Marseille est une “ville monde” paradoxale où le vivre-ensemble est à la fois une réalité et un mythe, une évidence et un défi.
Évidence du vivre-ensemble d’abord, dans une ville où nos cinq sens savent vibrer en commun. Ce sont des clichés mais aussi des réalités tangibles : on aime voir l’OM, sentir le thym et la chaleur du soleil, toucher le sable et les vagues, goûter la sardine grillée et cet esprit fier et frondeur à nul autre pareil…
Évidence aussi, dans une ville refuge depuis toujours pour tous les persécutés et les exilés du monde (italiens, arméniens, rapatriés, maghrébins, comoriens…) : c’est l’honneur de la cité phocéenne. Comme le dit bien l’historien Emile Temime “être de Marseille, c’est être d’ailleurs”.
Reconnaître les fractures
Mais derrière ces évidences, le vivre-ensemble à Marseille représente aussi un sacré défi ! Car dans le même temps, Marseille est une ville fracturée : socialement, territorialement, culturellement. L’une des plus inégalitaires de France. Une ville où la géographie sépare les classes sociales et l’avenir ne les réunit pas. Une ville où les transports en commun cloisonnent au lieu de créer du commun.
Dans une ville physiquement hostile aux personnes handicapées (accessibilité, services…), où l’école de la République n’en a parfois que le nom, où des centaines de SDF ne trouvent pas de logement, le vivre-ensemble reste hélas aussi un mythe.
Se croiser sur la Canebière, au Vélodrome ou aux Terrasses du Port ne suffit pas à “faire territoire” … Et sans “nous Marseillais” effectif et inclusif, comment pouvoir résoudre efficacement les problèmes considérables du territoire : mal-logement, chômage, enclavement, exclusion, pollution ?
Alors que faire ? Pas de réponse unique ni de solutions miracle, bien sûr. Mais trois moteurs me paraissent à allumer, sinon à amplifier, dans la durée, pour “fabriquer du nous”.
Cultiver les intérêts
D’abord le moteur de l’intérêt. Reconnaissons que l’entre-soi est une inclinaison naturelle, humaine: le “vivre-ensemble” ne va pas de soi, il se prépare et se construit. Il y a ainsi besoin d’expliciter et de cultiver les intérêts à vivre ensemble, qu’ils soient économique ou affectif, de court ou de long terme, en répondant clairement à la question : « qu’est-ce j’y gagne ? »
Le programme de formation marseillais Skola (fondation Apprentis d’Auteuil) réussit parce qu’il sait faire rencontrer deux intérêts : d’une part, celui de jeunes en manque de réseau et de diplôme et d’autre part, celui d’entreprises qui peinent à recruter des talents sur des métiers en tension (vente, hôtellerie, fibre optique…). Et les résultats sont en rendez-vous : 200 jeunes déjà accompagnés, plus de 75 % de retour à l’emploi et un déploiement national en cours.
Réveiller les fraternités
L’intérêt n’empêche pas la fraternité bien au contraire ! Mais cette dernière ne se décrète pas. Dans nos sociétés compétitives et nerveuses, l’élan altruiste est même souvent enfoui et entravé. Mais en créant le bon cadre (d’incitation, de rencontre, de suivi, d’action), ce potentiel de fraternité peut se révéler avec sa pleine puissance.
Dans le cadre de «Degun sans stage» par exemple, initiée par l’entreprise Provepharm et l’Ecole Centrale de Marseille, des entreprises ouvrent leurs portes à des collégiens issus de quartiers en difficulté, pour faire un beau stage découverte de 3ème. Près de 350 adolescents ont pu en bénéficier cette année. Les entrepreneurs ne l’auraient pas fait spontanément. Mais en créant des conditions adaptées, l’initiative leur a permis de franchir le pas.
Partager des rêves
En effet, pour quitter le confort de l’entre-soi et prendre le risque de la différence, rien de plus entraînant que la force d’un rêve partagé.
Basée au Vieux-Port (CNTL), Mixivoile porte un rêve simple : un bateau pour tous. Quel que soit son âge, son origine sociale, son handicap, etc. chacun a le droit de goûter au plaisir de la mer et d’apprendre l’art de la voile. Face à la mer, les fractures se résorbent, tout le monde est à pied d’égalité, se mélange et apprend à se découvrir, dans les deux sens du terme. En 2018, 1500 personnes ont embarqué, dont la moitié en situation de handicap et 15 % de jeunes en insertion.
Quand intérêt, fraternité et rêve se conjuguent, quand on sait ainsi parler simultanément à la raison, au coeur et aux tripes, il est possible de fabriquer à nouveau du “nous”. À travers des initiatives de terrain, mais aussi via des nouvelles politiques publiques, à même de changer vraiment la donne.
Transformer le cadre
Ces politiques publiques novatrices et ambitieuses, à même de transformer en profondeur “la vie ensemble” à Marseille, restent néanmoins largement à inventer.
Dans les mois qui viennent, la Fabrique du Nous se propose justement de travailler, avec les forces vives locales motivées, à bâtir une plateforme originale de propositions à l’attention des candidat(e)s aux municipales de 2020. Des propositions offensives sur l’éducation, le logement, l’urbanisme, les transports, l’emploi ou encore la santé. Pour sortir de l’impasse du “vivre séparé” actuel et faire du mieux vivre-ensemble un enjeu prioritaire des élections à venir.
Les défis du vivre-ensemble ne sont pas spécifiques à Marseille. Ils concernent la France entière et même de nombreux autres pays. Faisons de Marseille une ville à nouveau inspirante sur le sujet, une capitale du vivre-ensemble qui puisse rayonner et influencer la Nation entière et au-delà.
Tarik Ghezali, fondateur de La Fabrique du Nous
www.lafabriquedunous.fr
Idées et projets pour repenser le vivre-ensemble.