La fiction et l’affliction
« Affaires sensibles », l’émission détonante de Fabrice Drouelle sur France Inter (15h-16h), a pris le relais, il y a quatre ans après la mise à l’écart de Daniel Mermet (« Là-bas si j’y suis »). Le licenciement de ce « Robin des Bois » radiophonique avait été jugé du reste abusif par les tribunaux. On dit cette tranche horaire une fois de plus menacée par la direction de Radio France. Et il est vrai que la démarche journalistique, assumée par l’équipe de Drouelle, peut être jugée comme clivante pour certains. Cette dernière semaine elle fut une fois de plus audacieuse, avec un résultat mitigé. Il fut question, sur les ondes nationales, d’évoquer une situation locale qui a fait grand bruit dans la deuxième ville de France. « Ecole marseillaise : attention travaux » ou une fiction, en deux épisodes, écrite par Mariannick Bellot et réalisée par Laurence Courtois, aura eu le grand mérite de porter, avec une acuité remarquable et une documentation indiscutable, la plume dans la plaie. En revanche, on peut s’étonner du choix artistique qui a tourné à la caricature un peu grossière du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. Le ridicule ne tue pas, mais il peut blesser au-delà de sa cible. Si l’objectif était de faire le portrait ignoble d’un politicien méridional, c’est réussi, sans conteste. Mais les récents propos du maire ont été suffisamment caricaturaux, sans qu’il soit besoin d’en ajouter une couche. Il y a longtemps qu’à Marseille l’affliction a enterré la fiction.
La cité en connait un rayon
Les moins de vingt ans, et une grande partie de ceux qui ont beaucoup plus, ne s’en souviennent pas, mais la première opérette marseillaise donnée dans les années 30 avait un nom prémonitoire : « Au pays du soleil ». Futura planète vient d’attester de cette excellente réputation, en publiant un classement où la ville est largement en tête des cités les plus ensoleillées de l’Hexagone. Avec 170 jours d’ensoleillement elle se place sur la plus haute marche du podium devant Toulon et Ajaccio. Avec « Au pays du soleil », Vincent Scotto, compositeur et parolier internationalement reconnu, chantait cette lumière et ces rayons qui font, à la tombée du jour la ville blanche, comme sa voisine lointaine Alger (photo). La nouvelle a été abondamment commentée sur les chaînes d’info continue. L’une d’elle y est allée de son micro-trottoir qui, dans cette pratique journalistique, tient lieu d’analyse. On a entendu une fois de plus de grosses banalités, et il y a fort à parier que, sur un autre thème, les mêmes interviewés auraient dit l’exact contraire. On se réjouira cependant que la France entière ait, pendant quelques secondes, entendu que le paradis sur terre se trouvait autour du Vieux-Port. Le buste de Vincent Scotto, qui surveille le Ferry-Boat depuis la place aux Huiles, serait-il en passe de supplanter l’Arc de Triomphe ?
C’est le printemps, les amis
L’un des génériques à la mode met en scène François Asselineau, président de l’Union Populaire Républicaine. Ce haut fonctionnaire, qui milite pour la sortie de la France de l’Europe, se livre à une incantation hystérisée où il répète à l’envi : « c’est le printemps les amis ». L’Histoire jugera de la juste place qui reviendra à cet ovni politique. Il fera néanmoins partie des 33 choix soumis à la sagacité des électeurs, aux prochaines européennes. Les spécialistes assurent que, d’ici le 26 mai, une grande lessive devrait s’opérer et que nombre des formations annoncées auront disparu de la compétition. Le politologue Roland Cayrol parie sur au moins une vingtaine de disparus, en raison tout simplement du coût du papier à engager pour aller jusqu’au bout. Pour l’heure, à Marseille, certaines formations démontrent qu’elles ont des ressources, même si leurs messages ne sont pas toujours explicites. Quant au sujet – l’Europe – il est quasiment gommé de cette page qui reste à écrire. Heureusement, le 8 mai, le Département a pensé à inviter la population à danser sous l’ombrière, pour célébrer une des plus belles dates européennes, la commémoration de l’armistice de 1945. Les politiques eux, qui ont la mémoire courte comme le disait un maréchal cacochyme, vont continuer jusqu’à la fin de ce mois à l’afficher mal.
