40 millions d’habitants, un pays jeune (28 ans de moyenne d’âge), 20% de foyers connectés à Internet et 8 millions d’Algériens présents sur les réseaux sociaux… Comment l’Algérie se positionne-t-elle à l’ère du numérique ? Quels leviers doit-elle et peut-elle activer pour entrer de plain-pied dans un monde connecté, sans cesse en mouvement ? Ou encore quel est l’intérêt de l’implantation d’entreprises françaises en Algérie ? Ce sont les thèmes qui ont été abordés à l’occasion d’une conférence intitulée « l’Algérie, terre d’innovation dans le numérique », dans le cadre de la Semaine économique de la Méditerranée.
Avec seulement 15% des entreprises algériennes connectés à Internet, 8% qui disposent d’un site web, parmi lesquelles seulement 2% ont leurs catalogues en ligne, l’Algérie est à la traîne, mais refuse de parler de retard. Il s’agit d’un « décalage de phases », car en matière de numérique « les technologies avancent par bonds. Donc, si on rate un virage, on peut prendre le prochain wagon », affirme l’un des intervenants, Karim Cherfaoui, directeur général du groupe Divona, opérateur VSAT algérien, proposant des services de télécommunications (Internet, voix et data) en Algérie et au Moyen Orient. Et, l’Algérie ne veut pas rater ce virage essentiel.
L’Algérie : terre d’innovation dans le numérique, Semaine économique de la Méditerranée, à la Villa Méditerranée . Photo N.K.presse.
Des ressources naturelles aux ressources humaines
Pour assurer sa transition numérique, elle dispose d’atouts importants, à commencer par sa position géo-stratégique, puisque l’Algérie se situe au centre de sept pays. Elle dispose également d’atouts énergétiques, essentiels, aujourd’hui, pour l’industrie et l’économie du numérique. Les data-centers en sont l’exemple le plus frappant. L’Algérie dispose d’un potentiel de 14 terawatts/heure d’énergie solaire photovoltaïque, soit près de quatre fois la consommation électrique moyenne de l’Union européenne.
En plus de ses ressources naturelles, le pays bénéficie de taux de croissance positifs : depuis plusieurs années, malgré l’effondrement du prix du baril, les taux de croissance restent en hausse (2,5% en 2015 et 3% en 2016). Elle jouit d’un endettement quasi-nul, d’une infrastructure moderne qui couvre l’ensemble du territoire (routes, ports, aéroports), d’un secteur privé dynamique en expansion rapide avec « l’émergence de champions dans de nombreux secteurs », estime Kaci Ait Yala, ingénieur, président de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie en France (Caci) et président du FCE International.
Kaci Ait Yala, ingénieur, président de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie en France (Caci) et président du FCE International. (Photo NKpresse)
Des champions à l’image justement de Karim Cherfaoui. Ingénieur de formation et modèle de réussite dans son pays, il inspire et nombreux sont ceux en Algérie qui espèrent suivre sa voie. « Des jeunes, bien formées sur des 2e et 3e cycle, dans les filières informatiques (30 000 diplômés par an) ou techniques assimilées (80 000 par an), donc prêts à la reconversion, permettant, aujourd’hui, à l’Algérie de répondre à un certain nombre de challenges, estime Karim Cherfaoui. Des défis notamment sur l’abondance créée par la nouvelle économie : cette économie collaborative, basée sur le modèle des Uber, par exemple, donc très consommatrice en applications et demanderesse en développeurs. » Sur le territoire Aix-Marseille, ce sont 2000 postes de développeurs qui sont ouverts. Il demeure une « forte attente car le business croît, mais le frein c’est l’absence de main-d’œuvre », estime Stéphane Soto, directeur d’Aix-Marseille French Tech.
