La métropole d’Aix-Marseille-Provence jouit d’une grande diversité de territoires et de populations, entre urbanité et ruralité. Quel que soit le prisme choisi, les questions qui se posent restent les mêmes ; et les réponses apportées révèlent des contours parfois divergents. C’est précisément pour nous faire comprendre cette complexité que dix spécialistes ont accepté de mêler leurs regards. À travers cinq thématiques, ils dessinent simplement pour nous une métropole multicolore.
[pullquote]Luc Gwiazdzinski, 48 ans
Géographe, enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme à l’université Joseph Fourier de Grenoble, responsable du Master « innovation et territoire »Sort d’un laboratoire de géo-chorégraphie avec le chorégraphe Yann Lheureux dans les quartiers nord pour le Merlan[/pullquote]
GoMet’. Définitions. Qu’est-ce qu’une métropole ?
Luc Gwiazdzinski. C’est une outre-ville, c’est-à-dire une ville au-delà de la ville, née de l’évolution de nos modes de vie. Les pulsations métropolitaines quotidiennes intègrent désormais des espaces lointains dans une même dynamique. La métropole est donc par nature discontinue et hétérogène, englobant notamment villages, espaces agricoles et zones naturelles.
À l’image de la société contemporaine, elle est une entité complexe, changeante et paradoxale : à la fois monde spécifique et portion de la ville globale, porte d’entrée de la mondialisation et espace de ségrégation, lieu de maximisation des interactions et zone de séparation, territoire de la compétitivité et terre d’exclusion, endroit de l’extraordinaire et place de chaque jour, espace convivial et théâtre de l’anonymat. Celles et ceux qui y vivent et celles et ceux qui la pensent doivent changer de regard pour aborder cette métropole comme un système de temps autant que d’espace, de flux autant que de stocks ; une entité qui appartient à la fois à la ville et au monde, urbi et orbi.
G’. Dynamiques. Décrivez-nous ses pulsations quotidiennes.
L.G. À Marseille comme ailleurs, les habitants sont en avance sur les institutions, jouant déjà à saute-mouton au-dessus des collines et connaissant l’horizon du grand large. Aix-Marseille-Provence m’apparaît depuis toujours comme un territoire en devenir : un terrain d’aventure propice à l’invention métropolitaine. De mon point de vue, celui d’un observateur attentif non résident, cette métropole s’apparente surtout à un chantier stimulant. On ne peut qu’avoir envie de s’investir pour cette ville qualifiée parfois d’ « impossible ». On éprouve rarement cette sensation de liberté à Bordeaux, à Lyon ou encore dans les métropoles aseptisées du nord de l’Europe : tout y semble à sa place, bien huilé, technicisé, avec peu de marges de manœuvre.
À Marseille, c’est comme si tout les sens devaient être en permanence mobilisés. Car le territoire est à plusieurs titres exceptionnel ! Sa situation géographique et sa longue histoire — notamment son passé colonial — contribuent déjà à y dessiner une atmosphère, des lumières et des couleurs singulières. Il y a ensuite ces voisinages entre quartiers populaires et plus aisés ; encore faut-il assurer davantage de mobilité résidentielle à travers une politique de logement renouvelée. L’internationalisation avant tout humaine donne enfin à ce territoire des allures de métropole cosmopolite autour d’un centre peuplé de populations plus modestes. Aix-Marseille-Provence doit miser sur cette diversité humaine, culturelle et de réseaux ; trouver le pouvoir de « faire métropole » ensemble et mettre en mouvement cette dynamique aux identités éparpillées. Ce processus d’intégration d’une ville portuaire me semble particulièrement intéressant.
G’. Perspectives. Comment envisagez-vous les lendemains de cette métropole ?
L.G. Réel et représentations, ouverture au monde et tendance au repli, internationalisation et attaches locales : Aix-Marseille-Provence nous montre, jusqu’à la caricature, les contradictions d’une métropole contemporaine tiraillée entre son environnement proche et l’État. Les oppositions internes, qu’il s’agisse par exemple des rapports entre Aix et Marseille ou encore des tensions sur le port de Marseille-Fos, nuisent à son développement. Ce carrefour portuaire est pourtant, et devra continuer, à en être le cœur. Le tourisme aussi, par sa capacité à valoriser les espaces, les patrimoines et les habitants, peut encourager cette croissance et cette cohésion. L’ensemble de ces axes doit enfin être structuré via un réseau de transports attentif aux enjeux métropolitains.