Service compris
La nouvelle n’a pas fait grand bruit et il n’est pas certain que la démarche émeuve l’ensemble des Marseillais. Lisette Narducci, maire des 2e et 3e, ne fait plus partie de la majorité municipale. Après avoir soutenu Jean-Noël Guérini, Jean-Claude Gaudin et à la présidentielle de 2017 Emmanuel Macron, cette radicale de gauche a repris sa liberté. La décision peut paraître opportuniste ou courageuse. Elle s’inscrit cependant dans une tendance lourde de la vie politicienne marseillaise. On assiste, dans quasiment tous les secteurs, à des initiatives personnelles et à l’affirmation d’ambition individuelle forte. Les étiquettes ont du coup disparu et l’engagement de toutes ces personnalités se résument à celui de se faire élire, ce qui n’est pas, il est vrai, donné d’avance. La population du coup s’en frotte les mains, car elle fait l’objet d’une écoute forte de la part de ces prétendants. Certains quartiers mesurent même depuis quelques semaines l’efficacité des services territoriaux, avec une attention particulière portée sur le confort urbain, propreté, circulation, stationnement, piétonisation. On se demande s’il ne faudrait pas organiser une élection municipale tous les ans.
Le social attendra
Les élus du Pays d’Aix ont repoussé l’examen des objectifs à atteindre en termes de logements sociaux. Maryse Joissains, maire d’Aix, et ses amis, estiment que la barre est un peu haute. Ils savent pourtant que la demande est forte et qu’elle concerne toutes les tranches d’âge. Mais c’est un réflexe quasi pavlovien dans le nord du département. Les Marseillais disent des Aixois que « ce sont des Provençaux qui se prennent pour des Parisiens ! » Tout n’est pas faux dans la boutade et longtemps Aix et ses bastides, protégées par des élus de gauche ou de droite, ont résisté à l’invasion des pauvres tentés d’échapper à la misère de Marseille. Sur le plan de la sécurité Mme Joissains s’est toujours plaint par exemple que la pression policière, exercée sur la capitale régionale, pousse la délinquance sur ses terres. Dans le domaine des transports, le retard est aussi considérable d’un point de vue autoroutier et ferroviaire. Seule la sphère universitaire a échappé à cette logique. A prendre en compte les dernière réticences « aixoises » en matière de logements sociaux, on s’accordera à reconnaître que, plus que jamais, il est urgent de ne plus attendre l’émergence d’un vrai espace métropolitain.
La justice des hommes
Les voies du Seigneur sont parfois impénétrables. Du coup le diocèse de Marseille (photo) a décidé de s’en remettre à la justice pour entendre la voix d’un magistrat rappeler son bon droit. L’église possède en effet, au 59 avenue Saint-Just, un bâtiment qu’elle a pour des raisons d’urgence économique décidé de céder à un projet. Un institut de formation devrait y prendre place. Las, l’espace est occupé depuis le mois de décembre par 70 mineurs non accompagnés et une quarantaine de familles en demande d’asile. Anne Gautier du collectif Mineurs isolés 13 rappelait alors qu’il n’y avait là que « des gens qui ont droit à une prise en charge ou un hébergement d’urgence et ne l’obtiennent pas ». La raison financière a des limites que la fraternité ignore, et le diocèse vient d’ester en justice pour faire valoir son droit à vendre sa propriété. Dans sa grande sagesse le tribunal a repoussé à juin sa décision. Ces mineurs vont donc avoir dans quelques semaines un problème majeur et ils se tourneront vers Marianne, en l’abjurant de ne pas les abandonner. La République est bonne mère mais elle nourrit d’abord ses enfants avérés. Parmi ceux-là l’église dont elle s’est pourtant séparée en 1905. A Aix, pendant ce temps, on apprenait que l’Institut d’Etudes Politiques venait de diplômer une vingtaine d’étudiants ayant fui leur pays. Bonne mère qu’on vous dit !