Les études sur les entreprises innovantes de la Région Paca ont montré que les principaux obstacles à l’innovation étaient de trois natures différentes : l’accès aux financements, l’accès aux ressources humaines pour l’innovation et l’accès au marché. En ce qui concerne les start-up, qui sont une catégorie un peu à part d’entreprises innovantes, les deux premiers obstacles peuvent devenir soit des murs insurmontables soit des pièges mortels au-dessus desquels les jeunes pousses sont suspendues et où elles risquent de finir prématurément leur carrière.
Il ne suffit pas d’injecter du cash pour renforcer la start-up
La vie d’une start-up est fragile, aussi fragile que celle du funambule qui utilise son balancier pour sécuriser son trajet. Ce n’est pas nouveau de dire que les start-up ont un « gouffre » à traverser pour arriver au pays (parfois imaginaire) du succès. Ce que je voudrais discuter ici est plutôt l’idée que nous nous faisons du trajet qu’elles doivent parcourir. Dans notre esprit (et souvent dans l’esprit du chef d’entreprise), il ressemble à la figure 1. Nous pensons que pour que le chef d’entreprise puisse arriver à bon port il nous suffirait de combler le gouffre en injectant suffisamment d’argent ou/et d’élargir la taille de la poutre sur laquelle il avance en renforçant le nombre des effectifs ou la qualité des effectifs existants.
Il s’agit là d’une vision trop simple, voire simpliste, de l’univers de la start-up et de sa croissance. La lecture d’un article paru sur Internetactu.net le 19 avril 2012 et la visite du site Web du programme collaboratif auquel cet article fait référence, Startup Compass, m’ont conforté dans la vision que nous avons à l’ARII (Agence Régionale de l’Innovation et de l’Internationalisation) du métier de chef d’entreprise innovante, des défis auxquels celui-ci est confronté et de la pertinence des formations que nous avons mis en place au sein du Réseau PACA Innovation.
Les start-up qui réussissent sont celles qui “pivotent”
Ce que disent les premiers résultats du projet collaboratif Startup Compass, lancé en 2011 et dont l’objectif est d’accélérer la croissance des start-up, en leur permettant notamment, par l’intermédiaire d’un benchmark gratuit, de mesurer leur performance globale en se comparant aux 3 200 autres start-up de la base de données, c’est que les entreprises qui réussissent le mieux (je cite ici le texte de Internetactu.net) sont celles qui « pivotent au moins une fois ». Un pivot consiste, toujours selon Startup Compass et Internetactu.net, à « changer au moins une fois une partie importante de son activité ou de son modèle d’affaire ». Le trajet possible de la start-up ressemblerait donc plutôt au second schéma où après avoir « pivoté » deux fois sur son business model (le fil plus ou moins large et l’objectif), la start-up se dirige vers un modèle qui ressemble à A3 et a abandonné A1 et A2 malgré le fait que A2 pouvait paraître plus simple à atteindre en raison de la taille de la poutre ou du vide comblé en partie sous ses pieds. Car ce que montre l’étude, c’est que ce n’est pas l’argent qui vient combler le gouffre qui est le déterminant de la réussite ! Et c’est là la grande surprise de cette étude.
Les start-up qui font des levées de fonds trop tôt ou trop importantes, et quicourent sur la poutre pour atteindre l’objectif (qui est souvent celui de la commercialisation de l’innovation) pour rentabiliser leur affaire au plus vite, courent en fait vers leur propre fin ! Le passage trop tôt « à l’échelle » peut s’avérer fatal. C’est là une remise en question majeure de l’idée que nous nous faisons de la mise sur le marché des produits ou services de la start-up. D’après l’étude, une start-up a, en moyenne, besoin de deux à trois fois plus de temps que prévu dans le plan initial pour valider le marché. Cette sous-estimation signe trop souvent leur arrêt de mort. De même, l’étude montre que les start-up surestiment la plupart du temps leur marché par un facteur moyen de 100, et interprètent souvent leur marché comme nouveau alors qu’il ne l’est pas.
Enfin, j’ai noté dans cet article que (je cite) : « Les start-up cohérentes passent le plus clair de leur temps à découvrir qui sont leurs clients, tandis que celles qui échouent ont tendance à chercher à valider ce que les clients attendent de leurs produits ». C’est là la différence entre une innovation qui est centrée sur l’utilisation d’une technologie par des clients et l’usage que vont faire les clients de l’innovation (découvrir « qui sont mes clients »).
Un marché potentiel totalement surestimé
Quels enseignements devons-nous tirer de cette étude passionnante qui met en lumière ce que bon nombre d’entre nous avaient à l’esprit de manière plus ou moins confuse ?
Tout d’abord le « pivot ». C’est la preuve par l’exemple que l’effectuation est bien le mode de fonctionnement du chef d’entreprise qui réussit sa start-up. La méthode défendue par SKEMA et enseignée au sein du Réseau Paca Innovation qui permet d’étendre le champ des possibles et de sélectionner le point d’arrivée trouve ici une justification éclatante.
Ensuite, que le business model doit être retravaillé en permanence. Là encore, les méthodes enseignées aux accompagnateurs du Réseau Paca Innovation, et dont l’objet est la remise en question du business model, sont des outils précieux.
Enfin, les accompagnateurs d’entreprises et les financeurs (clubs de Business Angels par exemple) qui attachent avec raison beaucoup d’importance à personnalité du chef d’entreprise, à sa flexibilité et son adaptabilité aux situations complexes, pourraient rajouter, à moins que ce ne soit déjà fait, comme critère de sélection pour le financement des jeunes pousses, trois ou peut être quatre choses :
1) Le nombre de « pivots » effectués par l’entreprise
2) La quantité d’argent déjà levée (public ou privé), non pas comme un critère de réussite mais comme un critère potentiel d’échec !
3) Un benchmark obligatoire et régulier en utilisant le site de Startup Compass (plus cette base d’accélération de jeunes pousses en ligne sera riche plus elle sera fiable)
4) Le temps passé à étudier le marché
Quant à la taille du marché surestimée la plupart du temps par la start-up, ne nous laissons pas duper. Il s’agit là du mythe tenace du « grand marché » (auquel nous aimerions tous croire) qui découle souvent d’une vision trop égocentrique d’un chef d’entreprise qui sait convaincre. Ce ne sont pas eux qui sont à blâmer. C’est la responsabilité des accompagnateurs d’aider les chefs d’entreprises à « pivoter » pour mieux retrouver leur équilibre afin qu’ils reviennent à plus de réalisme et ne courent pas vers une mort annoncée.
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(photo de Une : Flickr/cc/JeanneMenj)