Les jours d’après
Un engagement pédagogique m’a tenu hors de Marseille ces fameux « jours d’après ». Depuis ma ville natale, Toulouse, entouré de 31 étudiants de l’Ecole de Journalisme (EJT), je n’ai pas quitté des yeux – et du cœur – ma ville d’accueil, Marseille. Et de me poser les questions que tant d’entre nous se posent, alors que la tempête souffle fort encore.
Un équilibre si fragile
[pullquote]Il est impérieux, ici et maintenant, que les micros, les caméras, les plumes, se focalisent sur ces hommes et femmes de bonne volonté.[/pullquote] Lors de la première guerre du Golfe (1990), à Marseille, beaucoup craignaient qu’une étincelle embrase la ville. Seule la Cinq, du sinistre Berlusconi, faillit à son devoir en interviewant, cours Belsunce, un illuminé qui appelait les Musulmans à s’en prendre aux intérêts marseillais. Le vacarme lointain des bombes, couvrit la voix de ce malheureux gueulard. On entendit, par contre, en ces temps troublés, réunis autour du maire d’alors le Pr Robert P. Vigouroux, les paroles de Paix et de concorde des hiérarques religieux de Marseille. Ils créèrent « Marseille espérance ». Il est impérieux, ici et maintenant, que les micros, les caméras, les plumes, se focalisent sur ces hommes et femmes de bonne volonté.
Un regard circulaire
[pullquote]Les partis républicains ne pourront pas faire l’économie de l’autocritique.[/pullquote] Beaucoup se réveillent groggy après ce funeste vendredi 13. On utilise cet adjectif pour un boxeur, secoué par les coups d’un adversaire et à la limité du KO. Oui mais Marseille – avec la France – est debout. Une chance. Notamment pour porter, un regard circulaire, au paysage humain qui nous entoure. Il est peut-être urgent de ne plus attendre. Il est nécessaire, à défaut de vouloir l’éliminer, comme le préconisait Brecht avec dérision, de prendre en compte cette si importante partie de la population, composée d’Algériens, de Tunisiens, de Marocains, de Comoriens, d’Africains, de Moyens Orientaux. Les Marseillais, quand ils ne la méprisent pas, s’interdisent de la nommée, de la qualifier, de la voir. C’est une erreur. Pire une faute. On a considéré longtemps, dans les cercles de ceux qui nous représentent, les quartiers où vivent, prospèrent, grandissent ces citoyens – avérés ou en devenir – comme des territoires perdus, ou des périmètres, où seul le clientélisme avait force de loi. Les partis républicains ne pourront pas faire l’économie de l’autocritique.
On recherche les intellectuels
[pullquote]Marseille pourrait être ce point nodal vers où convergerait toutes les pensées, les religions, les engagements pour s’affronter, sans se percuter. [/pullquote]Marseille s’honore chaque année d’accueillir les rencontres d’Averroès. Celui qu’on appelait aussi Ibn Rochd, philosophe, théologien rationaliste islamique, juriste, mathématicien et médecin musulman andalou, a su transcender, à Cordoue au XIIème siècle, sa pensée, pour l’ouvrir aux autres et se nourrir de celles des autres. Marseille pourrait être ce point nodal vers où convergerait toutes les pensées, les religions, les engagements pour s’affronter, sans se percuter. Averroès rejoindrait Platon pour redonner toute sa dimension au forum. Il y a, du Mucem à la maison de la Méditerranée à Marseille, de l’Observatoire du religieux (IEP) à la Maison des Sciences de l’Homme à Aix, suffisamment de talents pour éclairer notre chemin. Et si les chercheurs, comme l’appelait de ses vœux De Gaulle, devenaient des « trouveurs. » D’une raison qui construirait l’espérance.
