Un reportage Capital
Avec Capital, Marseille loin des cartes postales, le photographe barcelonais Arnau Bach (photo capture d’écran arnaubach.es) livre un travail salutaire sur une ville qu’il a fini par aimer. Parce que naguère il avait été impressionné par le film « La Haine » l’artiste s’est immergé neuf mois durant dans ces quartiers qu’on lui avait décrits comme Bagdad. Il a du coup accouché d’un travail en tout point remarquable. Sans doute parce qu’il est frappé du sceau de l’empathie. Arnau est tombé amoureux de ces hommes, ces femmes, ces enfants qui survivent dans ces cours des miracles qui surplombent la vitrine acceptable de Marseille. Une photo est révélatrice qui surprend deux silhouettes dans l’ancienne salle du conseil municipal du palais-mairie observant à la dérobée cette réalité que fuient ou nient les politiques. Il y a du Marius et Jeannette dans l’approche du photographe parce que, comme Robert Guédigian, il a aimé se frotter à ces tranches de vie rudes et tendres, maladroites et résolues, moches et magnifiques. Il faut s’embarquer dans cette belle traversée, si loin des cartes postales.
Sublime villa
Les nouveaux mariés la connaissent pour immortaliser leur union en son jardin odorant à la flore multiple. La villa Valmer est un de ces joyaux que la ville a su épargner des flots dévastateurs des foules empressées. Il en est ainsi d’autres lieux des Accates à l’Estaque, de Callelongue au massif de l’Étoile. La superficie de la cité (240 km² contre 105 à Paris) n’y est pas pour rien. On se prend pourtant à rêver d’un lien qui conduirait le promeneur d’un trésor à l’autre. Un bus sonorisé par exemple qui donnerait à voir ces lieux qui disent mieux que tous les discours que Marseille est plurielle. Et peut-être d’y croiser les ombres de Cézanne, Maupassant, Pagnol. Tant d’autres qui ont emprunté ces chemins de rocailles aux senteurs violentes ou douces. Ce printemps, on nous annonce que les navettes maritimes prolongeront la randonnée du Vieux-Port à la Pointe-Rouge jusqu’aux Goudes. On va se régaler et se gaver de roches blanches flirtant avec l’azur et les flots bleus. Et bon Dieu ! Que ce sera bon de respirer l’écume en cette saison où l’on étouffe sous les mots qui excluent, condamnent, vilipendent.
Le brûleur de loups (Suite)
Nous interpellant sur notre dernière chronique notre confrère-galeriste-bouquiniste Alain Paire nous signale qu’un petit film de sept minutes évoque « Le Brûleur de loups ». Cette brasserie, aujourd’hui OM Café, a abrité une partie de l’intelligentsia française pendant l’occupation et jusqu’aux années 50. Alain Paire nous dit aussi cela en chapeau de son évocation en images : « André Breton fait séjour à Marseille à compter d’octobre 1940. Il rejoint l’équipe de Varian Fry et Victor Serge qui ont élu domicile à la Villa Air Bel. Il quittera le Vieux-Port à bord du Capitaine Paul Lemerle, le 24 mars 1941. La Villa Air Bel a été squattée et puis détruite au début des années 80 : ses uniques vestiges, ce sont un jardin d’herbes folles et les deux piliers de la porte d’entrée. Le film évoque la figure de la compagne de Breton, Jacqueline Lamba et l’action de Varian Fry que Victor Serge définit comme le tout début de la Résistance en France. Des images d’archives situent le passage en décembre 1940 du Maréchal Pétain ainsi que le trajet du tramway qui permettait, depuis la gare de Noailles, de rejoindre en 30 minutes la Villa Air Bel où fut inventé le Jeu de Marseille. Sur le quai du Vieux-Port, on retrouve le café du Brûleur de loups, lieu de ralliement des surréalistes et des membres de la coopérative des Croque-Fruits. Sur le bateau qui l’emmène vers la Martinique et les États-Unis, André Breton se lie d’amitié avec Claude Lévi-Strauss. » Rendez-vous vite sur www.mativi-marseille.fr pour déguster cette évocation d’Alain Paire filmée réalisée par François-Mouren Provensal. Par ailleurs notre confrère donnera ce mardi, à l’auditorium du musée d’Histoire de Marseille à 18h, une conférence sur les Cahiers du Sud.
L’été sera jazz
Il y aura encore les cinq continents et on s’en réjouit. Marseille a été un creuset historique pour le jazz et du Panier à la place aux huiles retentissent encore des scats d’enfer pour ceux qui savent prêter l’oreille. Cet été, il y aura encore de belles rencontres du 19 au 29 juillet. Avec une mise en bouche exceptionnelle aux musicales de la Moline (11e) China Moses. Son dernier album (Nightintales chez MPS) fait la course en tête sur I tunes, en France comme en Allemagne. Onze titres enregistrés à Londres avec un trio génial (Luke Smith, Neville Malcom, Jerry Brown) qui forment la synthèse parfaite de sa déjà longue carrière. China a traversé avec bonheur tous les genres musicaux de ces dernières années. Elle les évoque régulièrement sur TSF Jazz où elle tient chronique le jeudi à 19h. Elle s’en inspire, les dépasse, et les restitue avec une élégance qui n’a d’égale que son plaisir à s’exprimer vocalement. Elle est la fille d’une grande dame, Dee Dee Bridgewater, et le 3 juillet dans le délicieux parc de la Moline, les Marseillais pourront constater qu’elle a fait fructifier son héritage. D’autant que pour China, Marseille est un port d’attache intime.
Marseille à la page
Cette ville est littéralement littéraire. Elle se prête au vagabondage tout autant qu’au portrait, à la fiction, au polar, au fantastique, à la poésie. Quelques forêts ont été sacrifiées pour la mettre en page. Les concepteurs des docks ont eu la belle idée d’afficher une fresque d’acier sur le côté exposé au mistral (le bien nommé) et d’y graver quelques phrases d’auteurs célèbres. Ils ont tous à leur façon, amoureuse ou rude, déclaré leur flamme à cette ville d’où l’on part tout autant qu’on échoue. Il faut savoir gré aux Pagnol, Izzo, Contrucci… tant d’autres encore d’avoir su poser les mots qu’il fallait sur les maux qui usent, sans jamais l’abattre, cette ville monde. Une vague récente veut que quelques-uns – Etchegoin, Pujol, Monnier – aient plongé profondément la plume dans la plaie. D’aucuns regretteront un effet de mode qui veut que l’on s’attarde sur le plus laid, le plus faible, le plus condamné d’avance. On attend désormais les livres qui révèleront aussi le charme indécent de cette mosaïque superbe, où se percutent tous les univers, toutes les cultures, tous les arts… cette anarchie sublime où triomphent les suds.