Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, la France s’est fixée l’objectif ambitieux d’atteindre les 10 % de gaz renouvelable dans les consommations énergétiques françaises en 2030. Encore très dépendante des énergies fossiles, Marseille veut tenir le pari et engage un partenariat avec le groupe Suez pour développer la production de gaz vert sur son territoire. A travers sa filiale Seramm en charge de l’assainissement sur la métropole Aix-Marseille Provence, Suez a officiellement lancé le 8 mars la construction de la plus grande unité de production et d’injection de biométhane en France.
Quand les eaux usées deviennent source d’énergie verte
Le groupe spécialisé dans la gestion des déchets a déjà mené des expériences similaires à Strasbourg et Grenoble avec Aquabiogaz qui affiche une production équivalente à la consommation annuelle de 2 500 foyers. Sur sa station Géolide à Marseille, Suez dispose d’une ressource insoupçonnée avec les 200 000 m3 d’eaux usées traitées chaque jour. L’usine de la Cayolle récupère les boues liquides et les concentrent dans des épaississeurs où elles décantent par gravité. Ensuite, elles rejoignent les digesteurs, de grandes cuves privées d’oxygène, qui par fermentation produit du biogaz. « Depuis les années 1980, on utilise ce gaz pour alimenter nos chaudières et les sécheurs mais il restait en grande partie inexploité », explique Marc du Rostu, directeur de travaux chez Seramm. Le biogaz en surproduction est même brûlé en torchère, « ce qui fait un peu tâche en plein milieu du parc national des Calanques », avoue Alexandre Gallèse, Vice-Président à la stratégie environnementale de la Métropole. Actuellement, le biogaz produit contient du méthane, du CO2, de l’hydrogène sulfuré, de l’eau et diverses impureté. Pour produire un biométhane exploitable sur le réseau public, un traitement spécifique doit être mis en œuvre. Le procédé technologique repose sur l’exploitation d’un système membranaire pour séparer le CO2 et le méthane après désulfurisation des boues à l’intérieur de l’unité actuelle et avant mise sous pression pour l’injection dans le réseau de gaz naturel. Seramm livrera un biométhane de type H conforme aux spécifications de GRDF qui exploite le réseau de distribution vers les foyers français. « L’ensemble ne générera aucune nuisance supplémentaire car le processus s’accomplit en circuit fermé », promet Marc de Rostu.
Une production de 2,3 millions de m3 en janvier 2019
Ce jeudi 8 mars, le président de la Métropole, Jean-Claude Gaudin, le directeur général de Suez, Jean-Louis Chaussade, et le préfet de Région, Pierre Dartout, ont inauguré le lancement de ce chantier qui doit durer un an environ. Les études préparatoires se sont terminées à la fin du mois dernier et le permis de construire est déjà en cours d’instruction. Le cœur du chantier se déroulera entre mai et juillet 2018 avec l’implantation du conteneur abritant le système membranaire, et le compresseur de juin à septembre. L’installation des échangeurs thermique destinés au préchauffage des boues sera réalisée, elle, de juillet à novembre pour une mise en service prévue en janvier 2019. Avec un volume de 40 tonnes de boues traitées chaque jour, Seramm table sur une production annuelle de 2,3 millions de normo mètres cubes (unité de mesure de quantité de gaz qui correspond au contenu d’un volume d’un mètre cube) pour commencer, de quoi alimenter en chauffage 2 500 foyers marseillais. A terme, l’entreprise prévoit de réaliser une extension de son unité pour atteindre une capacité de 3,8 millions de normo mètres cubes. L’investissement de 9,2 millions d’euros est porté par la métropole Aix Marseille Provence (2,65 millions d’euros), le Seramm (2,38 millions d’euros), l’Agence de l’eau (2,52 millions d’euros), la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (800 000 euros) et l’Ademe (640 000 euros). Il ne devrait pas peser sur le budget des ménages car la vente du gaz aux opérateurs contribuera à le financer sur une durée de onze ans. La Seramm espère récupérer 1,6 millions d’euros par an de la vente de cette énergie propre et une petite partie sera reversée à la Métropole. « Notre première priorité est de réduire la facture énergétique du territoire qui est de l’ordre de 5,5 milliards d’euros par an », rappelle Jean-Claude Gaudin.