Il faut le confesser
On ne leur fera pas injure, en affirmant que certains républicains ont mis en avant, plus ou moins ostensiblement, jusqu’ici, leurs convictions confessionnelles plutôt que de prendre en compte la mosaïque de croyances qui type notre territoire. Maryse Joissains Maire d’Aix et Jean-Claude Gaudin Sénateur-Maire de Marseille ne partagent plus en ces temps troublés beaucoup de certitudes. Leurs relations se caractérisent par l’invective et l’anathème. Mais puisque chacun n’a jamais caché sa foi – Gaudin avec ses accointances au Vatican, Maryse Joissains avec ses décolletés enchristés – ils devraient en faire entendre quelques préceptes fondamentaux. Ces derniers jours on a beaucoup évoqué le « vivre ensemble ». Embarquement immédiat, si ces deux capitaines décident de tenir le cap.
Assimilation ou confusion
[pullquote]Mme Marion Maréchal Le Pen est de ces personnages qui prennent facilement la lumière. Encore un petit effort et elle prendra les Lumières…[/pullquote] La députée du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen n’a pas manqué l’occasion de se faire entendre pendant ces heures telluriques. Elle a tricoté, avec un talent oratoire indéniable, le vieil ouvrage de l’extrême-droite, en parlant de l’assimilation et de son corolaire, la non-assimilation. Elle devrait consulter un avocat. Gilbert Collard par exemple, qui a écrit, il y a longtemps, « Voltaire, l’affaire Calas et nous » (Ed : Les Belles Lettres) Nous sommes sûr que son collègue de l’Assemblée nationale, qui se veut fin lettré, lui parlera du « Traité sur la tolérance » où, celui qui par sa libre parole fut souvent condamné à immigrer, rappelle quelques fondements utiles de la démocratie. Comme on le dit à la télé, Mme Marion Maréchal Le Pen est de ces personnages qui prennent facilement la lumière. Encore un petit effort et elle prendra les Lumières… à son compte.
La voix de la France
Il revient aux médias de débriefer, comme on le disait naguère dans les seules armées, les événements qu’ils ont eu le lourd devoir de rapporter. Où l’on voit encore qu’il n’est pas simple de gérer l’immédiateté ou « le temps réel ». Où l’on voit aussi, et particulièrement à Marseille et dans sa région, que les journalistes s’adressent d’abord à une population – on dira européenne ou caucasienne comme on nous qualifie ailleurs – en zappant systématiquement l’autre composante, multi-ethnique, de notre territoire. Il y a plus de vingt ans, un des actionnaires du Provençal avait émis l’idée de faire une édition du journal en langue arabe, pour sortir ceux qui la pratiquent de la marge où ils étaient relégués. Un cadre nous confia qu’il fut bien seul à soutenir l’idée. Elle ne vit jamais le jour. Depuis les lieux de paroles ou d’expressions médiatiques pour ces mêmes populations sont restés embryonnaires. Voilà un bon sujet de réflexion pour les rares chercheurs en journalisme. Au lieu de lancer, rigolard, que les paraboles, dans les quartiers nord, sont toutes tournées vers la Mecque (en fait les télévisions du Golfe), on devrait commencer à réfléchir aux moyens de donner la parole à ceux qui en sont privés depuis si longtemps.
Un sacré coup de vieux
Il appartenait à la mythologie gauchiste ou libertaire. Presqu’un slogan. Qui n’a jamais repris les mots et la belle protestation des Républicains ou Anarchistes espagnols, hurlant devant les pelotons d’exécution franquistes « Viva la muerte » ? Difficile, aujourd’hui, après les attentats de Paris, de reprendre l’expression. Comme elle est rattrapée, par l’actualité, cette phrase soixanthuitarde : « cours camarade le vieux monde est derrière toi ! » Sur les trottoirs parisiens, c’est le Moyen-Âge qu’il fallait fuir. Et puis, disons-le avec fermeté, le stade vélodrome devrait revoir quelques passages de sa bible supportrice. Pour aller droit au but, « Paris on t’encule » n’est plus de saison.