Lundi 21 mai, le quartier de La Busserine, dans le 14e à Marseille, a été le théâtre d’une fusillade. Un commando armé de kalachnikov a mis en joue des policiers en plein après-midi et tiré en l’air avant de s’enfuir. Le président de la République, qui a présenté son plan banlieues au lendemain de cette attaque, a déploré la « grande violence » qui gangrène certains quartiers. « Oui, nos quartiers ont du talent, mais oui, dans nos quartiers, il y a aussi de la violence, il y a aussi des choses qui ne vont pas, et c’est explosif ». En réponse à cette attaque, le ministre l’Intérieur, Gérard Collomb, en visite éclair et surprise, à l’Hôtel de Police Nord de Marseille, le 24 mai, a promis « de faire régner l’Etat de droit dans tous les quartiers. Il n’y a pas d’avenir pour la criminalité », a-t-il déclaré, annonçant un renfort des effectifs avec le détachement d’une unité de CRS supplémentaire de 60 hommes d’ici à début 2019.
Lors de cette visite, Dominique Tian, premier adjoint au maire de Marseille, représentant Jean-Claude Gaudin, a réaffirmé l’engagement de la Ville en faveur des quartiers Nord, faisant part des attentes : « la Ville de Marseille attend de l’État qu’il prenne toutes les mesures qui s’imposent », indique l’élu, par voie de communiqué, le 24 mai. L’occasion de balayer les accusations d’avoir abandonné les quartiers Nord à leur sort, rappelant au passage au ministre la modernisation de la police municipale avec le doublement des agents, faisant ainsi de Marseille la première police municipale de France en termes d’effectifs, le déploiement de 1 500 caméras réparties sur l’ensemble du territoire d’ici fin 2021, l’armement des policiers ou encore la création de la brigade de nuit.
La voix de Dominique Tian ne semble pas suffire à dissiper le malaise né du fait que le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, ne s’est pas exprimé sur la situation des quartiers Nord. Sortira-t-il de sa réserve alors que dans la nuit du vendredi à samedi 26 mai, Marseille a de nouveau été le théâtre de deux exécutions à la kalachnikov ?
« Le discours de la méthode »
D’autres élus n’ont pas attendu pour réagir. La sénatrice PS Samia Ghali « plus attristée qu’en colère », observe que « l’on passe à côté de ce qui se passe réellement dans les quartiers. Emmanuel Macron n’a pas la bonne information sur ce qu’il s’y passe ». Sur LCI, au lendemain de la fusillade, elle déclarait « la tolérance zéro, ça marche », estimant que l’action de Manuel Valls, à l’époque ministre de l’Intérieur, avait prouvé une certaine efficacité. « Son action ainsi que la méthode globale a perturbé les trafics de drogue ». Après le « discours de la méthode » portée par gouvernement Macron – qui prône une nouvelle philosophie, reposant sur la co-construction des politiques publiques et la mobilisation de tous les acteurs – la sénatrice attend « des mesures concrètes », annoncée pour juillet. « Je jugerai sur pièce ».
Saïd Ahamada était à 300 mètres de la cité de La Busserine lors de l’attaque et a entendu les coups de feu. Pour le député LREM, « la minorité violente pourrit la majorité pacifiste de Marseille ». Il s’est dit également surpris par certaines déclarations : « Pour beaucoup d’élus, ces quartiers ne sont pas la France. Il faut se servir de ce qui s’est passé ici pour mobiliser encore plus fort. Ce qui se passe tous les jours à La Busserine serait-il accepté ailleurs en France ? », s’interroge-t-il. Il participait d’ailleurs, vendredi 26 mai, à une réunion du collectif citoyen à La Busserine composé d’acteurs associatifs, sociaux, d’habitants, de jeunes du Grand Saint-Barthélémy, à laquelle a également participé Jean-Marc Coppola (PCF).
« Arrêter de considérer les banlieues comme un territoire à part »
Pour le collectif, la visite de Gérard Collomb n’apporte pas de réponses suffisantes à la lourde problématique du trafic de stupéfiants : « Il y a un vrai débat à organiser sur la question des trafics qui ne relèvent pas d’une opération de communication. Ce débat doit aboutir sur un espace de travail qui doit associer les experts de terrain que sont les habitants, les structures qui travaillent là, les institutions et les politiques ».
Autre élément qui a fait réagir : « l’urbanisation, ici, un peu confuse » pointée par Gérard Collomb, avec laquelle le collectif est en accord. « On paye aujourd’hui, le résultat de politiques publiques qui ont conduit à la ghettoïsation de ces territoires », indique Saïd Ahamada, qui anime avec 61 députés LREM un groupe de travail « politique de la ville » à l’Assemblée nationale. « La philosophie, ce n’est plus de faire de la politique de la ville avec des dispositifs à part et des budgets à part. Il faut arrêter de considérer les banlieues comme des territoires à part, et au contraire faire une politique pour tous les territoires de la République qui ne laisse pas de côté des quartiers difficiles ».
« La politique de la ville est devenue une usine à gaz » selon Arlette Fructus
Dans une interview accordée à La Provence, publiée samedi 26 mai, Arlette Fructus, élue en charge du logement et de la rénovation urbaine à la Métropole, à la Ville de Marseille et à la Région, estime que la politique de la ville est devenue « pire qu’une usine à gaz ». « Quand Borloo a créé l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), il a mis tout le monde autour de la table pour être efficace. Mais cette politique de la ville est devenue pire qu’une usine à gaz. Il faut tout valider et revalider, c’est affolant ».
Malgré les millions d’euros injectés par les pouvoirs publics, si les cités sont toujours livrées aux trafiquants, c’est en raison « des dérives » dans le fonctionnement de la politique de la ville. Pour la vice-présidente de la Métropole, les rénovations urbaines ont été assimilées « à une solution généraliste, remplaçant le droit commun. Une dérive qui concerne 30 000 personnes dans 35 quartiers prioritaires à Marseille, 400 000 dans 59 quartiers à l’échelle de la Métropole. La politique de la ville ne devrait qu’accompagner les moyens de l’Etat sur l’éducation, le logement, la culture ou la formation », plaide-elle.
Saïd Ahamada est plus radical : « il ne faut plus à terme de politique de la ville ». Le député espère que la philosophie de co-construction entre politiques publiques et les acteurs de terrain sera la clé de voûte permettant « de mieux identifier les besoins du territoire et adapter les solutions. L’idée des cités éducatives proposée par Jean-Louis Borloo est intéressante, par exemple. » Il s’agit de construire un maillage entre l’école et son environnement pour qu’un enfant ait accès, du lever au coucher au soleil, week-end compris, à un accompagnement dispensé par l’équipe pédagogique quand il est à l’école, par le soutien scolaire, l’association sportive ou les parents quand il en sort. « Tout ça ne peut se faire qu’au niveau local ». Alors que le chef de l’Etat a présenté, mardi 22 mai, son plan de mobilisation pour les quartiers prioritaires, certains habitants de la cité phocéenne et des élu(e)s, à l’image de Samia Ghali, en appellent à un « plan Marseille ».