Construire social ne peut se limiter à élever des HLM et puis s’en va. Il s’agit aussi d’inscrire ces habitats à loyers modérés au sein d’un environnement source d’établissement professionnel et d’épanouissement personnel. Cela passe par la mise en place à proximité de services, d’équipements ou encore de transport ; en un mot, par une politique d’aménagement durable du territoire.
Qu’en est-il pour la future métropole d’Aix-Marseille-Provence ? Avec 5 SCOT, 4 PLH, 50 PLU, 19 POS, 3 OPH, 56 communes signataires d’une convention avec l’Établissement public foncier (EPF) de la région PACA, c’est un peu « chacun chez soi et les vaches seront bien gardées » ; et les terrains judicieusement utilisés. Sauf que les données factuelles, qu’elles proviennent de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaises (AGAM), de l’Agence départementale d’information sur le logement (ADIL 13) ou encore de l’Association régionale HLM (ARHLM PACA Corse), démontrent en la matière des inégalités de traitement dont les justifications ne sont pas uniquement politiciennes. Il ne s’agit surtout pas de blâmer ce territoire spécifique mais davantage d’en comprendre les dynamiques persistantes. La première d’entre elles relève certainement de l’humain. Sans foyer dans le besoin, nul besoin de logements sociaux.
Des vies et des habitats précaires
Le taux d’effort, c’est-à-dire le rapport entre les revenus et le coût du logement, s’élève sur Aix-Marseille-Provence à 14,5 % pour les ménages bénéficiaires d’aides au logement. Il est plus important encore chez les foyers pauvres et modestes. Le résultat de cette inadéquation sonne comme une impossibilité de se mettre un toit sur la tête. L’ADIL 13 éprouve chaque jour cette réalité humaine, parfois indigne. Avec près de 24 000 consultations en 2013, « les sollicitations sont ici plus nombreuses qu’au sein des agences d’autres départements français », note ainsi Thierry Moallic, le directeur de l’agence. Elles sont motivées par trois éléments : les impayés de loyers suivis parfois d’expulsions (entraînant alors de la vacance), les logements non-décents (avec une situation de péril signalée chaque jour), les copropriétés en difficulté.
Ces précarités de ressources et d’habitats s’additionnent au sein d’un département qui, pour les deux tiers de son parc, est constitué de logements privés. Or, avec un tiers de la population bucco-rhodanienne sous le seuil de pauvreté (fixé à 977 euros mensuel par unité de consommation), un foyer sur dix, selon l’Observatoire des loyers, ne dispose pas des garanties suffisantes à donner aux bailleurs. Et, comme le précise Philippe Oliviéro, président de l’ARHLM PACA Corse, « les familles précaires demeurent scotchées à leur HLM, sans possibilité de sortir de ce dispositif social. Le parcours historique — HLM, locataire dans le privé, propriétaire — se délite. »
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Philippe Oliviéro, directeur de l’association régionale HLM, participe à l’atelier territorial organisé à Marseille en 2012 (photo : Nicolas et Marie Mastras).
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HLM : une capacité d’accueil en-deçà des besoins
Les habitats à loyers modérés, tels qu’ils existent aujourd’hui, sont la résultante d’une longue politique en faveur du logement social, impulsée avec le premier congrès international des habitations à bon marché (HBM) tenu lors de l’Exposition universelle parisienne en 1889. Cinq ans après, la loi Siegfried offre un cadre juridique aux HBM, devenus HLM en 1950. Depuis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), renforcée en 2014 par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), les communes répondant aux critères notamment démographiques doivent disposer d’un taux de logements locatifs sociaux supérieur à 25 %.
Mais après la théorie en apparence idyllique, le constat s’avère sans détour : l’AGAM, dans son atlas cartographique consacré à la future métropole, indique que sur les 71 communes du territoire concernées, 60 d’entre elles affichent des taux bien inférieurs aux 20 % jusqu’alors requis. Entre cette livraison de nouveaux logements insuffisante et un taux de rotation du parc existant en berne, l’offre de lots sociaux disponibles chaque année, alors que le nombre des demandeurs augmente, a été divisée par deux. Il faut désormais dix ans de patience, au lieu des trois admis dans le pire des cas, avant d’espérer pouvoir trouver un toit en adéquation avec ses possibilités financières. « Une durée d’attente qui semble, pour les élus, bien impossible à assumer », conclut finalement Philippe Oliviéro. Et il n’est pas le seul à souligner cette dissonance entre une évidente prise de conscience de la situation, cela par l’ensemble des décideurs, et l’incommodité à y remédier.
