Vous l’avez sans doute rencontré dans un café, sur une terrasse, plus probablement sur une plage de la cité phocéenne. Il faut dire qu’il ne passe pas inaperçu, avec sa casquette constamment vissée sur la tête et cet accent reconnaissable entre mille : un anglais du sud qui a pris les couleurs de Marseille. Eddie Platt n’est pourtant pas de ceux qui aiment se faire dorer au soleil. S’il aime briller, c’est pour mettre en lumière une cause, éveiller les consciences.
Ce soleil marseillais est bien loin de la grisaille de sa ville natale. Leeds, dans le Yorshire. 300 kilomètres de Londres. 1540 km de la Bonne-Mère. « C’est joli là-bas, il y a 300 jours de pluie par an », plaisante Eddie, assis à une table de la brasserie de l’OM, sur le Vieux-Port. Là tout le monde le connaît. Des poignées de main, des accolades accompagnées de « salut mon pote ! » Edmund, de son vrai nom, a le chic pour susciter la sympathie.
Lorsqu’il débarque à Marseille, il y a de cela sept ans, il s’installe devant le bar Le Pointu avec sa pancarte “prof d’anglais cherche hébergement.” « Deux femmes m’ont donné deux euros en me disant : « il fait trop chaud achetez-vous de l’eau ». Une autre lui offre le pastis, « que j’avais déjà vomi en Angleterre », raconte Eddie, en rigolant, lui qui aime pourtant les soirées arrosées. C’était même « champagne Monday, champagne Tuesday… » lorsqu’il était commercial au début des années 2000. Paris, Toulouse, Milan, Dusseldorf… pendant neuf ans, il sillonne les routes dans sa Citroën 2CV Cocorico bleu, blanc, rouge, pour vendre des cartes de recharge de téléphone mobile.
D’ailleurs, il dit souvent qu’il est né dans une Citroën DS. Chaque été, dès son plus jeune âge, il visitait la Bretagne, la Normandie… Toute la côte Atlantique jusqu’à la Grande Motte en camping-car, avec ses deux frères, sa sœur et ses parents. « C’est moi qui allait acheter les baguettes et les croissants, en francs à l’époque, il y a 35 ans. Et des chocolatines. J’ai appris le français en faisant les tournantes de ping-pong, rit-il. J’ai toujours aimé la France ». A 13 ans, il passe même une année scolaire à Lille, dans le cadre d’un jumelage, que son père, avocat, membre du conseil de la ville de Leeds pour le parti travailleur, avait initié. « Et il s’occupait des licences pour tous les bars », s’amuse Eddie. Indépendant très tôt, traversant la mer du Nord tout seul entre Lille et Leeds, Eddie n’a pas voulu embrassé la même carrière que son père. « J’étais vif », mais les études très peu pour lui. Il s’essaye alors à plusieurs boulots pour gagner un peu d’argent. « J’ai travaillé avec mon frère dans un hôtel, même fait une saison de ski à Morzine… » Mais c’est en tant que commercial qu’il excelle !
Le « Loup de Wall Street »
« Je gagnais jusqu’à 8000 euros par mois. Le Loup de Wall Street en miniature…, sourit-il. Mais je n’ai jamais été matérialiste, à m’acheter des montres etc… J’ai toujours été dans le partage, alors quand tu sors avec un pote, tous les deux célibataires avec une bouteille de champagne, tu te fais des amis très vite ». Une vie à 100 à l’heure dont il finit par se lasser. « Pour moi, c’était naturel d’être vendeur, j’avais besoin d’utiliser mon cerveau autrement, alors j’ai décidé de devenir prof d’anglais. Je suis allé faire une année scolaire en Pologne pour préparer des personnes au Toefl.» Entre ses cours d’anglais dans les entreprises aux élèves en difficultés, qu’il aimait torturer en mangeant une pâte à base d’ail, il s’éprend de vodka, de sauna et se met même au tennis.
Sur l’une des télés de la Brasserie de l’OM, ce jour-là, Nadal affronte Thien, en quart de finale de l’US Open, et Eddie interrompt son récit pour voir le point. Tandis que la rencontre suit son cours, un œil parfois sur l’écran, l’Anglais raconte qu’à Kedzieryn-Kozle, où il a vécu un an, il voyage souvent sur la toile. Dans l’actualité, on parle de l’Olympique de Marseille. « On ne parlait que de ça quand on cliquait sur Marseille, ça m’a intrigué ». C’est son tout premier contact avec la deuxième ville de France. Et bientôt le virtuel devient réel… « Je devais aller à Naples pour un job au British Council ». Comme toujours, c’est en stop qu’il se déplace le plus naturellement, avec une escale de quatre jours prévue dans la cité phocéenne. « Finalement, je suis resté sept ans. J’ai vu les calanques, le ciel bleu loin de celui de Leeds… 60 nanas qui faisaient de la gym suédoise sur la plage du Prado au coucher du soleil. Naples adieu », il tombe sous les charmes marseillais. Plus que la carte postale idyllique, il découvre une ville dont la beauté tranche avec le désordre ambiant. Et Eddie aime ça, car « dans le désordre il n’y a que des opportunités et en plus personne ne parle anglais, je me suis dit Marseille est une mine d’or pour l’anglais ».
Une ville de paradoxes
D’auberges de jeunesse en petits boulots, il entre à Berlitz, au centre de langues vivantes et continue d’apprivoiser la nouvelle belle de sa vie, pleine de paradoxes. « Je n’ai jamais vu autant de beauté et de saleté, autant de générosité et de méchanceté sur un seul code postal… Marseille c’est presque la plus belle ville du monde, mais elle est traitée comme une pute, comme une poubelle… » Pour lui, ça ne suffit pas de la « kiffer », il faut la « préserver ». Ce message il a tenté de le véhiculer… Et c’est à la suite d’une initiative personnelle d’une grande simplicité qu’Eddie Platt a marqué, à sa manière, les mentalités.