Comment expliquer, par exemple, que la vie s’arrête à 21 heures ? Il y a ici quelque chose à inventer, avec l’ensemble des individus et au-delà des chapelles, pour accoucher d’une métropole augmentée. Grand territoire en devenir, aux échelles nationale, européenne et méditerranéenne, Aix-Marseille-Provence peut également nous aider à penser les métropoles de demain.
G’. Outils. De quels outils cette métropole devrait-elle se saisir pour appréhender l’avenir ?
L.G. Toutes les briques d’une grande métropole contemporaine existent déjà. Les tensions et les potentiels de la ville se lisent dans ces espaces publics aujourd’hui devenus les enjeux principaux. Depuis les embellissements récents, les décalages entre le centre et les quartiers nord sont particulièrement insupportables ; probablement les institutions ne parviennent-elles pas encore à sortir de leur pré carré… À travers la future métropole institutionnelle, le conseil général et la ville ont de nouveaux modes de coopération à imaginer et d’autres solidarités à mettre en place. Mais l’absence de logiciel adapté à cet espace complique la fluidité des relations entre acteurs politiques, économiques et créatifs ; ainsi que la pacification de l’ensemble métropolitain.
Comment mettre en mouvement ces potentialités-là, locales et plurielles ? L’État a compris depuis longtemps l’intérêt d’une telle façade méditerranéenne pour le pays. Il a investi ce territoire et, alors que les caisses sont vides, y déploie encore des moyens. Dans le même temps, cette forme de substitution étatique se heurte à la logique de « cité-état » à laquelle Marseille semble parfois aspirer. Or, les spécificités locales ne permettent pas d’employer les recettes utilisées ailleurs.
L’art pourrait probablement jouer le rôle d’un médiateur entre le territoire et les individus, entre la métropole et le monde. En voici deux expressions récentes impulsées par Marseille-Provence, capitale européenne de la culture en 2013 : les artistes ont alors investi l’espace public à travers le tracé du GR13 et le MUCEM a propulsé la culture à l’avant-scène d’une ouverture renouvelée. Ces deux initiatives ont finalement participé à valoriser le potentiel local, avec à terme l’émergence d’une nouvelle fierté métropolitaine et la construction d’un autre récit au-delà des clichés. Il faut ainsi poursuivre sur cette dynamique, l’État a encore une place à y tenir, et s’appuyer davantage sur les acteurs d’une scène locale finalement peu lisible.
G’. Imaginaires. À quels imaginaires associez-vous ce territoire ?
L.G. Plus que toute autre ville, Marseille cultive les imaginaires et les clichés : Pagnol, les dockers, la violence, les quartiers nord, le football, le Vieux-Port, le rap, le sud, la convivialité et désormais MP2013. C’est une force qui explique sans doute un tropisme des médias et du cinéma mais, si celle-ci n’est pas transcendée, elle devient aussi une faiblesse. On débarque ici avec en tête une foule d’images contradictoires qu’il faut ré-agencer en permanence pour les dépasser. L’expression « Planète Mars » valide ainsi l’idée d’un monde à part souvent vécu en opposition à Paris, signe à la fois de blocages et d’ambitions.
Vu de loin, Marseille ressemble en effet à une île dont la situation géographique, le port et l’histoire coloniale auraient naturellement ouvert les portes et les horizons. Vu de plus près, c’est l’idée de l’archipel qui prévaut, avec une cohabitation de mondes différents sur un même territoire. L’ensemble tient comme par miracle, grâce à une force identitaire pour l’heure insuffisamment motrice : être à Marseille, c’est encore, toujours ou bientôt se trouver ailleurs. Car c’est bel et bien par l’humain que s’inscrit ici la mondialisation, davantage que par l’économie. Le rééquilibrage y est encore possible, pour faire de cette métropole une tête de pont vers l’ailleurs.
Ce que GoMet’ en retient
Une métropole, c’est avant tout une ville au-delà de la ville. En chantier permanent, Aix-Marseille-Provence présente toutes la caractéristiques d’un futur grand territoire à l’échelle du monde. Il lui faut pour cela inventer un modèle adapté à ses spécificités. À ces dernières fait écho une diversité des imaginaires associés à ces espaces.