La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Caterina Aurel, 47 ans
Urbaniste architecte, originaire de Toscane en Italie
Marc Aurel, 50 ans
designer
Originaire de Strasbourg
Tous deux aujourd’hui installés à Cassis[/pullquote]
GoMet’. Définitions. Quelle serait votre définition d’une métropole ?
Marc Aurel. Il s’agit d’un territoire pensé pour ses habitants : il doit ainsi être structuré dans une cohérence d’offre de services, en termes de mobilité notamment. Le projet métropolitain doit finalement s’attacher à permettre aux citoyens de jouir pleinement des atouts et de la diversité de leur espace de vie.
Caterina Aurel. Les aspects davantage techniques définissent également cette entité. En France particulièrement, on ne peut omettre d’évoquer la dimension politico-administrative, à travers une vision et une pratique très verticales des choses. Cette stratification n’engendre pas uniquement des effets négatifs : elle participe, lorsqu’elle est structurée, à ancrer dans le temps une véritable culture du projet urbain. C’est par exemple le cas à Lyon et à Paris : les savoir-faire et les outils sont autant de fois multipliés et articulés au service du développement de ce territoire étendu.
G’. Dynamiques. Quelles dynamiques éprouvez-vous au sein de ce territoire ? Cela que vous en constatiez les mouvements ou que vous en regrettiez l’inertie.
M.A. Je noterais déjà un manque de volonté politique ; des décisions sont indispensables à la concrétisation des projets qui n’attendent que d’émerger.
C.A. C’est l’ensemble de la collectivité qui n’est pas à la hauteur du cadre de vie qui lui est donné ! Ses exigences en termes de politiques publiques, de mobilité, d’environnement, sont en deçà des richesses dont est pourvue cette métropole ; exceptée tout de même la mobilisation qui a permis la réussite du projet autour du Parc national des Calanques.
M.A. Le territoire, Marseille particulièrement, a toujours cherché à se différencier. Il nous faut identifier les singularités de cet espace et ensemble, avec la puissance du vivier de créateurs qui a choisi d’y vivre, les réaffirmer. Aix-Marseille-Provence, au prétexte de rattraper son retard, ne doit surtout pas s’engouffrer dans des schémas préexistants. Décideurs et créateurs peuvent au contraire se saisir de cette latitude là pour repenser et restructurer cette future métropole. C’est ainsi que Barcelone est aujourd’hui devenue un modèle en Europe ; elle a réussi, en se servant de l’organisation des Jeux Olympiques d’été en 1992 comme d’un tremplin, à s’affirmer avec ses particularismes sur la scène internationale.
C.A. Aix-Marseille-Provence n’a rien à envier à ce potentiel dont Barcelone a su s’emparer…
G’. Perspectives. Dans quelle direction cette métropole doit-elle se tourner ?
C.A. Avant d’envisager des perspectives, il faut souligner l’importance d’associer Aix et Marseille. Ces deux villes se tournent le dos ; il est grand temps qu’elles avancent de manière complémentaire.
M.A. Une identité affirmée et un message clarifié : la métropole doit avant tout se structurer en interne avant de poser son regard vers d’autres contrées avec lesquelles échanger. Il n’est pas impossible de trouver cette cohérence dans la diversité et l’inventivité. Elle agira ensuite tel un levier économique puissant au service de l’attractivité du territoire.
C.A. Cette métropole dispose en effet d’une force de frappe humaine pour l’heure sous-exploitée : les créateurs sont nombreux à s’installer ici pour trop souvent travailler ailleurs.
M.A. Il faut s’appuyer sur ce savoir-faire local !
G’. Outils. Quels outils identifiez-vous pour relever ces défis présents et à venir ?
C.A. Les outils, les moyens, les idées, les projets, les potentiels existent. C’est l’articulation de tous ces facteurs qui semble faire défaut : que chaque élément se trouve au bon endroit, au bon moment.
M.A. Un dialogue et une coopération transversale entre créateurs, élus et financiers sont indispensables à la mise en œuvre de changements. Il nous manque aujourd’hui des porteurs de projets suffisamment écoutés des mondes politique et économique pour passer de l’idée à la réalité.
C.A. Dans une démarche de construction, on ne peut faire l’impasse sur cet échange entre spécialistes et politiques. Ces derniers doivent savoir s’entourer afin d’appréhender ces sujets dont ils ne sont, à l’origine, pas des experts.
G’. Imaginaires. À ce territoire est souvent associé un sombre imaginaire. De quelle couleur se pare votre perception de cet espace et des individus y vivent ?
C.A. Pourquoi enfermer la métropole dans cette vision unique et négative ? Les imaginaires ici sont probablement aussi multiples et complexes que l’est ce territoire. Il faut cesser de lier Marseille à ces clichés excessifs : c’est une grande agglomération, tout comme les autres, polluée, bruyante, parfois violente ; mais toujours foisonnante.
M.A. Cette ville est à la confluence d’une multitude de cultures. Cet exotisme-là est exceptionnel !
G’. Quel projet rêveriez-vous d’y mener ?
M.A. Le design à Aix-Marseille-Provence souffre d’un manque énorme de légitimité. Partout ailleurs, il est devenu un élément moteur pour le développement d’un territoire. C’est donc à ce niveau-là que je souhaiterais agir ; par la définition d’une identité propre au design local.
C.A. N’y a-t-il pas autant de designs que de parcours de vie ? Parce que ma création est la résultante à la fois de ce que je retire de mes expérimentations passées et de ce que je puise sur le territoire auquel je m’attache à l’heure de créer…
M.A . C’est bien ça l’idée : inventer un design qui ne soit autre que le miroir d’un vécu et d’un territoire. J’aimerais finalement provoquer une rencontre entre mes expériences à l’international et la multiculturalité déjà présente ici.
C.A. Pour en arriver là, il faut absolument s’appuyer sur un projet avec la certitude qu’il s’exprime jusqu’au bout, à l’échelle du design. C’est ce qui m’intéresse avant tout et que j’aimerais voir prendre une place grandissante dans les réflexions des acteurs du territoire : avant de créer, penser aux usages et aux usagers. Le secteur de la mobilité peut en devenir une illustration parfaite, à travers les axes structurants que devraient être les transports. Ils relieraient les espaces pareils à des fils conducteurs, ces pôles multimodaux seraient étudiés pour offrir aux métropolitains une expérience agréable, du mobilier et des objets urbains s’y déploieraient et avec eux une identité affirmée… Ces rêves sont déjà à l’œuvre ailleurs. Pourquoi pas ici !
Ce que Gomet’ en retient
Cette métropole est riche de ses territoires et de son vivier humain. Elle doit s’affirmer à travers ses singularités, d’abord en interne puis sur la scène internationale, à travers un message clair et cohérent. Une coopération transversale, structurée et exigeante entre élus, créateurs et financiers devient, pour se faire, indispensable. La réflexion autour d’une identité design et d’une pensée renouvelée de la mobilité en sont deux illustrations potentielles.