Du gaz propre pour faire rouler les bus de la RTM
Outre les gains économiques, ce nouvel outil doit surtout permettre de diminuer l’impact environnemental de la production d’énergie. La récupération de chaleur prévue dans le projet permettra notamment de réduire de 30 % la consommation d’énergie fossile. La qualité de l’air se trouvera également améliorée par une baisse de 30 % des émissions de gaz à effet de serre grâce à la diminution du temps de torchage qui était jusqu’à présent nécessaire à l’élimination des surplus. La Métropole compte aussi sur cette nouvelle source d’énergie propre pour alimenter son futur réseau de bus au gaz. Elle estime pouvoir faire rouler 150 véhicules parcourant plus de 6 millions de kilomètres par an avec la production de la nouvelle unité de Suez : « Les transporteurs pourront notamment faire valoir le droit d’usage du biométhane de l’usine de Sormiou et satisfaire ainsi l’obligation prochaine de renouveler au moins 25% des parcs de véhicules en véhicules verts », se félicite le président de la Métropole, Jean-Claude Gaudin.
La gestion et l’assainissement des eaux sur le territoire est une question au cœur de la qualité de l’environnement. « On ne doit cesser d’améliorer la qualité de nos eaux de baignades et celles de nos rivières en diminuant les rejets », insiste Roland Giberti, maire de Gémenos et Vice-président de l’eau et de l’assainissement à la Métropole. Le territoire compte actuellement 74 stations d’épuration des eaux usées et les services de la Métropole ont commencé à réfléchir aux filières de valorisation de ces déchets : « Les pistes de recyclage ne manquent pas : dans le domaine de l’énergie, comme ici, mais également de l’agronomie, et plus généralement dans notre contribution à la mise en place d’un système d’économie circulaire », assure Jean-Claude Gaudin. En attendant, d’autres groupes privées sont en train de suivre les traces de Suez. Sur la station d’épuration de la Pioline à Aix-en-Provence, Veolia travaille sur un projet équivalent de production de biogaz. La Métropole doit de son côté encore améliorer ses propres installations de traitement des eaux. A la Fare-les-Oliviers par exemple, l’Etat vient de la mettre en demeure sur le non-conformité de sa station d’épuration qui rejette des mati-ères polluantes dans l’Arc et l’Etang de Berre : « Nous sommes conscients du problèmes et nous sommes en train d’établir un diagnostic sur ces équipements », se contente de répondre pour l’instant Roland Giberti. Pourtant, la préfecture lui a donné six mois à partir du 15 février pour « mettre en œuvre tous les moyens nécessaires » pour « fiabiliser ou remplacer la filière boue » de la station. Ses rejets illégaux sont susceptibles de poursuites pénales.
Depuis 2016, Marseille se débarrasse de ses boues jusqu’en Bourgogne
Si toute l’assemblée d’élus et de cadres de la Seramm se félicite du lancement de ce projet innovant sur l’usine de traitement des boues de Sormiou, une ombre imposante continue de peser sur le fonctionnement de l’unité de Suez. Le 10 mars 2016, un incendie s’est déclaré dans l’atelier de séchage forçant l’entreprise à stopper les machines. Depuis ce jour, Seramm ne peut plus transformer ses boues liquides en matières solides afin de les envoyer brûler dans l’incinérateur Evéré de Fos. L’entreprise doit alors trouver de nouveaux débouchés pour ces déchets. Chaque jour, des dizaines de camions viennent transporter les boues pour s’en débarrasser sur différents sites dans toute la France : « On peut aller jusqu’en Bourgogne ! Ce n’est pas très écolo », s’étonne Roland Giberti. Une solution de repli qui coûte environ 1,6 millions d’euros par an à la Métropole, soit l’équivalent du chiffre d’affaires espéré par la revente du biogaz qui sera bientôt produit à la Cayolle. L’enquête toujours en cours pour déterminer les causes de l’accident empêche de lancer les travaux nécessaires à la remise en service des sécheurs et risque de prolonger le balai des camions qui traversent le pays pour faire disparaître les déchets des eaux usées marseillaises. « On doit déterminer un coupable et ce sont de très grosses sommes en jeu alors ça risque de prendre du temps », prévient Roland Giberti qui semble pressé de voir cette affaire se conclure.