Combinant les sonorités du loup qui hurle et de l’étrange mot «entourloupe», Jean Dubuffet crée le vocable «hourloupe» pour qualifier son regard sur le monde. Tout autant biscornues, ses œuvres, en deux ou trois dimensions, se bornent généralement aux trois couleurs qu’il privilégie : rouge, bleu et blanc.
Né avec le vingtième siècle, cet artiste singulier aimerait que ses tableaux amusent l’homme ordinaire, à bonne distance des normes du bon goût classique.
Ne comprenant pas le langage des étrangers, les grecs antiques les traitaient de «barbares». Ami du peintre, le poète Michaux revient d’Asie en s’affublant du même adjectif. Cette figure de l’autre, le marchand de vin Dubuffet va aussi l’adopter, en dénigrant systématiquement tout ce que l’œil occidental définit comme «Art».
Non seulement il laisse vagabonder ses dessins et coloriages, comme un automatisme de la main, mais il apprécie et collectionne les dessins d’enfants, graffitis obscènes ou fruits de l’imaginaire asilaire. Loin des chevalets et règles du beau académique, Jean Dubuffet se plaît auprès de «l’homme du commun». Et quand il séjourne au Sahara, il apprend l’arabe pour échanger avec les populations indigènes. S’écartant résolument des circuits officiels, cet artiste atypique explore durant quarante ans les façons les plus banales de voir les réalités , ou de les inventer. (Il meurt en 1985).
Asphyxiante culture
Récusant la notion d’art primitif, Dubuffet ne se lasse pas de représentations grotesques ou triviales. Perpétuellement, il recherche l’originalité et le spontané, combattant l’«asphyxiante culture» de son temps : c’est le titre du pamphlet qu’il publie en 1968. A ses yeux, il n’existe pas plus d’«art des fous» qu’il n’y aurait «d’art des malades du genou»! L’art brut, en revanche, qu’il préconise , ne requiert ni don, ni instruction , car il n’est pas celui des singes, ni du buvard ou des caméléons.
S’auto désignant comme défricheur , ou déchiffreur, le personnage s’écarte de toute norme préétablie, il invite même à «se foutre de tout», faire table rase et repartir de zéro. Le crayonnage malhabile d’un homme qui pisse dans la rue lui semble aussi pertinent que le sourire de la Joconde.
Hostile aux canons des beaux arts, le franc-tireur-touche-à-tout brosse en quelques courbes un remarquable portrait de l’acteur marseillais Antonin Artaud, un cousin en talent iconoclaste, capable également d’«affoler la langue»
Banalité joyeuse
Selon cet apôtre de la «banalité joyeuse», ce qui est merveilleux n’est pas être un homme d’exception, mais «un homme tout court». Radicalement individualiste, critique impitoyable, inventeur de jargons absolus et de formules loufoques illisibles, le “contestateur” Dubuffet poussera aux ultimes extrêmes sa détestation des valeurs dominantes, jusqu’à clamer : «vive la sauvagerie, vive l’incivisme !» Ceci n’évoquerait-il pas quelque chose de notre époque ?
Repère :
Jean Dubuffet, un barbare en Europe, exposition du 24 avril au 2 septembre
> Tous les jours au Mucem , sauf mardi et 1 mai, de 11 à 19 h
> Site mucem.org