La crise sanitaire a mis la justice à l’arrêt pendant plus de deux mois. A situation inédite, mesures exceptionnelles. Le nombre de détenus a chuté de 13 000 durant cette période, passant de 72 500 le 16 mars à 58 926 mi-mai en France, un record. Les mesures adoptées, à visée sanitaire, ont été prises dans l’urgence pour éviter la propagation du virus en milieu carcéral. Benoît Vandermaesen, premier vice-président en charge de l’application des peines au tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence et délégué du Syndicat de la Magistrature du tribunal d’Aix dresse pour Gomet’ un bilan (non-exhaustif) de la justice post-Covid.
Qu’avez-vous pensé de l’usage qui a été fait du droit durant cette période de confinement ?
Benoît Vandermaesen : Je dirais que c’est critiquable pour un certain nombre de points, notamment ce qui concerne la détention provisoire, avec l’article 16, où le droit a été utilisé hors des standards démocratiques, en prolongeant l’incarcération sans que le mis en cause ne soit vu par un juge, ce qui est contraire à la jurisprudence de la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Mais pour l’application des peines, l’ordonnance du 25 mars s’est avérée positive, plusieurs dispositions ont été prises, dont certaines encore applicables aujourd’hui. Elle a permis de faire baisser la population carcérale, on a 13 000 condamnés en moins, la moitié environ parce qu’ils ont été libérés et l’autre moitié parce qu’il y a eu moins d’incarcération; pour la première fois en France depuis très longtemps on ne dépasse pas le taux d’occupation de 100%.
Quel regard portez-vous sur cette ordonnance ?
Benoît Vandermaesen : Plusieurs dispositions ont permis de sortir plus vite, en favorisant les libérations sans audience, en accordant des réductions de peine exceptionnelles pour ceux qui se tenaient bien en détention malgré la suppression des parloirs et des activités, les assignations à résidence à deux mois de la fin de peine et encore d’autres ont été utiles et ont permis de passer en-dessous du seuil de 100%. On sait que la première des règles c’est l’encellulement individuel pour éviter la propagation du virus. Il est prévu par les textes depuis longtemps mais n’est pas respecté malgré les recommandations du contrôleur général des prisons. Les autorités politiques, en suivant les avis sanitaires, ont fait ce qu’il fallait pour le mettre en place durant cette période, permettant la libération de plus de 6000 détenus, supprimant ainsi la surpopulation carcérale.
Le taux moyen d’occupation carcérale en France était avant la crise de 135%, mi-mai il était de 100%.
Benoît Vandermaesen
Le taux moyen d’occupation en France était avant la crise de 135%, mi-mai il était de 100%. Après, pourquoi a-t-on réussi aujourd’hui ce qu’on avait jamais pu faire auparavant, c’est parce que la crise était telle que les autorités politiques ont eu peur des mutineries en prison, comme ça a été le cas en Italie. Je suis également membre de l’Association Nationale des Juges de l’Application des Peines (ANJAP) et avec l’association, on a des discussions avec la chancellerie pour essayer de maintenir dans le futur un certain nombre de dispositions. On avait notamment demandé une amnistie pour certaines petites peines mais nous ne l’avons pas obtenu.
Sur quels critères les détenus ont été libérés ?
Benoît Vandermaesen : On a les critères de l’ordonnance du 25 mars que je viens d’évoquer, mais dès le début de la crise, avant l’ordonnance, on a utilisé tous les critères de notre boîte à outils de juge de l’application des peines, notamment en favorisant ce que l’on appelle les hors débat , sans audience, ou en étant plus généreux dans l’octroi des réductions de peine pour bonne conduite. Alors on a eu les critères de l’ordonnance du 25 mars, notamment les délais de prescription de l’action publique et d’exécution des peines suspendues ; les règles de procédures pénales applicables aux personnes en garde à vue, détenues à titre provisoire assouplies… Mais au-delà de l’ordonnance, on a aussi tous les critères de notre boîte à outils de juge de l’application des peines. Par exemple, tous ceux qui ont fait une demande d’aménagement de peine et qui était en cours, on l’a traité rapidement, on a pas eu besoin d’audience pour le faire.
On sait tous qu’en raison de la surpopulation, la réinsertion est plus difficile.
Benoît Vandermaesen
Quels axes de réflexion se sont dessinés pendant cette crise ?
Benoît Vandermaesen : Pour l’application des peines, ce qu’on peut en retirer, c’est essayer de mettre en place certaines règles pour lutter contre la surpopulation. Ce qui serait intéressant, c’est d’arriver à un système de “numerus clausus” en prison, qui ferait que chaque nouvelle entrée, celui dont le fin de peine est la plus proche serait libéré. On sait tous qu’en raison de la surpopulation, la réinsertion est plus difficile. Il faut favoriser la réinsertion des détenus et l’un des meilleurs outils, c’est d’éviter la surpopulation pour pouvoir préparer des projets de sortie. Une circulaire de la Garde des Sceaux datée du 20 mai dernier invite les parquets à améliorer la régulation carcérale afin de favoriser les libérations.