C’est une confidence d’un nouvel élu dans des quartiers déshérités. « Moi lorsque les gens viennent me voir pour quémander quelque chose, je leur réponds que je ne leur promets rien et que je vais regarder ce que je peux faire, ou pas ! » Et d’ajouter que ces Marseillais ont l’air surpris, parce qu’on ne les avait pas habitués à ça.
« Ça » ou cette espèce de marchandage quasi séculaire qui voulait qu’on achète, pour être élu, les voix avec la promesse d’un boulot – généralement à la mairie ou dans une autre administration territoriale – d’un trois-pièces dans le parc réputé social, ou encore d’un coup de pouce pour obtenir un passe-droit, pour une école privée, une place pour le petit bateau à l’Estaque, à Pointe Rouge ou sur le Vieux-Port, quelques billets pour la Foire, le Dôme ou l’OM. On appelle également « ça », le clientélisme. Dire que Marseille a le monopole de telles pratiques serait avoir courte vue, car la pratique est répandue sur tout l’Hexagone et que la politique a des raisons que le citoyen moyen ignore, lui qui veut qu’on parle d’abord à son cœur et accessoirement à ses intérêts immédiats. On dira donc, pour reprendre un terme à la mode, que le phénomène est systémique.
Pourtant on voit bien qu’une période s’achève, avec le retrait des affaires de Jean-Claude Gaudin, les ennuis judiciaires de Jean-Noël Guérini, le crépuscule du parcours tonitruant de Maryse Joissains. Certains trouveront injustes qu’on associe ces destins, en arguant des trajectoires de chacun, qui comportent plus de différences que de points communs. Pourtant, et on pourrait ajouter d’autres noms à ceux de ces trois-là, ils ont emprunté souvent les mêmes chemins vicinaux pour accéder à des sommets où on ne les attendait pas. Gaudin, Guérini, Joissains aimaient du reste, au temps de leur gloire incontestée, rappeler que rien ne leur avait été donné d’avance et qu’ils étaient allés chercher avec les dents, ce pouvoir qu’on leur a reproché plus tard d’avoir largement abusé.
La gent politique est sauvage en effet…
La gent politique est sauvage en effet, lorsque quelqu’un s’extrait de sa condition, pour venir troubler le cercle des nantis d’avance. Gaudin rappelle à l’envi, jusque dans ses mémoires récemment parues chez Albin Michel, que le fils d’un petit maçon de Mazargues n’était pas forcément le bienvenu, pour ceux qui estimaient représenter l’élite du centre droit. Dans un petit livre paru il y a plus de quarante ans – « Sang et or » – Maryse Joissains raconte comment avec son époux Alain, elle avait dû batailler pour obtenir son diplôme d’avocate puis conquérir la mairie d’Aix-en-Provence. La bourgeoise assoupie regarda longtemps d’un œil suspicieux, ce couple venu de Toulon la laborieuse. Jean-Noël Guérini évoque volontiers le chemin parcouru depuis Calenzana et sa corse natale, le Panier et ses pauvres parmi les pauvres, et enfin les ors du Sénat où l’on chuchote bas en pratiquant les bonnes manières.
Les trois ont aussi en commun, cette propension entêtée des entourages, à occuper le périmètre qu’ils ont eu la faiblesse de leur concéder. Il en va ainsi de la vieille amitié de Gaudin pour son ami Claude Bertrand, de la présence pesante aux côtés de Guérini de son frère Alexandre, de l’intrusion quotidienne dans l’espace vital de Mme Joissains de son époux Alain, malgré quelque velléité de divorce, dix fois annoncé et dix fois repoussé.
Ces correspondances sont-elles, in fine, la révélation des tendons d’Achille de ces fauves, qui ont survécu tant de décennies dans l’univers impitoyable dans lequel ils étaient parvenus à s’immiscer puis à se hisser ? Il faudra encore attendre, pour dénouer les fils de ces histoires singulières, où se mêlent, avec une belle constance, le drame et la comédie, et un art consommé du tragique de situation. Pour autant, il serait injuste de faire porter à ces seuls protagonistes, le poids des faits qui aujourd’hui leur sont reprochés. Il faudra bien que les exégètes à venir, fassent la part des choses, en contextualisant chaque cas.
Comment exclure le terreau, lorsqu’on s’étonne de l’envahissement des mauvaises herbes ?
Comment exclure le terreau, lorsqu’on s’étonne de l’envahissement des mauvaises herbes ? Il y a eu ici, et au plus haut sommet de l’Etat, des générations de personnes bien informées, aux pouvoirs étendus, en capacité d’agir, qui sont restées imperturbables. Par désintérêt pour ce qui se passait dans ce sud lointain, ou par intérêt pour ce qu’ils pouvaient en tirer. On se souvient d’un Pierre Mauroy, ancien Premier ministre socialiste qui répugnait en son temps de prendre le thé avec Bernard Tapie, alors infréquentable en raison des scandales qui l’atteignaient. Avec tant d’autres, le même Mauroy avait pourtant déroulé le tapis qui avait permis au président de l’OM de pénétrer la sphère politique. Churchill qui avait payé pour le vérifier disait : « La politique est plus dangereuse que la guerre… A la guerre, vous ne pouvez être tué qu’une seule fois. En politique, plusieurs fois. » Gaudin, Guérini et Joissains ont longtemps été des rescapés.