Marseille, la présidentielle, le FN, le PCF, ses espoirs et ses luttes… C’est devant quelques journalistes de la presse locale que le leader de La France insoumise, candidat dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, s’est confié, avec sérieux et humour. Quand Jean-Luc Mélenchon se met à table…
Ce jour-là, sur le balcon du restaurant « Chez Roger », Jean-Luc Mélenchon est un brin nostalgique. Le regard au loin, sous celui de la Bonne Mère, il évoque son pied-à-terre marseillais. « Là c’est le port, mais j’aimerais voir la mer ». Lorsqu’il était « gamin », le détroit de Gibraltar s’offrait à lui chaque matin. « Un spectacle qui rentre dans la tête et que l’on ne peut pas raconter ». Ce sont les appels non pas du large mais des passants un peu plus bas, qui le ramènent de ses souvenirs de Tanger à la réalité. « Jean-Luc ! Jean-Luc ! »
Le leader de La France insoumise répond avec enthousiasme par des « oui » affirmés, un salut de la main droite ou le poing gauche fermé, levé, c’est sa marque. « Je suis devenu une spécialité marseillaise » plaisante-t-il. Dans cette veste noire qui ne le quitte jamais, Jean-Luc Mélenchon est décontracté, souriant même et il aime bien blaguer, d’ailleurs il le dit lui-même : « Ma langue m’a joué des tours. » Qu’importe, ça fait partie de sa personnalité. Alors il continue d’user du verbe, de manier les mots et l’humour, pour ponctuer des propos sérieux avec conviction.
À Marseille, il ne peut plus faire un pas sans que l’on vienne lui parler, sans que l’on veuille prendre un cliché avec lui, tout le monde est « touché aujourd’hui par cette maladie universelle, faire une photo, mais comme c’est plein de gentillesse et bien on ne fait que ça, on ne peut plus parler », confie-t-il avec bienveillance, surtout lorsqu’il évoque cette « dame qui a perdu sa gamine, pour un peu elle m’engueulait, mais je la comprends », reprend-il, en se servant un verre d’eau pétillante.
Toute cette lumière autour de sa personne, c’est une situation nouvelle pour Jean-Luc Mélenchon, qu’il tente d’apprivoiser. Face aux attentes de la population davantage, municipales que nationales, il « ne prend pas mal que les gens » lui posent des questions d’ordre local, mais désormais il a compris que « ça fait partie de la campagne de refaire l’éducation politique, redire aux gens que ce ne sont pas les élections municipales, de réexpliquer en quoi elle consiste, pourquoi on vote… »
« Je n’ai aucune ambition municipale »
Et puis, il met les choses au clair, surtout pour ceux qui voient en lui le prochain maire de Marseille. « Je n’ai aucune ambition municipale. Je n’ai pas intérêt, si je mets le doigt là-dedans je ne m’en sors plus ». L’important pour lui est de « capter le moment politique », ne pas se laisser « happer par le localisme », dit-il sans mépris, parce que l’enjeu est bien national.
Après la défaite à la présidentielle au goût d’inachevé, il a mis quelques jours à se remettre. Le choc d’avoir manqué le second tour de 600 000 voix, lui qui « n’est plus un jeune homme a choppé une bronchite en trois jours, une fois l’adrénaline retombée », confie-t-il, aux quelques journalistes de la presse locale présents. Puis, il a retrouvé l’énergie de remonter en selle, parce qu’il aime profondément faire campagne électorale, c’est 80% de sa vie ; mais c’est sa visite dans la Creuse, auprès des salariés de GM&S qui le ramène « au sens profond de ce que je fais. Ça remet les pendules à l’heure… »
S’il « aime bien », qu’on le perçoive avec des postures héroïques « où il faut que je cours avec ma lance », tel Don Quichotte. Il n’est pas ce personnage de Miguel de Cervantès. Jean-Luc Mélenchon est « un stratège. Je sais ce que je fais, où je vais et comment je prévois les choses, peut-être que je me trompe, que Marseille n’est pas le cratère que je crois mais c’est la réflexion qui m’amène ici. »
L’Insoumis veut plus que jamais rester dans ce rôle de « changer des choses, redonner confiance », dans la lignée du programme présidentiel. « Tout le programme exprime ça ». Il a tiré les leçons de 2012. L’un des reproches les plus vifs était d’avoir fait une campagne présidentielle puis d’avoir dispersé la campagne législative, comme des élections locales. « Plus bête on pouvait pas faire ». Le tribun sait bien que « certains veulent se débarrasser du démon » et qu’il ne sera pas épargné. « Ça devrait commencer d’ici 4 ou 5 jours ». Il s’y prépare. « La calomnie, les rumeurs, d’un côté ça pèse, mais de l’autre ça endurcit la condition des gens qui sont de notre bord ».
