Triomphante, jusqu’à quand ?
On connait l’histoire. Un homme tombant d’un gratte-ciel se confie entre le 24e et le 23e étage : « jusqu’à là tout va bien ! ». Entre son élection et les Européennes de 2019, Martine Vassal pourra, sans aucun doute, dire la même chose. Son vaisseau bleu, à la barre duquel elle s’est incontestablement imposée – à lire la très longue liste des thuriféraires qui s’expriment sur les réseaux sociaux – file belle allure et vient d’accoster sans encombre un autre navire, la Métropole, dont elle est désormais aussi la présidente. Doubles commandes donc à faire cesser une grève à Air France, tant le pilotage semble confortable. Un bonheur n’arrivant jamais seul, Mme Vassal bénéficie d’un soutien populaire enviable avec 34% d’avis favorables face à des Mélenchon-Castaner relayés à des encablures (Sondage Elabe pour Europe 1- La Tribune). Ce ne sont pas les insoumis de St Rémy qui votent ce dimanche pour ou contre leur appartenance à la Métropole, qui devraient faire de l’ombre à son beau tableau de chasse. Faut- il pourtant reléguer ses adversaires de l’intérieur – Bruno Gilles, Renaud Muselier – à la manière d’une Monique Venturini (l’ex-patronne du célèbre New York) qui dans son empressement à célébrer la nouvelle reine écrit que Jean- Claude Gaudin était un « monument de la vie politique ». Attention le successeur de Defferre et Vigouroux n’est pas encore rentré dans les ordres, même si pour rendre à celui qui a mis la métropole sur les fonts baptismaux, Mme Vassal a évoqué Vatican II et Jean XXIII. Si Paris vaut bien une messe, à Marseille elle n’est jamais définitivement dite.
Attention à la Marche
Corinne Versini, l’éphémère déléguée départementale d’En Marche, fait toujours partie de la Macronie. Et elle publie avec une vingtaine d’autres « marcheurs » issus de la « société civile » une tribune dans l’Opinion. Si elle a échoué dans le 13, elle est convaincue que l’espace déniché et exploité par Emmanuel Macron, au cœur de l’échiquier politique, c’est-à-dire le centre, peut s’inscrire dans un développement durable. Et de vouloir préciser la pensée présidentielle plus exprimée jusqu’ici dans des excès de langage que dans un continuum lisible. « Ce corpus idéologique, disent donc les signataires, doit être une réponse à un monde qui perd ses repères et donne des signes préoccupants d’instabilité. Eviter le retour à une polarité droite-gauche artificielle en approfondissant au centre, par le développement d’une doctrine fondée sur le progrès, la fraternité entre les populations, la liberté et les valeurs fondamentales de l’Union européenne. » C’est présupposer que les Français attendent ce centre qui a pour caractéristique d’être partout et nulle part. Clémenceau disait des discours de Jaurès qu’on les reconnaissait « car tous les verbes sont au futur ». Les marcheurs vont découvrir qu’il est difficile de conjuguer le présent.
Quand on n’a pas d’amour
Le grand Jacques nous pardonnera la facilité mais, à Six Fours le 12 novembre, il n’y « aura que Zemmour à offrir en partage ». Eric Zemmour qui est au journalisme ce que la honte est au mur, continue à bâtir son chemin de haine. Ces dernières saillies visaient les prénoms d’origine africaine et Maurice Audin à la veuve duquel Macron a demandé pardon. Les Provençaux sur les réseaux sociaux ont été innombrables à dénoncer la diatribe imbécile de l’aboyeur et Franz Olivier Giesbert, le directeur éditorial de La Provence, dans la dernière livraison du Point lui a retaillé le costume étriqué qu’il n’a jamais cessé de porter. On comprend ceux qui d’Aix à Arles en passant par Martigues, Aubagne ou Marseille s’époumonent à dénoncer la bêtise d’un plumitif qui exige que les parents choisissent des prénoms français pour affirmer leur patriotisme. Il y a encore sur les plages du débarquement en Provence ou sur les collines de Notre Dame de La Garde les traces des balles qui ont fauché les Ahmed, Youssef et autres Mamadou qui portaient les couleurs de la France. Un ancien combattant qui pilotait alors un char Chermann m’expliquait qu’il avait ainsi enterré des dizaines de tabors marocains ou tirailleurs sénégalais après qu’ils ont nettoyé, du côté de Gémenos, les nids de mitrailleuses allemandes. Zemmour qui rêve de réécrire notre histoire ne veut pas l’entendre et il s’instaure maître en négationnisme. D’autres Marseillais souvent communistes ont été aussi outrés par ses dires sur Maurice Audin assistant en mathématiques torturé et assassiné par les paras à Alger, lors de cette guerre qui ne disait pas son nom. A Six Fours il y aura sans doute du monde pour venir écouter cette pornographie de la pensée. Car comme le disait Brel « chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense pas, on prie ! »
L’horreur assumée
Madame Marine Le Pen n’ira pas voir le psy. Elle refuse l’injonction d’une magistrate qui, conformément à la loi, souhaite avoir l’avis d’un spécialiste après que la présidente du Rassemblement national a diffusé sur son compte twitter force images d’horreurs, extraites de la propagande islamique. C’est sans doute pour la fille de celui qui a justifié la torture en Algérie, un détail de l’Histoire. On attendra donc des jours meilleurs pour savoir ce qui, au XXIe siècle, a poussé une « responsable » politique à relayer des décapitations commises par des « fous de Dieu ». Aucune raison de désespérer de voir, même dans longtemps, resurgir la vérité. On a ainsi appris qu’à Marseille des chercheurs, dirigés par le professeur Didier Raoult, avaient, à partir de quatre dents, découvert que le célèbre peintre milanais Caravage (Michelangelo Merisi da Caravaggio, 157I-1610) était mort à Porto Ercole, vraisemblablement à la suite de blessures mal soignées, infligées lors d’une bagarre. Bon, sans doute que Mme Le Pen n’aura pas besoin de montrer les dents, et qu’elle s’expliquera en correctionnelle sur l’utilité de diffuser les crimes commis par des Islamistes.
