Il y a 22 ans, le projet Euroméditerranée était lancé. La Joliette est devenue la vitrine d’une ville qui se réinvente, marquée par de nombreuses mutations. Métamorphoses, Joliette et Cie, c’est le nom de l’exposition de Gérard Detaille qui retrace les transformations de ce quartier. Une collection de plus de 250 photos qui s’imposent comme des gardiennes du temps et de l’histoire de la cité phocéenne.
On en ressentirait presque les odeurs d’une ville que nous n’avons pas connue, celles des marchandises débarquant des ports méditerranéens. Les parfums de bois mêlés au vin, celles des épices et des cargaisons de contrées lointaines. Ce n’est pas seulement des sensations olfactives que provoque la contemplation des œuvres de la famille Detaille. Puisque des sons sonnent à nos oreilles, on imagine des poutres qui craquent, des crieurs de journaux, les grues mal huilées pivotant pour débarquer les paquets des bateaux, et ceux des trams qui passaient au pied de la cathédrale de la Major. C’est un voyage dans le temps qui nous est offert avec l’exposition temporaire Métamorphoses, Joliette et Cie de la galerie Detaille.
Au fil des photos, Marseille prend alors des airs de décors dignes des Temps modernes de Chaplin. Les Docks de la Joliette n’avaient pas la belle couleur rouge retrouvée de ses briques, mais plutôt un teint grisâtre propre aux villes industrielles de l’époque. Sur un autre cliché, la cathédrale de la Major donne l’impression d’être le dôme d’une fourmilière, à son pied de multiples bras s’animent pour débarquer les paquetages, de multiples troncs d’arbres sèchent au soleil, pendant que des centaines de fûts libèrent leurs parts des anges. Outre le caractère portuaire de son paysage et de sa grande animation, on découvre au détour de certaines photographies des scènes de vie, des visages disparus de gamins improvisés cireurs de chaussures qui posent dignement devant le photographe profitant de leur quart d’heure de célébrité.
Les visiteurs ne découvrent pas seulement le passé de leur ville, mais la vie de cette époque, la rudesse de celle-ci. Les photographies sont des artefacts d’une cité disparue. Le pont transbordeur dessiné par Arnodin posait alors fièrement entre les deux rives d’un Vieux-Port immuable, la colline de la Bonne-Mère, au loin, était encore affublée d’un funiculaire et un canal léchait les pieds d’une Major gardienne du quartier.
Puis la Joliette change, les photographes aussi. Le père et le grand-père laissent place à la relève, presque dynastique, en la personne de Gérard Detaille. Cet amoureux des clichés a fait perdurer la tradition familiale. Il n’a eu de cesse durant sa carrière d’enrichir le fond, qui atteint selon sa femme plus d’un million de photographies. Il est donc normal qu’une partie soit consacrée à ses œuvres, car on peut parler à ce stade d’œuvres d’art tant les sont sources émotions. La couleur a remplacé le noir et blanc, les ballots ont été remplacés par des grues… Tout se transforme, mais Marseille reste Marseille : vivante, ouverte sur la mer… poussée par la dynamique de ce quartier, qui continue de se métamorphoser.
Lundi, il sera trop tard pour contempler le travail d’une famille marseillaise qui a fait de sa ville sa muse.
« Métamorphoses » au Docks Village au niveau de la Place du marché, jusqu’au dimanche 14 mai. Fermeture des portes à 19h.