« Dassault avait prévu de construire 800 Mercure dans ce hangar, ils en ont fait huit », se désole François Bernardini, le président du conseil de territoire Istres Ouest-Provence. C’est pour éviter un nouveau naufrage industriel que la collectivité a racheté en septembre 2012 l’ancien site de construction du géant de l’aéronautique pour 11 millions d’euros. Cinq ans plus tard, le projet est ambitieux : créer 3 000 emplois grâce à la renaissance de la filière « dirigeables ».
Istres tête de pont pour la future filière dirigeable
L’époque des ballons dirigeables et autres zeppelins semblait révolue depuis les années 30 ; pourtant, l’État français mise sur le retour de cette technologie en la plaçant parmi ses plans pour l’industrie du futur présentés en mai 2015 par le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron. Les experts de la mission tablent sur un chiffre d’affaires de un milliard d’euros en 2025 pour la filière et Istres pourrait être le berceau de sa relance. Le pôle aéronautique Jean Sarrail s’est taillé une place de choix dans ce projet avec ses 45 000 m² de bâti existant sur près de 33 hectares de foncier acquis par la ville d’Istres et le San Ouest-Provence, auquel la Métropole s’est substituée depuis le 1er janvier 2016. Collé à la base aérienne et initialement dimensionné pour la réalisation d’avions, le site a naturellement séduit les industriels impliqués dans l’aventure des dirigeables.
Stratobus, Flying Whales, Aerolifter, A-N 200, les quatre premiers projets du pôle
Pour l’heure, ce sont quatre entreprises qui ont été retenues par le pôle de compétitivité Safe. Parmi elles, Thales Alenia Space compte développer le projet Stratobus, un dirigeable géostationnaire pouvant monter jusqu’à plus de 20 km d’altitude. Cet aéronef pourra assurer des missions de surveillance pour la sécurité et la défense (incendies, maritimes, frontières…), la fourniture de service de télécommunications (internet, 5G) ou de gestion environnementale (pollution, aérosols, surveillance de l’eau…). Lancé officiellement par Thales en septembre dernier, Stratobus commence déjà à intéresser au-delà de nos frontières, en témoigne l’accord signé en janvier avec le Masdar Institute d’Abu Dhabi pour la réalisation d’applications pour les dirigeables en vue de mission de surveillance pour les Emirats Arabes Unis.
Autre projet, le « dirigeable à charge lourde » porté par la PME Flying Whales associée à l’avionneur chinois Avic, vise la construction d’appareils rigides capables de transporter 60 tonnes de fret en soute à une vitesse de 120 km/h. L’Office nationales des forêts (ONF) s’est déjà montré intéressée par ce projet pour transporter des grumes de bois pouvant être chargées et déchargées en vol stationnaire, quelle que soit la topographie du terrain.
L’entreprise grenobloise Airstar propose, de son côté, un dirigeable « filoguidé » : l’Aerolifter. Deux versions de cet appareil ont été imaginées pour transporter des charges de deux ou quatre tonnes sur de petites distances de l’ordre de 2 km, principalement en zone montagneuse. Ce dirigeable serait piloté pour rejoindre sa zone d’opération puis ensuite guidé par un câble relié au sol, lui permettant de transporter des charges de 2 à 4 tonnes, avec des applications potentielles notamment sur les lignes aériennes électriques à haute tension ou le ravitaillement des refuges.
Quant au dernier projet retenu, le dirigeable multi-mission A-N 2000 imaginé par la société A-NSE, il consiste à développer une machine pour le marché de la sécurité et de la surveillance (avec radars et caméras embarqués), capable également de transporter du fret (entre 8 et 12 tonnes) à une vitesse de croisière d’environ 130 km/h.
La Région, le grand absent du projet
Les projets portés par Thales et Airstar sont déjà bien engagés. La production de Stratobus et l’unité de fabrication de l’Aérolifter doivent démarrer au premier semestre de l’année 2018 pour des premiers essais en vol six mois plus tard et un lancement de la commercialisation en 2020. Sur le site istréen, les premier travaux doivent impérativement démarrer en septembre pour respecter les délais de livraison. « Cela va commencer par la remise en état du hangar Mercure qui pourra accueillir les premières équipes de Stratobus l’année prochaine », explique André Soulage, chef du plan industriel national dirigeables lors d’une visite du pôle aéronautique. Cette première phase de travaux est estimée à elle seule à 15 millions d’euros, soit la quasi-totalité du capital de la société publique locale (SPL) créée expressément pour le projet. « Nous avons besoin du soutien de l’ensemble des acteurs publics pour financer ce projet d’envergure métropolitaine », insiste François Bernardini.
Le maire d’Istres s’adresse tout particulièrement au Conseil régional Paca toujours absent au capital de la SPL alors que la Métropole y a déjà investi plus de 3 millions d’euros. « Idéalement, nous devrions être au-dessus de cette participation », avoue Philippe Maurizot, vice-président de la commission industrie à la Région. Mais, contrairement au pôle Henri Fabre, aucun financement n’a été prévu pour l’instant pour le projet d’Istres. « Et la Région ne pourra pas débloquer de nouvelles lignes de financement pour les infrastructures », explique le conseiller régional Les Républicains. Un travail a été lancé en collaboration avec l’Agence régionale pour l’innovation et l’internationalisation (Arii) pour trouver d’autres moyens pour financer le projet « si ce n’est en numéraire, au moins, en compétences », explique Jean-Yves Longère, le président de l’Arii.
Le Conseil régional affirme qu’il deviendra rapidement actionnaire de la SPL même si ce n’est qu’à minima « avant de monter en puissance plus tard. Nous ne pouvons pas laisser passer, c’est en plein dans nos compétences », prévient Philippe Maurizot. Un oubli qui pourrait bien freiner un projet ambitieux, surtout qu’il ne s’agit que de la première phase du développement d’un site à fort potentiel. Pour remettre en , construire les bâtiments nécessaires et acquérir tout le foncier disponible, les sommes nécessaires avoisineront certainement la centaine de millions d’euros.