Un article paru en Février 2011 dans le magazine Wired intitulé « De la difficulté des découvertes (selon la version de l’astéroïde qui rétrécit) » traite de la difficulté croissante que les scientifiques ont à faire des découvertes de nos jours. C’est comme s’il nous semblait qu’il était si facile du temps de Newton ou de Galilée de faire une découverte : il suffisait d’observer un objet qui roule le long d’une pente ou la diffraction de la lumière par le chas d’une aiguille. Cette difficulté, d’après l’auteur et selon la théorie de l’astéroïde qui rétrécit, se résume au fait que si il est plus difficile et complexe aujourd’hui de découvrir de nouveaux astéroïdes orbitant dans le système solaire (et plus ou moins proche de la terre), ce n’est pas parce qu’ils ont rétrécit jusqu’à devenir indétectables au cours des cent dernières années, mais c’est parce que tous les gros astéroïdes qui font entre 20 et 400 kms de diamètre ont tous été inventoriés depuis longtemps ! Il reste donc à découvrir une population, certes importante mais très difficile à observer, d’objets qui orbitent autour du soleil dont le diamètre moyen ne dépasse pas 1,5km.
Il en va de même pour la découverte de nouvelles espèces de petits mammifères (tous les gros sont connus depuis longtemps car ils sont bien visibles). L’inventaire des mammifères est quasiment au complet. L’essentiel est depuis longtemps répertorié par les zoologistes. Si l’on veut découvrir de nouveaux mammifères il faut mettre des moyens de plus en plus importants et organiser des expéditions dans ce qui reste d’endroits improbables sur notre terre (l’Antarctique ?). [pullquote]L’inventaire des mammifères est quasiment au complet. L’essentiel est depuis longtemps répertorié par les zoologistes. Si l’on veut découvrir de nouveaux mammifères il faut mettre des moyens de plus en plus importants.[/pullquote]
Même raisonnement pour la découverte de nouvelles particules : il faut maintenant des anneaux collisionneurs de plus en plus gros, consommant des quantités d’énergie colossales, accélérant les particules jusqu’à 99% de la vitesse de la lumière (leur conférant ainsi une énergie également colossale) pour provoquer les chocs nécessaires à la « fabrication » de nouvelles particules éphémères. En effet, l’immense majorité des particules qui forment l’architecture de notre univers est déjà inventoriée, tout au moins jusqu’à ce que l’on change à nouveau de modèle !
Mais ce n’est pas tout. Ce que dit l’article, qui cite en préambule les travaux d’un économiste américain qui a travaillé sur et analysé 19 millions de publications scientifiques et 2 millions de brevets, c’est que la taille des équipes de recherche ne fait que croître. Celle-ci a augmenté en moyenne de 20% depuis l’an 2000 et il a montré que cet accroissement est d’autant plus important que la publication a une influence importante dans le monde scientifique. En bref, plus un papier est bon, ou considéré comme bon par la communauté scientifique, plus il y a de chercheurs ou de contributeurs qui ont signé le papier ! Last but not least, plus les équipes grandissent plus elles deviennent pluridisciplinaires. La complexité des problèmes à traiter en est la cause principale.
Recherche fondamentale et innovation technologique : même combat ?
Vous avez compris qu’il pourrait n’y avoir qu’un pas entre la recherche fondamentale et la Recherche et Développement (R&D) des entreprises en vue de l’innovation. Si cette règle est vraie pour la recherche fondamentale, pourquoi ne le serait-elle pas pour l’entreprise et sa recherche privée financée à coup de dizaines de millions d’euros en Europe ? Dans le monde de la production de valeur ajoutée, qui est lié de très près à celui de l’entreprise, aurions-nous déjà découvert l’ensemble des astéroïdes de 20 à 400 kms de diamètre ? Ceux qui restent à découvrir seraient-ils d’un diamètre si faible qu’ils sont difficilement détectables ? Si la science tourne au ralenti pour les raisons évoquées ci-dessus, il y a de forte chance pour que l’innovation technologique tourne aussi au ralenti non pas parce que l’objet de l’innovation « rétrécit », mais parce qu’il est de plus en plus difficile à découvrir (les plus gros et leurs nombreuses applications sont déjà découverts en tout cas pour le cycle dans lequel nous sommes).