Au-delà, ce sont plus d’un million d’étudiants dans les universités algériennes, soit « un fort potentiel en ressources humaines », martèle Kaci Ait Yala. Mais pas seulement. Pour lui, le potentiel de croissance du marché algérien est stimulé par de nombreux facteurs : « l’ampleur des besoins sociaux auxquels le pays doit faire face, la nécessité de reconstruire l’industrie sur de nouvelles bases, son marché de 40 millions d’habitants et un marché des biens de consommation qui connaît un développement considérable. »
« Le meilleur pays pour faire des affaires, c’est l’Algérie »
De fait, pour les experts, l’Algérie semble s’imposer comme un partenaire « inévitable ». Et pour eux, il n’est pas utopique de dire que l’Algérie peut s’imposer comme une terre d’opportunités dans l’économie numérique. Preuve en est : « Depuis les quelques dernières années, les choses s’accélèrent. Des entreprises qui étaient à la gloire il y a quelque temps – Kodac, Nokia ou encore Blackberry, – démontrent que si on ne prend pas le bon virage, l’entreprise peut complètement s’effondrer, a souligné Kheira Boulhila, managing directeur chez Accenture. Son cabinet de conseil regroupe 400 000 collaborateurs à travers le monde et enregistre un chiffre d’affaire de 30 milliards de dollars. Pour cette spécialiste du monde 3.0. Il faut toujours être très alerte, bien comprendre les tendances du marché. » C’est dans cette stratégie du futur que se place Accenture, qui travaille de plus en plus avec les start-up, pour dénicher les pépites et proposer des solutions très innovantes à ses clients, qui sont en général des grands groupes du CAC 40.
Energie, ressources humaines et positionnement géostratégique : pour ces trois points, l’Algérie s’inscrit « dans un modèle gagnant-gagnant. » Avec des ingénieurs expérimentés, une formation de qualité, un coût du travail très faible (salaire médian 400 euros) et le lancement de la fibre optique et de la 4G, l’Algérie semble s’ouvrir, aujourd’hui, à toutes les entreprises, de droit algériens, nationales ou étrangères. Pour le président de la Caci France « ceux qui se rapprochent de nos institutions pour faire de l’associatif, se sont trompés d’endroit. Si vous venez nous rencontrer, venez pour faire des affaires. Et le pays le plus intéressant pour faire des affaires, aujourd’hui, c’est l’Algérie », affirme-t-il.
Avec plus de 4 millions d’Algériens en France et une diaspora qui évolue dans un système économique de marché ; avec un potentiel économique et scientifique de 400 000 chefs d’entreprise, une base financière potentielle de cette diaspora de plus de 200 milliards d’euros, cette dernière peut être un vecteur efficace de transfert de savoir-faire dans les entreprises algériennes, « le trait d’union indispensable au développement de relations de partenariats harmonieuses et durables, entre les entreprises algériennes et européennes ». La Cacif porte d’ailleurs « un intérêt élevé à l’établissement d’un cadre organisé », permettant de faciliter le rapprochement avec les entreprises algériennes. Ces dernières sont pour lui en « pole position » pour s’adapter et s’intégrer à ces changements économiques et sociaux majeurs. « L’Algérie peut devenir le chef de file de l’Afrique nouvelle. »
A l’horizon 2050, il y aura 2 milliards d’habitants en Afrique. Actuellement, 16 pays africains affichent des bonnes croissances. La Chine a mobilisé un fonds d’investissement pour l’Afrique de 60 milliards de dollars. Le Japon, 32 milliards de dollars et la Banque africaine de développement, 100 milliards de dollars. « C’est le signe d’une réussite commune et collaborative ».
Pour aller dans ce sens, il manque encore selon les intervenants, une accélération de la circulation des fonds, de levée des fonds pour permettre l’expansion à part entière de la création de nouvelles entreprises et de l’ouverture de l’Algérie sur le reste du monde. Mais dans cette perspective, cette profonde mutation qui s’amorce est synonyme, pour beaucoup, d’espoir, en particulier pour les jeunes générations. « Nous sommes au démarrage d’un grand changement », assurent unanimement les intervenants. Le début d’une nouvelle histoire pour l’Algérie qui s’écrit en 3.0.