La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Mathieu Gontier, 33 ans
Travaille à Marseille, avec Paris et la Russie,
Paysagiste dplg au sein de l’agence Wagon Landscaping, enseignant à l’École national supérieur de paysage de Marseille, responsable de la 3e année du master commun avec l’IUAR « Paysage et aménagement »
Jean-Noël Consales, 38 ans
Vit à Marseille, travaille entre Aix-en-Provence et Marseille
Maître de conférence à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional de l’AMU, directeur du master commun avec l’ENSP « Paysage et aménagement »[/pullquote]
GoMet’. Définition. À quels éléments associez-vous l’objet métropolitain ?
Mathieu Gontier. Aix-Marseille-Provence présente la particularité de ne pas relever uniquement de l’urbanité : les grands vides, entre les villes et les zones périurbaines, y sont composés et structurés par d’importants massifs. Ces derniers s’épanouissent dans des parcs presque informels susceptibles d’offrir aux habitants une meilleure qualité de vie. Dans le même temps, ils complexifient le déroulement quotidien des activités humaines : comment circuler avec fluidité au sein de ce triangle Fos-Aix-Marseille ? Il devient indispensable d’inventer de nouveaux flux pour connecter, entre les reliefs, les points d’urbanité.
Jean-Noël Consales. Il s’agit en effet d’une tentative de mise en cohérence territoriale face aux enjeux forts soulignés par Mathieu. Cette ambition est probablement partagée par l’ensemble des métropoles : trouver l’échelle la plus pertinente pour définir la ville et ses territoires. Si cette relation-là ne peut plus s’envisager comme auparavant, — le contexte a changé —, elle ne doit pas non plus s’affranchir des contraintes locales. Entre espaces naturels omniprésents et polycentrisme urbain, Aix-Marseille-Provence semble bien placée pour en témoigner.
G’. Dynamiques. Détaillez-nous ces mouvements ambivalents que vous percevez.
J-N.C. Au regard des autres métropoles, ce territoire répond d’un éclatement urbain nettement plus marqué, avec en son sein une ville centre qui pose problème. Né de ces imbrications entre villes et nature, son immense potentiel est aussi la source de points très négatifs, la question de la difficile mobilité, pour n’en citer qu’un. Cet éparpillement révèle aussi des disparités sociales d’un morceau du territoire à un autre. La réflexion métropolitaine ne peut se faire sans inclure cette dimension-là.
M.G. Cette question des entre-deux constitue probablement une piste de développement d’un projet métropolitain durable. Comment la ville et la nature s’appréhendent-elles ? C’est bien par le prisme de ces dynamiques naturelles, inhérentes à ce territoire, qu’il convient désormais d’inventer une autre manière de créer la Ville.
J-N. C. La future métropole doit en effet faire de cette géographie particulière son socle constitutif : se penser en tant que « pleins » avant tout via ces zones de non-densité.
G’. Perspectives. Identifiez-vous d’autres enjeux ?
M.G. Afin de palier les problèmes de flux, ce territoire aurait tout intérêt à travailler en bonne intelligence à la poursuite d’un objectif : retrouver un équilibre entre lieu d’activité professionnelle et espace de vie personnelle.
J-N. C. Il en va d’ailleurs de l’attractivité économique de cette métropole dont les qualités brutes ne manquent pas. À l’échelle du monde, la situation géographique d’Aix-Marseille-Provence, entre mer et montagne, est incomparable. Il me semble ainsi que la valorisation de la dimension locale, en s’appuyant notamment sur le tissage d’une nouvelle relation au vivant, peut permettre de fabriquer du cadre de vie fonctionnel pour tous, de manière presque démocratique.
G’. Outils. Comment mettre en mouvements ces potentiels-là ?
J-N. C. En tant qu’urbaniste, je ne peux que réaffirmer la nécessaire maîtrise du foncier à l’échelle métropolitaine, avec une attention spécifique portée aux espaces agricoles. Contrairement aux massifs, ces ressources-là sont moins protégées et donc trop souvent vouées à une urbanisation anarchique. La concurrence installée entre consommation de ces terres cultivées et besoins non négligeables en termes de logements condamne à court terme toute réflexion sur la question du foncier. Or, la stratégie urbaine qui prévalait jusqu’alors, portée par les communes, n’est clairement plus la réponse adaptée face aux nouveaux enjeux. Il nous faut inventer un outil, certes non sclérosant pour les maires, mais concerté au niveau d’un territoire plus large ; et ainsi dessiner un projet urbain de conciliation et de développement.
M.G. Pourquoi ne pas inventer tous les outils nécessaires à l’avènement d’une métropole intelligente ? Chacun a aujourd’hui conscience du retard pris par Aix-Marseille-Provence sur ses voisines. Faisons de ce faux-départ le biais d’une inventivité constructive ; faire vivre la ville et ses espaces de manière innovante. Le foncier, les énergies, la mobilité : autant de sujets à traiter collectivement et dans la transversalité.
J-N. C. Low cost easy take [low cost, c’est low cost] : c’est la formule affichée par Euromed II. C’est aussi une juste synthèse de ce modèle sur lequel peut se fabriquer la métropole, à base d’inventivité pas chère et reproductible, avec des moyens technologiques modestes, à partir d’idées innovantes…
M.G. Inventer une métropole à la fois pour tous et pour chacun.
J-N. C. La présence de la nature est en cela déterminante : ce territoire s’en est coupé au fil de l’histoire urbaine. Il est grand temps de démocratiser à nouveau l’accès aux entre-deux.
G’. Imaginaires. À quelles fictions associez-vous ce territoire ?
J-N. C. Elles sont plurielles : Aix-en-Provence et Marseille, villes distantes de trente kilomètres seulement, nourrissent des imaginaires bien divergents. Dépassons ces clichés à la recherche d’un récit métropolitain collectif.
M.G. Je reprendrai ici une formule ces derniers temps presque galvaudée : les quartiers nord doivent devenir le grand sud aixois. C’est peut-être l’un des objectifs que l’on pourrait imaginer se fixer, avec à la clé la réussite d’un projet territorial et social cohérent dessiné autour et avec les espaces naturels. Les logiques internationales de protection excessive nous empêchent aussi d’inventer ce nouveau modèle d’équilibre entre les villes, le périurbain et la nature. Les énergies à mobiliser se situent pourtant au cœur de ces entre-deux. Éveillons la conscience de tous !
Ce que GoMet’ en retient
Seule la coordination de ses efforts peut permettre à Aix-Marseille-Provence de faire face aux enjeux spécifiques d’un territoire-nature. La géographie de cette métropole, entre pôles urbains et espaces naturels, doit devenir l’ossature d’un projet d’aménagement durable, révélant ainsi les potentiels déjà existants. Inventivité, concertation élargie et collectivité : c’est sur ce triptyque-là que pourrait s’appuyer la construction d’un cadre de vie à nouveau cohérent et pour tous.