Il est le bâtisseur des dentelles du MuCEM marseillais, le maître de la maille de béton du “Pavillon Noir” aixois, et pourtant c’est autour d’un recueil de cinquante-neuf noms d’artistes et intellectuels variés que l’on retrouve l’architecte Rudy Ricciotti, à l’ombre d’un stand du Salon “Vivre Côté Sud”, venu dédicacer son ouvrage “En vain!” au Parc Jourdan ce lundi 8 juin. Un nouveau coup de gueule qui réunit une série de commentaires tantôt élogieux tantôt accablants dans cette prose qui lui va si bien, celle du franc-parler et de cette “rébellion” de la pierre et des mots qu’il soutient depuis toujours.
Vous qui consacrez tant de temps au “combat” qu’est l’architecture, pourquoi vous abandonner à la futilité et soudainement décider d’écrire 49 pages de commentaires “En vain!” ?
[pullquote]Refuser l’exil de la beauté.[/pullquote] Rudy Ricciotti : Je ne vais pas vous parler du livre en introduction. Vous savez, je ne fais jamais les foires. Je suis d’abord là, aujourd’hui à ce stand, car je soutiens ces marbriers (Atelier des Marbriers Façonniers de France). Ce sont de vrais gens, qui ont de vrais métiers, dans de vraies situations: la pierre. Ce sont des gens qui sont dans la minéralité, dans l’épaisseur, dans les faits, dans la transformation du réel. Ce sont des gens d’exception, et je suis aujourd’hui présent pour mobiliser l’énergie pour ces métiers qui portent parce qu’ils sont notre futur. Nous sommes confrontés et à la disparition des métiers, et à l’exil de la beauté. Le travail de la pierre renvoit à ce combat, inévitablement. La transpiration et la beauté sont liées par la culture de l’effort. Ces gens-là il faut les défendre.
Ce livre que vous dédicacez aujourd’hui, est-il aussi porteur de ce message?
R. C. : Vous l’avez lu ? Il y a des passages très tendres, d’autres ultra violents. Lisez le commentaire sur John Galliano, “encore un antisémite dans le milieu de la création, qu’il aille se faire enculer.” Vous allez bien rire. Pour autant, je ne transmets jamais de message, j’essaye simplement de partager. C’est une continuité de ma critique sur l’exil de la beauté. Comme ces gens autour de moi, dans ce salon, [désignant son ami qu’il nomme “le photographe du vrai” et les “artistes marbriers” assis à côté], nous sommes des miliciens qui refusons l’exil de la beauté!
On vous décrit souvent comme une “personnalité du coin”, du paysage régional, or vos projets s’étendent aujourd’hui plus largement à l’échelle nationale et internationale. Doit-on comprendre avec votre présence (exceptionnelle) à ce salon qu’aujourd’hui vous menez ce combat en priorité en Paca ?
R. C. : L’international ne m’intéresse plus. Je travaille encore dans quelques pays civilisés limitrophes de la France (rires), à l’image de mes travaux dans le musée d’art contemporain à Liège ou ceux de la salle de concert symphonique d’art lyrique à Gdsaat, en Suisse. Mais j’aime bien cette expression qui me rappelle la scène d’un film d’Agnàs Varda, où une parisienne débarque à Sète et dit “c’est toi qui a choisi de naître ici” –une phrase terrible. Je ne suis pas “du coin”, je suis local. Plus précisément, je suis provincial, maniériste, petit bourgeois et réactionnaire dans le sens de manipulateur de la modernité. Pour moi, défendre le principe de beauté c’est revenir au plaisir de fabriquer de belles choses, par exemple avoir une belle table, un bon repas de qualité avec des produits territoriaux. Bref, je construis selon le contexte.
Justement, le contexte aujourd’hui à Aix-en-Provence est celui d’un paysage urbain qui se redessine à travers la construction progressive de la métropole Aix-Marseille. Est-ce que cette métropole à un sens pour vous?
R. C : Elle n’est pas faite encore. Je crois que c’est très important que cette métropole puisse révéler les énergies territoriales, lui donner une force de frappe, une puissance. Il ne faut pas non plus que ce soit une machine bureaucratique de plus. Ce qui tue ce pays c’est sa bureaucratie. La bureaucratie a compris, comme un virus qui aurait muté, qu’en fabriquant de la nuisance elle renouvelle son territoire existentiel. Si métropole il y a, elle doit permettre aux nombreux talents de cette région d’exister davantage, de les mettre en pouvoir.
Est-ce une critique adressée au projet politique actuel ?
R. C. : Non je n’en fais pas une critique, ce n’est que le début, je dis simplement attention. Ce qui est inquiétant c’est que la forme administrative de la bureaucratie risque d’éloigner le politique du citoyen. Il y a trop d’inconnues derrière le destin de cette métropole. Dans tous les cas, il faut faire en sorte qu’elle fonctionne économiquement, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas un simple outil de prélèvement fiscal supplémentaire…
Un exemple d’un projet que vous mèneriez, un projet qui correspondrait à ce modèle de métropole dont vous nous parlez?
[pullquote] Envie de restaurer le Stadium de Vitrolles.[/pullquote] R. C. : Je crois que je restaurerais le Stadium de Vitrolles. Une salle de concert exemplaire, l’acoustique est exceptionnelle. C’est même une figure emblématique de la culture rock. Un lieu d’autant plus stratégique qu’il est au cœur de ce territoire désespéré de Vitrolles, économiquement en difficulté. (C’est d’ailleurs le projet ambitieux d’un étudiant en architecture! Lire notre reportage).
Réhabiliter des centres culturels excentrés pour faire vivre toutes les dynamiques de la métropole, n’était-ce pas déjà une des ambitions derrière la construction du MuCEM?
R.C. : C’est différent. Le MuCEM est un musée national, une porosité imaginaire et spatiale, un regard sur le paysage méditerranéen. La population (2 millions de visiteurs par an) s’y retrouve parce que les gens se reconnaissent dans cette identité architecturale. Vous savez, moi j’ai une obsession en tant qu’architecte: faire de mon travail une clef de redistribution de richesse, un outil de développement d’emplois territorialisés. Par exemple, un visiteur du MuCEM dépense en moyenne 100 euros. Aujourd’hui on est bientôt à 5 millions de visiteurs depuis son ouverture (en juin 2013), ce qui fait plus de 500 millions d’euros diffusés directement dans la micro-économie territoriale ! Le Produit régional Brut des Bouches-du-Rhône est très faible par rapport aux autres territoires de France. Si la métropole arrive ne serait-ce qu’à donner une ampleur économique, nos espoirs auront été satisfaits.
Est-ce que vous envisagez jouer un rôle dans cette dynamique prochainement?
[pullquote]Il faut que la métropole réalise des projets emblématiques de la poésie de ses territoires.[/pullquote]R. C. : Je suis architecte donc je joue toujours un rôle dans l’élaboration de la cité. On verra, si on me le demande, oui. Dans tous les cas, si la métropole Aix-Marseille doit exister, il faut qu’elle réalise des projets emblématiques de la poésie de ses territoires, de ses qualités, de sa lumière. Pour cela, il faut des paroles savantes, des compétences, des leaders qui inspirent, et pas essentiellement des bureaucrates.
(Crédits photos. Une: Marco Jeanson. Autres : MGM)