Les tombés du nid
De cette ville qui n’en finit pas d’agacer ou d’enlacer, maints écrivains se sont toqués. A commencer par André Chénier qui avant d’être décapité (à 31 ans en 1794) avait perdu la tête pour cette cité dont il écrivait qu’elle « était tout l’univers ». Alphonse de Lamartine, dont la destinée fut plus confortable, ne le démentit pas au siècle suivant s’enthousiasmant de ce port donnant « sur ces mers rayonnant d’espérance » et qui « s’ouvre comme un nid d’aigle aux ailes des vaisseaux ». Ils ont été nombreux, au fil du temps, à entendre ce message pour rejoindre cette ville blanche départ de tous les possibles. Carrefour des misères aussi et on n’en finit pas d’égrener la liste des enfants qui échouent dans nos rues, après avoir fui à la hâte les coques des navires, où ils s’étaient glissés le temps d’une improbable traversée. Longtemps ces gamins, plus moineaux qu’aiglons, ont servi de chair fraiche aux pires concupiscences qui, de la gare St Charles à Belsunce, venaient faire leur marché dans l’ombre complice des rues lépreuses de ces quartiers, qu’on ne veut pas voir. L’un de ces ados s’est jeté cet été depuis le 4e étage de l’immeuble où on l’avait relégué, d’autres se sont encanaillés ou volatilisés. Ils sont désormais, loin de chez eux, des enfants de nulle part et la ville ogre finira par les happer. Dans l’indifférence générale ou sous le regard agacé, à nos carrefours, d’automobilistes scandalisés de les voir faire la manche. A l’impassible nul n’est tenu pourtant.
Le fil renoué du bord de mer
La loi littoral permet, peu à peu, de reconquérir les rives, abandonnées parfois à des amoureux attentifs, souvent à des marchands du temple sans scrupule. Le chœur des pleureuses s’étant tu, on peut ainsi retrouver des Goudes à l’Estaque quelques espaces qui avaient été un peu trop prestement « concédés ». Ainsi aux Catalans, singulier banc de sable en cœur de ville qui fait pâlir de jalousie nos amis parisiens, lorsqu’on leur envoie quelques images de corps ambrés déambulant sur un horizon bleuté. Peu à peu, la reconquête réussie redonne au lieu la majesté qu’il n’aurait jamais dû perdre. Certes on regrettera ici et là quelques insolences architecturales, comme cet immeuble Haussmann qui a relégué le fer forgé de ses balcons courants, pour du plexi-glace du pire effet. Comme on se demandera comment quelques cabanons en ruine ont pu pousser ici et là sur les toits. Les bâtiments de France ont l’humeur sélective. Mais en poussant nos pas au-delà de la Tour Paul (1558) – le dernier Lazaret (*) de Marseille – on découvre l’aménagement réussi du bord de mer sous une villa cossue et l’hôtel Richelieu en pleine rénovation (Il se nomme désormais Les bords de mer). Un banc canapé pour prendre le soleil, s’adonner à la lecture ou à la rêverie, un espace privé pour le bronzage et un bar attenant propriété de l’hôtel riverain mais ouvert à tous. Une petite merveille d’univers qui nous fait oublier les défunts Flots bleus à quelques certaines de mètres, où Albert Cohen venait flirter avec sa belle de jour, la mer. Avec ce ponton aussi qui conduit à une plateforme en cercle où l’on pratique le yoga une réussite quasi parfaite. Si l’adjointe au maire, Solange Biaggi, qui a le bonheur d’habiter là arrivait à piétonniser le tout on aurait une merveille qui faisait dire à Jean Cocteau : « Les cafés de Marseille sont plus beaux que le port ! ».
* Un « Lazaret » nom tiré du nom de Lazare, à qui Jésus porta secours, était une sorte de petit hôpital où on a, par exemple, tenté de reléguer un temps les malades atteints de la peste.