Alors qu’il a toujours estimé que l’Angleterre était propre, de retour à Leeds pour quelques jours, il découvre une autre réalité. « J’ai ramassé un déchet. J’ai mis la photo de la canette sur Facebook avec une légende : « ma nouvelle habitude, c’est de ramasser un déchet par jour », raconte Eddie qui n’a pas peur de dire qu’il était un gros pollueur. « J’étais fumeur, je jetais 10 000 mégots comme tous les fumeurs. J’ai fumé pendant 20 ans, j’ai donc pollué 50 millions de litres d’eau. Mais je ne savais pas, nous n’avions pas les infos que l’on a aujourd’hui, cette conscience… » Sur les réseaux sociaux, son post devient viral. « Les gens commençaient à m’envoyer des photos d’eux en train de ramasser. Je n’avais rien demandé, c’était mon challenge. » Ça like, ça commente ! « On m’invitait dans d’autres villes… » Et il y a ce post : « si tu arrives à faire en sorte que les Marseillais ramassent un déchet par jour, tu es mon Dieu »
Les 8000 kilomètres de « L’escargot anglais »
Loin de lui l’idée de prêcher la bonne parole, mais porté par cette volonté de faire évoluer les habitudes, dès son retour dans la cité phocéenne, les choses s’enchaînent très vite. La page Facebook, le site web, avec ce titre « l’Anglais qui voulait nettoyer Marseille », la première opération de communication. C’est une réussite, grâce à Romain Jouannaud, directeur artistique de l’agence All You Need is Com’ et Georges-Edouard Legrè, consultant en eMarketing. Ensemble, ils décident de lancer le projet #1pieceofrubbish (#dechetparjour) fin septembre 2015. Eddie se souvient de la conférence de presse avec café-whisky sur les tables dès 9 heures du matin, « pour faire comme les cafés irlandais », sourit-il. « On voulait inviter tout le monde à ramasser un déchet par jour en nommant cinq autres personnes à la manière du Ice Bucket challenge. Que ce soit ludique, que ce soit #ramassercestsexy… ».
L’association, elle, voit le jour en 2016, et les célébrités comme Frédéric Bousquet, Nathalie Simon, Florent Manaudou n’hésitent pas à porter le message ; qui trouve aussi sa place dans le scénario de Plus Belle La Vie. Avec la volonté de rendre plus belle la ville de Marseille, l’action menée en janvier 2016 réunie 350 personnes sur la colline de la Bonne-Mère. 2,2 tonnes de déchets sont ramassées en trois heures sous le regard stupéfait du gardien qui confie à Eddie : « En 800 ans, c’est la première fois que les Marseillais viennent nettoyer leur colline, et il fallait que ce soit grâce à un Anglais… ».
Cette marque de fabrique, il l’entretient, l’utilise pour ces « missions », comme l’année dernière avec « L’escargot anglais ». 8000 kilomètres autour de la France. Lille, Nantes, Strasbourg… toujours en stop, avec son hamac. « J’ai dormi dans 49 endroits différents, ramassé avec les associations rencontrées sur la route presque 125 000 déchets », en tentant systématiquement d’éveiller les consciences selon ses quatre « C » : « on est tous consommateurs, on est tous coupables, on doit tous se sentir concernés et on est tous capables d’agir ». Eddie parle désormais comme un Marseillais. « Je ne m’en bats pas les c****** de la propreté de Marseille, de l’avenir de la nature, de la catastrophe écologique… » Et c’est dès le plus jeune âge que l’association sensibilise à ces enjeux, avec des packs pédagogiques. « Il faut parler transition écologique, préservation, économie circulaire, circuit court, nutrition… chaque semaine, ça doit être intégré au programme ». Durant ces dernières années, il était de chaque action pour la préservation de la planète, l’une des dernières La marche pour le climat, le 8 septembre, où il portait un t-shirt au slogan volontairement provocateur « Arrête de niq** ta mer ».
« Mer-sea Marseille ! »
Eddie a toujours eu soif de découvrir le monde. Jamais il ne s’était établit aussi longuement dans une ville. Si Marseille reste dans son cœur et que son amour pour la France est inconditionnel, à presque 40 ans, ce « globe-nettoyeur » s’apprête à mettre le cap sur un ailleurs. Il se donne entre six mois et six ans pour atteindre la Tasmanie. 18000 kilomètres, encore et toujours, en levant le pouce au bord de la route. « Le stop, c’est le meilleur moyen pour rencontrer des gens ». Sensibiliser, vivre de cours d’anglais, il va continuer à porter le message de #1dechetparjour, « avec mon maillot de l’OM sur le dos. D’ailleurs, s’il y a un sponsor… », lance-t-il. Avant ce périple, il veut se ressourcer quelque temps dans le Var. Souffler et pourquoi pas écrire sa vie marseillaise. « J’ai des choses à raconter, des souvenirs majoritairement positifs dans cette ville, mon expérience, parler de la naissance de l’association… Peut-être que j’ai eu un impact positif sur l’écologie, la vie des gens… D’être accueilli, ici, par les Marseillais, c’était magnifique ». Dans l’un de leurs pixoramas qui s’affichent sur les bus touristiques à impérial, les eBoy l’ont immortalisé. Preuve que cet Anglais, un peu fou-fou, a su marquer la ville d’une empreinte indélébile. Il ne sait pas s’il reviendra un jour. « Il faut vivre dans l’espoir », confie-t-il. En regardant ainsi dans le rétro, il ne trouve d’autres mots pour dire son attachement à cette ville qui a su l’adopter : « Mer-sea Marseille ! »
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