La raréfaction des innovations majeures, – ne parlons pas ‘d’innovation de rupture’ mais plutôt d’innovation ‘à valeur ajoutée potentiellement importante’, car il faudrait savoir par rapport à quoi on rompt -, semble être un fait. Seules surnagent aujourd’hui des innovations dites de « services » ou d’« usages ». Mais ne nous leurrons pas, le nombre d’usages d’une technologie existante ou d’une innovation technologique existante est lui-même limité par le nombre d’expériences utilisateurs qui nous permettent au quotidien d’accéder à une vie plus facile, plus simple ou plus riche. Même si l’imagination humaine n’est que peu limitée, le nombre d’expériences utilisateurs qui ont un sens pour nous ne tend pas vers l’infini et ne varie que très peu d’un individu à un autre. Ce sont, entre autre, les besoins de notre quotidien qui vont limiter la multiplication des expériences utilisateurs. Avec les technologies disponibles nous sommes peut être proches d’avoir épuisé le bloc des innovations d’usages à forte valeur ajoutée. La raréfaction de l’innovation liée à la recherche fondamentale est probablement avérée, jusqu’à ce que de nouvelles technologies émergent. Or ce cycle d’émergence des technologies ne fait que s’allonger, épuisant ainsi les cycles de production des expériences utilisateurs qui lui sont intégrés, provoquant par ricochet la raréfaction de ces dernières.
En attendant les prochains « sauts » technologiques, qui seront peut être liés à l’injection de capitaux énormes dans le programme européen H2020 pour la recherche et l’innovation, usages, adoption et expériences utilisateurs semblent être les seules pistes à explorer pour des TPME. Et comme ces expériences se raréfient, il faut mettre de nouveaux moyens en œuvre.
Être bien accompagné pour bien innover
En effet, la raréfaction constatée ou supposée des innovations d’usages n’est peut être liée qu’à un tropisme technologique de l’innovateur qui se lance seul (ou mal accompagné) dans une aventure dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants. Il faut donc relancer au sein des cycles longs de l’innovation technologique une recherche sur les usages des innovations technologiques déjà disponibles. Il est temps de constituer (ou d’aider à constituer) des équipes pluridisciplinaires autour des innovateurs potentiels pour qu’ils puissent se concentrer sur ce qui semble être le point névralgique de l’innovation : fait-elle l’objet d’une expérience intéressante pour l’utilisateur qui va l‘adopter et répond-elle à un besoin profond ? [pullquote]Il est temps de constituer (ou d’aider à constituer) des équipes pluridisciplinaires autour des innovateurs potentiels pour qu’ils puissent se concentrer sur ce qui semble être le point névralgique de l’innovation : fait-elle l’objet d’une expérience intéressante pour l’utilisateur qui va l‘adopter et répond-elle à un besoin profond ?[/pullquote] Sociologues, artistes, designers, économistes, ethnologues, philosophes, historiens, géographes, doivent être rassemblés en nombre autour de nos chefs d’entreprises, de nos PME et de nos TPE pour les aider à sortir d’une réflexion qui est trop souvent centrée sur l’utilisation de la technologie et pour qu’ils puissent enfin intégrer la dimension de l’adoption de l’innovation par l’utilisateur. Ce sont les forces pluridisciplinaires qui vont valider le fait que l’expérience utilisateur correspond à un besoin profond. Il est en effet peu probable qu’un panel d’utilisateurs, interrogés par une armée d’enquêteurs d’un institut de statistiques avec un formulaire de sondage à la main, communique au sondeur la liste des besoins profonds. C’est en touchant les objets, en les faisant fonctionner, en expérimentant des nouveaux services, sous le regard de plusieurs disciplines, que l’utilisateur mettra une partie de son inconscient dans l’expérience qui le conduira ainsi à l’adoption de l’objet, du service…
Il est donc urgent de favoriser la pluridisciplinarité dans le monde de l’entreprise. Une piste à explorer pourrait être la création à l’attention des TPME de centres de ressources pluridisciplinaires. Les politiques publiques ne peuvent plus ignorer la dimension non technologique de l’innovation et elles ne pourront plus, très bientôt, ignorer la multiplication indispensable des ressources multidisciplinaires pour favoriser la création de valeur dans un monde ou l’innovation se raréfie.
* Cet article a été édité par Jérémy Collado