Par Hervé Nedelec
Passée la sidération, il faudra bien que nos distingués politologues se penchent sérieusement sur cette vague bleue – puisqu’il est semble-t-il abusif de parler de vague brune – qui a balayé ce dimanche la France des villes et des campagnes. Ils auront besoin de sociologues et d’historiens, pour tenter de comprendre comment un pays qui avait fait sien le roman national écrit et diffusé par une grande voix – celle de Charles De Gaulle qui avait collectivement absout les Français du péché de collaboration – a pu aussi massivement accorder sa confiance aux héritiers de ceux qui ont tenté d’assassiner le fondateur de la Vème République. Pour ceux qui ont la mémoire courte, il suffit de rappeler combien ont fait scandale, il y a à peine vingt ans, les municipalités conduites par le FN puis le RN. Elles ont tenté de réhabiliter, en baptisant une place ou une rue de son nom, l’un des protagonistes de l’attentat du Petit Clamart, Jean Bastien-Thiry. Mais nous parlons d’un temps que les moins de vingt ans… comme ils ne se souviennent pas des agapes auxquelles participait chaque été au temps de sa splendeur Jean-Marie Le Pen, au cœur du Var, chez son ami le président de l’USDIFRA (Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie).
C’est pourtant pour partie dans ces braises-là que s’est nourrie la flamme qui depuis le premier tour des élections législatives a éclipsé le flambeau olympique censé braquer sur la France métropolitaine et d’outre-mer les caméras du monde entier. En lieu et place ce sont plus de 200 reporters étrangers qui ont entouré pour sa première déclaration d’après vote Jordan Bardella, récitant comme un élève du primaire les quelques phrases dictées par la hiérarchie historique de son mouvement.
Le feu couvait depuis longtemps et malgré les prises définitives ou temporaires de villes comme Nice, Fréjus, Toulon, Vitrolles ou encore Orange, les démocrates du sud, de gauche et de droite, ont fait leur chemin sans se soucier outre mesure des progrès continus, de scrutins locaux à nationaux, d’une formation où les idées tout-terrain et réversibles à souhait prospéraient sans rencontrer de fortes résistances.
On s’interrogera ici aussi sur ces bastions comme La Seyne, La Ciotat, Martigues où le Parti Communiste s’est peu à peu effacé au profit du RN. L’exemple dominical le plus retentissant est situé dans le Nord où le leader Fabien Roussel a été balayé dès le premier tour dans une circonscription détenue depuis 1962 par sa formation. Là encore les explications d’un Jérôme Fourquet, auteur de L’archipel français, sont sans doute insuffisantes pour expliquer cet extraordinaire phénomène de vases communicants entre le vieux parti communiste et le fringant rassemblement national. Faut-il rappeler que Georges Marchais son secrétaire général parlait au début des années 80 du bilan des années Staline de l’URSS comme « globalement positif ». Le même avec son apparente bonhommie qui justifiait à la même époque l’utilisation d’un bulldozer pour empêcher des immigrés maliens d’occuper un foyer social à Vitry. Le Monde commentait alors l’événement en admettant que le PCF « posait les bonnes questions » à défaut d’apporter les bonnes réponses. Une formulation que l’on retrouve aujourd’hui dans la bouche des adversaires du RN.
Les socialistes sont enfin sortis de leurs cuisines
Le reste de la gauche se réfugie du coup derrière ses figures anciennes : Jaurès, Blum, Mendès-France. Les socialistes sont enfin sortis de leurs cuisines où ils persistaient à concocter des mets sans saveur avec quelques recettes anciennes. Avec les écologistes, ils ont enfin compris que la révolution ne serait pas un dîner de gala. Tous devront compter cependant avec Jean-Luc Mélenchon capable à tout moment d’ajouter la pincée de sel ou de poivre pour gâcher le plat final. Il les a prévenus : « La République c’est lui ». Et pas un autre. A moins de lui enlever son portable et de lui offrir un séjour à l’abbaye de Sénanque, l’insoumis en chef ne se taira pas, avec un principe cent fois répété : « après le déluge, c’est moi ». Seuls les électeurs mettront fin à l’itinéraire de cet enfant gâteux.
La droite républicaine ne peut, elle aussi, pour avoir flatter quelques-unes des idées qui font le lit du RN, refuser de prendre sa part de responsabilité. Depuis son exploit ultime – la manifestation pour l’école Libre de 1984 contre la loi Savary – elle n’a cessé malgré quelques coups de gueule plus spectaculaires qu’efficaces, de flatter la croupe de ce qu’on appelait de moins en moins « la bête immonde ». L’homophobie, le racisme, le souverainisme, la fracture sociale – dénoncée par Chirac sans suite – ont trouvé en ses rangs un terreau fécond. Avec une conséquence d’une logique imparable. Pourquoi ses électeurs auraient quelques scrupules à franchir le Rubicon.
Ils l’ont fait sans sourciller dans les Alpes-Maritimes, le Var, le Vaucluse et ne comprennent pas les gesticulations de ceux qui furent leurs guides et qui n’ont pas voulu prendre en compte la rumeur maligne qui courait dans leurs rangs. Quelques-uns, dans ce camp-là, osent encore faire la fine bouche pour tenter de briser l’élan du RN. La marche est très haute, car on attend de leur part de refuser d’être « outragé » « brisé » « martyrisé » pour être enfin « libéré ». Il est minuit moins cinq disait un commentateur dimanche et ces républicains-là, comme l’imbécile chinois, regardent le doigt qui leur désigne l’heure.
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Notre dossier consacré aux élections législatives