmosphère.[/pullquote] Les températures polaires associées à la formation de glace de mer (banquise) qui augmente la salinité de l’eau environnante qui ne gèle pas permettent de former les eaux les plus denses de la planète qui vont plonger entre 2000 et 4000 m dans l’Atlantique nord et à plus de 4000 m autour de l’Antarctique. Ces eaux profondes vont ensuite circuler lentement dans tous les bassins océaniques et forment une boucle de circulation profonde, à grande échelle de temps (plus de 1000 ans) et d’espace (sur l’ensemble de l’océan) : c’est la circulation thermohaline.
Si l’océan de surface se réchauffe plus vite que l’océan profond, ce dernier a une contribution importante au stockage de chaleur et une étude récente vient de réactualiser à la hausse cette contribution. Depuis 1971, l’océan de surface (0 à 700m) a accumulé 120 Zeta Joules (1 ZJ = 10²¹ J) et l’océan profond (en-dessous 700m) a accumulé 80 ZJ alors que l’atmosphère, les continents et les glaces n’ont accumulé qu’un peu moins de 20 ZJ.
Ainsi, même si le réchauffement de l’océan est plus faible (+0.07°C / décennie à 700m) que pour l’atmosphère (+0.12°C / décennie), le volume de l’océan, son inertie thermique et sa circulation profonde expliquent sa capacité thermique mille fois plus élevée que celle de l’atmosphère.
“Because the ocean” avec chefs d’Etat et ministres Canada, Chili, Fiji, Kiribati, Palaos, Suède et Prince Albert II pic.twitter.com/CpuPv4FdRI
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) 29 Novembre 2015
[pullquote]La question fondamentale est d’arriver à prévoir les changements futurs de la circulation océanique dans un contexte incertain sur les émissions de gaz.[/pullquote] Ce stockage de chaleur résulte donc d’une combinaison complexe des échanges avec l’atmosphère, des variations de températures et de salinité de l’océan de surface et de la circulation thermohaline. On sait que le changement climatique en cours a déjà modifié ces paramètres. La question fondamentale est d’arriver à prévoir les changements futurs de la circulation océanique dans un contexte incertain sur les émissions de gaz à effet de serre qui dépendent elles de facteurs politiques, technologiques, économiques et sociétaux. Les efforts sur l’observation et la modélisation de l’océan doivent être soutenus ; les choix politiques de réductions des émissions de gaz à effet de serre restent à prendre. C’est tout l’enjeu de la Cop21.
A suivre : le rôle de l’océan dans le stockage de carbone
Damien CARDINAL
Damien Cardinal est actuellement professeur en Biogéochimie et chimie marine à l’Université Pierre et Marie Curie. Il est titulaire d’un doctorat en sciences de l’Université d’Aix-Marseille qu’il a préparé au Centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement (Cerege, basé à l’Europôle de l’Arbois). Il a suivi toutes ses études universitaires à Aix-Marseille sur les campus de St. Jérôme, de St. Charles et du Cerege. Son site personnel.
* Liens utiles :
> Plateforme Ocean & Climat
> Tara Oceans
> Le rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont un résumé est disponible en français (le chapitre 3 du 1er Groupe de Travail porte exclusivement sur l’océan mais plusieurs autres chapitres abordent l’océan de façon importante, notamment les chapitres 5 et 6 (disponibles en anglais uniquement). http://www.climatechange2013.org/
> La Région Paca à la Cop21