Les cinq raisons d’une apparente stagnation
Les faits historiques, les contraintes environnementales, la complexité des politiques foncières, le manque de courage politique et la méfiance citoyenne : elles sont cinq à avoir nourri le consensus des acteurs du logement. Cinq données susceptibles d’expliquer pourquoi ce territoire-là rencontre des difficultés à enrichir son offre sociale et de mixité.
Un. Tout commence d’abord par des histoires : celle de l’exode rural d’après-guerre, celle de la guerre d’Algérie qui a poussé 700 000 pieds-noirs à regagner la métropole, parmi lesquels 450 000 ont débarqué en 1962 à Marseille, celle des projets industriels d’ampleur (type Fos-sur-Mer) avec leur grand nombre d’employés-résidents. À l’urgence de ces situations, il a bien fallu répondre par la construction soudaine et massive d’immeubles. Et cela s’est parfois fait au détriment des questions de qualité, d’intégration et de durabilité. Ainsi s’explique notamment la vue imprenable dont jouissent les quartiers Nord de la cité phocéenne : pour faire face à la demande quantitative, les gouvernants ont en effet racheté d’immenses propriétés en périphérie de la ville ; y ont surgi des habitats collectifs, en une pierre deux coups. Excentrées, sous-équipées, mal connectées au centre, ces réponses d’urgence, avec le temps, ont accouché de ghettos. Parce que depuis lors, les élus s’en sont bien arrangés ; parce qu’il n’est pas non plus aisé, à cause de la complexe ingénierie menant à l’attribution des HLM, de maintenir la mixité législativement réclamée.
Deux. Des contraintes géographiques et environnementales également particulières à ce territoire s’additionnent à cette Histoire filée d’histoires. La population, ici, se concentre pour moitié dans les deux plus grandes villes que sont Aix-en-Provence et Marseille (presque un million d’habitants). Et l’ensemble des communes se niche dans les plaines, entre des massifs foisonnants. Les restrictions réglementaires liées aux risques environnementaux (incendies, inondations), à la protection des espaces naturels nombreux et aux zones sensibles (à proximité des industries notamment), limitent aussi la superficie des espaces à construire.
Trois. Car avant de bâtir, et cela ne concerne pas uniquement les logements sociaux, il est préférable de disposer de terrains constructibles. Or, les réserves foncières ont aujourd’hui besoin de davantage de temps pour se révéler : « Cette question nourrit des fantasmes. Les gens imaginent qu’il est encore possible de dénicher du foncier prêt à l’emploi. C’est une illusion ! Le foncier est de moins en moins vierge, donc plus complexe à appréhender, donc plus cher », argumente Claude Bertolino, directrice de l’Établissement public foncier de la région PACA. C’est d’ailleurs dans le sens d’une ville sur la ville que semble tendre la récente loi ALUR : à l’étalement urbain, préférer l’enrichissement de l’existant et le renouvellement. Si les élus le veulent bien :
« Pour maîtriser son foncier, une commune doit notamment utiliser son droit de préemption, c’est-à-dire se substituer aux acheteurs privés afin de constituer des réserves foncières dont les prix sont alors gelés ; puis réinjecter ses stocks, à des tarifs plus attractifs que ceux du marché, dans le cadre d’opérations immobilières sources de développement. »
Thierry Moallic, directeur de l’ADIL 13, regrette parfois la frilosité des politiques locales, abandonnant cette matière première aux mains des propriétaires privés. Désormais conscientes de l’enjeu, 56 communes ont finalement choisi, par la signature de conventions particulières, de déléguer cette mission à l’EPF.
Quatre. Les villes et intercommunalités n’ont pas l’obligation d’engager une telle démarche. L’établissement public, depuis sa création en 2001, propose puis les élus locaux disposent ; ou pas. De la même manière que les intercommunalités peuvent choisir de mener directement, via la délégation d’aide à la pierre et l’élaboration d’un programme local de l’habitat (PLH), ces actions en faveur du logement pour tous. La volonté des gouvernants devient pourtant moins volontaire en période électorale. Y aurait-il comme une crainte de perdre son fauteuil ? Ce désintérêt que les citoyens pourraient à juste titre reprocher à leurs maires trouve aussi son argumentation dans la méfiance qu’eux-mêmes expriment face à ces habitations sociales.
