Florence est conseillère en gestion de patrimoine, présidente de Patrimoine SA et administratrice de la Chambre Nationale des Conseils Experts Financiers (CNCEF). À l’occasion des Rencontres de la finance verte et solidaire, Florence Brau Billod revient sur évolutions de son métier et les nouvelles exigences réglementaires.
Quelles évolutions implique la Finance durable sur votre métier et l’épargnant ?
Les mots comme investissement responsable, économie solidaire, finance verte, finance circulaire… sont utilisés pour désigner les pratiques de la finance durable, sans parler des différents labels comme ISR, Greenfin, Finansol, CIES (Comité Intersyndical de l’Epargne Salariale) et ceux des autres pays européens. Il est évident que plus la réglementation s’étoffe et plus l’incompréhension semble s’instaurer avec les investisseurs finaux.
Justement, quelles sont ces exigences réglementaires ?
Le résumer est un exercice complexe. Cela a commencé en 2019(1) : trois niveaux de transparence des produits financiers (art 6, art 8 et art 9) ont été instaurés ainsi que les 16 critères PAI(2) pour mesurer les impacts négatifs les plus significatifs. En 2020, une classification dite « Taxinomie européenne »(3) définit quelles sont les activités économiques, dites durables. Depuis le 1er janvier 2023(4), les épargnants doivent spécifier leurs préférences et les proportions minimales d’investissement qu’ils souhaitent affecter à la transition écologique.
Quels sont les enjeux et les limites à cette mise en œuvre auprès de l’épargnant ?
C’est avant tout un besoin colossal de pédagogie, car la finance durable est une notion globale dans un environnement très difficile à cerner, puisque le marché ne dispose toujours pas d’une définition claire et unifiée. La classification des activités économiques selon la Taxonomie est elle-même toujours en cours de rédaction. Chaque société de gestion fixe sa propre méthodologie et c’est normal, car si nous devions exclure toutes les entreprises sur la base des 16 critères des impacts négatifs (PAI), l’univers d’investissement deviendrait très limité ! Ce qui encourage aussi le greenwashing. En trois ans, la réglementation est allée très vite et donne l’impression que la charrue a été mise avant les bœufs, puisque les entreprises ne publieront leurs données qu’à partir de 2024(5) pour les plus grandes (et jusqu’en 2028 pour les PME).
Quel est le ressenti de vos clients ?
Personne ne peut remettre en cause le bien-fondé de la réglementation eu égard à notre environnement, mais le package est énorme. La réglementation a permis de mettre les notions de durabilité en complément de celles sur le couple risque-rendement, qui s’ajoutent aux notions civiles, sociales et fiscales d’un placement financier. Tout investissement demande une grande expertise. En tant que conseiller en gestion de patrimoine, acteur de proximité, je reste au service de l’investisseur, autant au niveau de la pédagogie, de l’accompagnement, que des conseils dans un monde en perpétuel changement et qui se doit de changer.
Vous êtes administrateur de la CNCEF Patrimoine, comment accompagne-t-elle ses membres dans ce changement ?
La CNCEF, depuis sa création en 1957, tire sa force de l’interprofessionnalité. La réglementation liée à la durabilité a un impact sur tous les métiers et la CNCEF accompagne tant au niveau de la promotion de l’épargne durable, que de la transition écologique en direction du logement ainsi que les opérations de financement (levée de fonds/crowdfunding). Les cinq associations affiliées à la CNCEF(6) sont toutes mobilisées. Plusieurs programmes, guides, vidéos pédagogiques sont disponibles pour les membres ainsi que la formation pour la « Certification finance durable » de l’AMF. La CNCEF a créé l’Académie de l’économie durable, un lieu d’échanges intergénérationnel permettant de nourrir la réflexion doctrinale et de favoriser le partage d’expériences(7).
(1) Règlement (UE) 2019/2088, dit « Règlement SFDR ». Art. 6, tous ceux qui ne sont ni 8 ni 9 mais qui peuvent prendre en compte les critères PAI. Art. 8, ceux qui promeuvent et peuvent réaliser une part d’investissements durables. Art. 9, ceux qui réalisent uniquement des investissements durables.
(2) Les critères PAI (Principal Adverse Impact) mesurent les impacts négatifs sur l’Environnement, la Société et la Gouvernance (ESG) tels que les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’eau, la gestion des déchets, les droits de l’homme, la diversité et l’inclusion, la rémunération des dirigeants, la corruption, etc. Les risques extra-financiers seront listés dans le fichier Européen ESG Template (EET).
(3) Règlement (UE) 2020/852, dit « Taxinomie Européenne ». 6 critères : atténuer le changement climatique, s’adapter au changement climatique, protéger les ressources aquatiques et marines, transiter vers une économie circulaire, prévenir et contrôler la pollution, restaurer la biodiversité et l’écosystème. Cette nouvelle définition reprend les principes clés du Règlement SFDR, toutefois, des seuils quantifiés sont définis à l’échelle européenne pour les secteurs d’activité éligibles. Exemple d’activité durable selon la taxinomie européenne : forêt, eau, immobilier vert, énergies renouvelables…en sont exclus les énergies fossiles, transport aérien…toute autre activité non mentionnée. En cours de discussion : nucléaire, agriculture…
(4) Révision de la Directive MiFID II (UE) 2021/1253 amandée le 2 août 2022.
(5) Mise en œuvre de la directive européenne CSRD
(6) Les 5 associations affiliées de la CNCEF : CNCEF Patrimoine, CNCEF Assurance, CNCEF crédit, CNCEF Immobilier, CNCEF France M&A.
(7) Sujet de la deuxième édition du concours de l’Académie de la Finance Durable pour les étudiants 2024 « Une solution concrète et réaliste d’amélioration sociale ou environnementale en lien avec votre métier » avec une dotation de 8.000 Euros partagée entre les lauréats.
> Toutes les actualités Finance
> Toutes les actualités Rencontres de la finance verte et solidaire