Le conseil d’administration du 8 février revêtait une importance particulière pour la Société du canal de Provence (SCP). A la demande de la Région Provence-Alpes Côte d’Azur, son autorité concédante, elle a élaboré un grand programme pluriannuel d’investissements (PPI) pour les 20 prochaines années. « Et face au réchauffement climatique, nous sommes bien obligés de mettre les bouchées doubles si on veut sécuriser l’approvisionnement en eau du territoire », avoue le directeur général du groupe Bruno Vergobbi.
Un plan à 580 millions d’euros pour préserver les cultures
Si les cultures provençales sont historiquement peu gourmandes en eau, elles n’échappent pas non plus au changement écologique de la planète. « Ainsi, la région est touchée par des épisodes de sècheresse de plus en plus longs », constate Bruno Vergobbi. En particulier, les cultures dites pluviales, qui ne nécessitaient pas d’irrigation, comme la vigne, les amandiers ont de plus en plus besoin d’être irriguées.
Pour préserver l’activité agricole en Provence, la société met sur la table 580 millions d’euros jusqu’en 2038. Plus des deux tiers de l’enveloppe seront consacrés aux aménagements hydroagricoles. Pour répondre aux besoin en constante augmentation des exploitants, la SCP va considérablement accélérer le rythme de ses réalisations. Il sera multiplié par trois comparé à la période 2010-2017 en passant de 500 hectares à 1 500 nouveaux hectares irrigués par an. Si les Bouches-du-Rhône, de par leur taille, vont mobiliser un des plus gros efforts avec 90 millions d’euros, le Var va bénéficier d’une attention toute particulière. Les vignobles varois sont particulièrement sensibles à l’augmentation des températures et aux périodes de sécheresse. Il devient donc impératif d’adapter leur culture pour préserver la qualité des vins provençaux. « En particulier, les rosés. C’est un vin très technologique qui change à la moindre variation. Avec la sécheresse, le taux d’alcool peut grimper jusqu’à plus 16 degrés, le rendant impropre à la consommation », explique Lionel Reig, le directeur général adjoint de la Société du Canal de Provence.
Le groupe a donc signé une convention de partenariat avec les différents syndicats de viticulteurs du département et la chambre d’agriculture du Var pour financer l’équipement en réseaux d’irrigation des vignobles. Le montant global de l’opération s’élève à lui seul à 250 millions d’euros pour irriguer quelques 20 000 hectares, soit un coût moyen de 12 500 euros par hectare. Un montage particulier a été imaginé pour ce chantier. Habituellement, les réseaux agricoles bénéficient de la solidarité des autres usages et d’investissements subventionnés à 60 % ou 80 % par les collectivités. Mais l’irrigation de la vigne requiert de grosses sommes, tandis que sa consommation d’eau et les recettes qu’elle génère sont particulièrement faible au regard de la valeur ajoutée des productions. Les viticulteurs sont donc invités à participer à hauteur de 30 % du coût de travaux soit 80 millions d’euros environ. « Avec l’importance des sommes engagées, nous faisons particulièrement attention à équilibrer nos participations avec celles de nos partenaires privés et publics. Dans le cadre du nouveau PPI, nous avons opté pour un scénario réaliste prenant en compte les besoins de la filière agricole et nos capacités à générer de nouvelles ressources en diversifiant nos activités », avance Bruno Vergobbi.
Une diversification vers les services et l’ingénierie
En 2018, la Société du canal de Provence a réalisé un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros en hausse de 5% et a franchi la barre symbolique des 500 salariés. Ce sont les activités connexes à ses missions premières d’accès à l’eau pour les agriculteurs et les populations provençales qui se développent le plus. Elle ne représentaient que 10 % de l’activité globale en 2016 et pèse désormais 14 %. Et cette stratégie va encore s’accentuer dans les années à venir avec un objectif fixé par le conseil d’administration de 20 % du chiffre réalisé par les activités connexes à horizon 2020.
Côté services, le groupe affiche plus de 6 millions d’euros d’activité sur l’année écoulée. Son pôle « solutions pour l’eau » a notamment été en hausse de 8 % à 4,9 millions d’euros avec des gros contrats remportés dans les Bouches-du-Rhône sur du traitement de l’eau. L’activité des laboratoires devrait atteindre les 880 000 euros en 2018, soit une croissance de 3 % environ. Pour l’année à venir, le groupe table sur un chiffre d’affaires de 7,6 millions d’euros. Il attend notamment de fortes progressions sur l’activité pilotage de l’irrigation et du digital agricole autour de l’outil SCP AgriData. En partenariat avec la startup Fruition Sciences (Montpellier), il a élaboré une nouvelle plateforme pour estimer très précisément les besoins en eaux des plantes. « Avant, on inondait les champs. Ensuite, on a eu des capteurs d’humidité au niveau de la terre. Nous, on a développé des capteurs d’activité de sève pour être encore plus précis et économe avec cette ressource si précieuse qu’est l’eau », raconte Philippe Vitel, vice-président de la Région et Président de la SCP.
Le groupe a également développé une forte activité d’ingénierie en France et à l’international. La SCP travaille beaucoup avec l’Afrique de l’Ouest. Elle vient notamment d’achever son premier contrat de type conception-réalisation au Cameroun. En 2018, cette activité a généré 2,4 millions d’euros et elle va encore grandir au vu des contrats signés dans le courant de l’année. Au Laos, la Société a remporté un appel d’offres pour réaliser les études de modernisation du périmètre irrigué de Nam Kata au centre du Pays. En Jamaïque, le groupe va aussi réaliser un projet hydraulique pour sécuriser l’alimentation en eau d’une zone de 1 200 hectares dans le Sud-Ouest du pays.
Autonome en énergie en 2025
L’autre grand chantier de la Société du Canal de Provence concerne les énergies renouvelables. Son objectif est clair : parvenir à une autonomie énergétique complète en 2025. Pour y arriver, elle doit arriver à 40 Gwh/an alors qu’elle n’atteint actuellement que les 10 Gwh/an. « Nous plaçons aujourd’hui la production d’énergies renouvelables comme notre quatrième activité », prévient Bruno Vergobbi. Le groupe compte évidemment sur le potentiel hydroélectrique de son réseau pour produire une énergie propre. Il peut déjà compter sur dix microcentrales qui représentent l’ensemble de sa production. Cependant, il mise beaucoup sur le développement de panneaux photovoltaïques. Sur sa réserve foncière tout d’abord mais il attend beaucoup du projet Canalsol, en partenariat avec le CEA, qui prévoit d’installer des panneaux au-dessus de l’eau de ses canaux. « Pour l’instant, nous sommes confrontés au prix trop élevés des structures qui supportent les panneaux », avance Lionel Reig, le directeur général adjoint. Cependant, il travaille déjà sur un démonstrateur d’une puissance installé pouvant aller à 250 KW. A Marseille, il va encore plus loin avec son projet de centrale solaire flottante sur le bassin du Vallon Dol. Il a choisi EDF comme partenaire. Le groupe rêve de faire les premiers tests mais il doit tout d’abord obtenir les autorisations de l’Agence régionale de santé qui veut éviter toute contamination de l’eau. Une mise en service en 2022 est aujourd’hui évoquée.