Cinq. À la peau des HLM colle en effet une image bien négative, celle des barres insalubres, bien persistante aussi. « La surprise fréquente du passant ou du visiteur, découvrant que tel petit immeuble avenant est un HLM, montre combien les clichés ont la vie dure » : il s’agit-là du premier paragraphe de l’éditorial produit par Jean Fonkenell, ancien président de l’association régionale, en conclusion du congrès national HLM organisé en 1998 à Marseille. Les choses ont-elles changé depuis ? L’association récidive en 2006 : après avoir affiché sur papier glacé la diversité des bâtiments accueillants des logements sociaux, elle dresse le portraits des acteurs qui travaillent quotidiennement pour associer ce mouvement-là à un nécessaire professionnalisme. Pour jouer la confiance contre l’ignorance.
Des raisons d’y croire
À travers leurs axes de travail respectifs, Claude Bertolino et Thierry Moallic identifient un retournement du marché foncier et immobilier, dont l’origine est double. Il y a d’abord des bailleurs qui sont bien obligés de s’adapter à la demande d’une population modeste. Cette baisse des loyers, si elle se confirme, devrait permettre à certains foyers d’être relogés dans des conditions plus décentes ou encore d’accéder à un appartement du parc privé (libérant de fait un lot HLM). Mais « cette diminution-là risque de ne pas être immédiatement perceptible, tempère Thierry Moallic, car le taux de mobilité sur le territoire est relativement faible ; or, une telle baisse n’est visible qu’à travers la relocation ou la mise sur le marché de nouveaux biens ».
Il y a ensuite l’effet-crise qui pousse les propriétaires à vendre urgemment leurs biens . Si les tarifs proposés par l’EPF sont moindres que ceux du marché, les perspectives y sont plus significatives, comme le détaille Claude Bertolino :
« C’est d’abord la garantie d’être payé sous un mois, sans condition suspensive, et c’est ensuite la possibilité de participer à un projet d’intérêt général porté par la collectivité. »
Davantage de réserves foncières entraînent conséquemment le renforcement de la politique en faveur des logements sociaux. Ces derniers représentent en effet 25 à 40 % des actions menées par l’établissement.
À l’évidence, les mouvements des uns sont étroitement connectés à ceux des autres : le logement social lié au secteur du logement dans son ensemble, lui-même lié à la question foncière, elle-même liée aux politiques menées par les élus, elles-mêmes déterminées par les axes stratégiques fixés par les législations nationales. Les lois ALUR et MAPAM semblent aller dans le sens d’une prise en compte plus intégrée de l’aménagement du territoire et d’une convergence des outils à l’échelle notamment des métropoles. Si les spécialistes de ces questions sont plutôt favorables à ces dynamiques-là, ils soulignent aussi la complexité d’application sur la future métropole d’Aix-Marseille-Provence. [pullquote]« Qu’y-a-t-il de commun entre l’Étang de Berre et le Pays d’Aix ? », s’interroge Philippe Oliviéro.[/pullquote]
Car les politiques pour l’heure menées au sein des six EPCI qui composeront la future métropole sont fort différentes du fait notamment de la configuration spatiale et économique de ces derniers : « Qu’y-a-t-il de commun entre l’Étang de Berre et le Pays d’Aix ? », s’interroge Philippe Oliviéro. Avant de poursuivre : « Les industries de l’un n’attirent pas les mêmes compétences que les nouvelles technologies de l’autre…». À cette réticence des élus, aussi fondée sur des réalités locales, s’ajoute l’entêtement des instances à travailler de manière cloisonnée, en termes géographique et sectoriel. C’est-à-dire à contre-courant des idéaux qui devraient pourtant présider à l’installation d’Aix-Marseille-Provence au 1er janvier 2016. Une question se pose d’ailleurs, pour laquelle bien audacieux semble celui qui s’essaie à une réponse : que vont devenir l’ADIL, acteur intervenant sur l’espace départemental, et les trois Offices publiques des HLM ancrés sur le futur territoire métropolitain (Marseille, Aix-en-Provence, les Bouches-du-Rhône) ? Les premiers intéressés, à la tête de ces structures, n’en savent pas grand chose. Le droit affirme pourtant que l’élaboration du plan local de l’habitat reviendra à l’instance métropolitaine. C’est donc bien loin d’une réponse définitive que se dissimule la réalité, surprenante : les trois quarts des Français sont théoriquement ayants droit du dispositif HLM. Cela étant, il convient probablement d’espérer que le logement social ne pâtira pas de ces discordances entre décideurs.