« Ils savent qu’il y a un danger avec moi »
Alors lorsque Solange Biaggi, candidate Les Républicains dans cette 4e circonscription dit de lui que « c’est le chaos », ça le fait marrer. « Elle prend des gens pour des c*** y’a pas une personne qui peut croire ça », sourit celui dont le premier livre en 1991 s’intitule « À la conquête du chaos ». Plus sérieusement, devenu « une personnalité » à la tête d’un mouvement « très puissant, ils savent qu’il y a un danger avec moi ».
Et le danger pour lui, c’est clairement Corinne Versini, de La République en marche : « Les autres, ils ne sont pas malins, c’est pas comme ça qu’il faut aborder la campagne, ils pensent qu’en me tirant dessus ils vont se hisser. Madame Versini, elle ne fait rien du tout mais elle va représenter Macron, plus les autres me tapent dessus, plus je réplique plus c’est elle qui va paraître gentille ». Lui le stratège ne veut pas révéler comment il va s’y prendre pour attaquer son adversaire principale. « Vous allez voir… »
« Faire mordre la poussière à Stéphane Ravier»
Jean-Luc Mélenchon ne raisonne pas en termes de circonscription. A Marseille, dans ce concentré de la France, réside plusieurs enjeux, à commencer par chasser le Front national. Entre les partis traditionnels, le mouvement d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon s’est faufilé dans une brèche avec La France insoumise. « La faille, elle est là, à Marseille. On ne va pas rentrer dans des considérations sociologiques pour savoir pourquoi il gagne partout ! Il faut les sortir! Ça ne peut pas être ça la France. Je sais bien que ce ne sera pas facile ».
Dans la 3e circonscription, où Sarah Soilihi représente La France insoumise, il espère « faire mordre la poussière à l’autre (NDRL Stéphane Ravier – FN). Sarah est une personne hautement représentative de ce que nous, on estime qu’il y a de plus brillant dans ce pays et qu’ils détestent eux le plus. Si on pouvait le battre de cette façon-là, ça a encore plus de sens que si c’est moi qui le battait ». Lui va se concentrer sur la 4e circonscription, mais sa présence peut créer une dynamique « pour les petits camarades ».
S’il a balayé d’un revers de main tout accord avec le PCF, en revenant à la genèse de ce point de non-retour, il sait qu’au premier tour de ces législatives, il ne fera pas « 50%, mais on sait que si les 7 millions de personnes reviennent on est au second tour dans 78% des cas » Si tel est le cas, au second tour, l’inconnue reste les réserves de voix. « Nous, on va continuer avec la stratégie de fédérer le peuple, qui n’est pas rassembler la gauche, c’est un autre débat… Peut-être qu’on va se faire écrabouiller aussi, ça fait partie de la vie », lance-t-il un brin défaitiste. « Une circonscription gagnée d’avance, ça n’existe pas ».
S’il gagne, il composera avec le nouvel échiquier politique, « et tout dépendra de la force que l’on aura » à l’Assemblée nationale. Dans le cas contraire, il n’aura d’autre choix que d’être dans une « résistance frontale », en réinventant peut-être ce qu’était le Front populaire en son temps. « On emporte les gens lorsqu’on leur propose quelque chose qui vaut la peine d’être vécu. Et c’est là que joue l’effet Marseille et Bouches-du-Rhône». Dans cette cité phocéenne qui l’a placé en tête au premier tour de l’élection présidentielle et qui s’est transformée en capitale du rugby le temps d’un week-end, Jean-Luc Mélenchon espère bien transformer l’essai.