A Aix, Aubagne ou encore à Marseille la même réponse des libraires navrés est la même : « La Meute est partie dès sa sortie, mercredi. Nous attendons un réassortiment ! » Ainsi va une publication lorsqu’elle percute frontalement un des partis les plus turbulents du moment : La France insoumise.
On peut avancer plusieurs hypothèses. La première, c’est que les journalistes de Libération et du Monde – Charlotte Belaïch et Olivier Pérou – nous livrent ici une investigation de près de deux ans, enrichie de 200 témoignages qui attestent du sérieux de la démarche. La seconde, c’est qu’à force de s’autoproclamer parti le plus urticant de la cinquième République, LFI découvre, à ses dépens, ce qu’on appelle l’effet boomerang. La troisième, c’est que cet ouvrage sonne comme l’éloge funèbre du Nouveau Front populaire (NFP) créé dans la précipitation après la dissolution surprise décidée par Emmanuel Macron, il y a un an.
Au-delà de ces péripéties tumultueuses qui jalonnent il est vrai depuis près de deux cents ans la vie de la gauche française, La Meute porte un regard sans concession sur les pratiques internes de LFI et tout particulièrement de son leader Jean-Luc Mélenchon flanqué de sa compagne Sophia Chikirou, qui se présente en interne comme « la femme du chef ». De Clémentine Autain (NFP) à Raquel Garrido (victime d’une purge au sein de LFI) en passant par Marine Tondelier (Europe Écologie – Les Verts), les constats sont accablants. La démocratie est piétinée dans le parti créé en 2016 par l’ancien secrétaire d’État socialiste à l’Enseignement supérieur. Il a été structuré selon une verticalité qui ramène au seul candidat pour la présidentielle envisageable pour celui qui hurlait, il y a encore quelques années, à un policier médusé : « la République c’est moi ! ».
LFI, c’est donc Mélenchon et personne d’autre. Les deux journalistes auteurs de La Meute décryptent chirurgicalement un système et une formation que le leader des Insoumis décrit lui-même comme « gazeux ». Et l’ancien député de Marseille ne fait jamais, d’après les témoignages, l’économie de formules coups de poing lorsqu’on tente de se mettre en travers de sa route. À son « alliée », Marine Tondelier, qui hésite encore à rester dans cet attelage tout en refusant de participer à l’hallali, il lancera, dans un tweet compulsif, lors d’une législative partielle à Grenoble : « On va te renvoyer la dose que tu mérites ».
Alexis Corbière, que Mélenchon a exclu de LFI en brisant dans la foulée une amitié vieille de trente ans, témoigne, lui aussi, de cette brutalité : « Mélenchon demande la dévotion aveugle. Celui qui doute trahit ». Avant que ne paraisse ce brûlot, François Rufin qui fut un temps considéré comme protégé par Mélenchon, y était déjà allé avant cette enquête de son témoignage. Affligeant lorsque le leader des Insoumis, après avoir été renvoyé à ses chères études, parlait des électeurs qu’il avait tenté de séduire face à Marine Le Pen dans la 11ème circonscription du Pas-de-Calais : « On ne comprenait rien à ce qu’ils disaient… Ils transpiraient l’alcool dès le matin… Ils sentaient mauvais. Presque tous obèses ! » On comprend que Mélenchon n’a pas été le bienvenu chez les cht’is.
Rétrospectivement on n’ose pas imaginer ce qu’il a pensé, lors de son éphémère passage dans la ville, des Marseillais qui l’ont élu dans la 4èmecirconscription en 2017. On dira simplement que la greffe n’a pas prise entre celui qui est adepte de la salade au quinoa et ceux qui ne détestent pas embaumer les conversations d’aïoli.
Les quelques-uns qui défendent encore le couple Mélenchon-Chikirou sont pourtant à Marseille prolixes. Manuel Bompart, coordinateur national des Insoumis, n’a pas ménagé ses efforts pour dire, devant Perrine Storme (BFM), tout le mal qu’il pensait des 300 pages signées Belaïch et Pérou. Il nie en bloc avec une mauvaise foi militante et a même parlé sur le plateau de « fiction » et de « ragots ». Il dément même la phrase qu’on prête à son mentor et qui le visait : « Achète-toi un cerveau ». « On dépeint, contrairement à ce que vous auriez voulu dire pour me couper la parole, des militantes et militants qui ne penseraient pas, qui ne réfléchiraient pas » a plaidé sans convaincre le député de Marseille. Il repousse dans le même temps l’affirmation de plusieurs témoignages parus dans La Meute assimilant la France insoumise à une « secte ». On sera charitable en ne commentant pas une récente sortie de son collègue de l’Assemblée nationale, le député des quartiers nord, Sébastien Delogu, qui selon le JDD aurait déclaré : « Jean-Luc Mélenchon, c’est dieu. Et moi, je suis son fils ! »
Sophie Camard, maire du 1er secteur et ex-suppléante au Palais Bourbon de Mélenchon, raconte, elle aussi, la fascination qu’exerce auprès de ses troupes celui avec qui elle a rompu : « Il est capable de faire gober aux gens tout et n’importe quoi. Pour certains, c’est côtoyer Dieu le père. Il y a de véritables jeux d’influence pour en être le plus proche ». Et être invité à la table du roi républicain, comme le décrit La Meute, est un privilège de courtisan qui ne saurait se refuser.
Alors que les sondages leur sont beaucoup moins favorables, les Insoumis sont désormais contraints à un dangereux exercice d’équilibristes. Et quoiqu’ils en disent, ils sont forcés de fonctionner comme une secte derrière un gourou et sa compagne. À un an des élections municipales, la droite et la gauche de gouvernement vont observer les courbes sondagières avec acuité. Les uns et les autres peuvent craindre cependant que celui qui fait aujourd’hui, bien malgré lui, un succès de librairie et a théorisé la nécessité d’imposer « le bruit et la fureur » soit tenté comme Louis XV – « après moi, le déluge » – de jeter par-dessus bord 60 ans d’engagement politique. Comme l’a déclaré à propos de La Meute (*) le député marseillais Davi Hendrik, lui aussi exclu de LFI : « Ce livre va permettre de dire les choses franchement et de tourner la page ». Oui mais chez les Insoumis, c’est conclave à tous les étages. Ce sera toujours la fureur mais cadenassée et réduite au silence.
(*) La Meute, de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou. Enquête sur le France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Aux éditions Flammarion (22 €)