En pleine bataille des municipales, nous publions aujourd’hui une tribune* de Fatima Orsatelli, travailleuse social, militante associative, présidente de Dégageons l’Horizon, ancienne conseillère régionale Provence Alpes Côte d’Azur déléguée à la Politique de la ville, et d’Alain Trannoy, économiste, directeur d’études à Marseille à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), professeur à l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille et conseiller scientifique à France Stratégie. Leur point de vue interpelle tous les candidats en pointant le mode de scrutin : « Etes-vous prêt à vous engager à demander au Gouvernement et à l’Assemblée Nationale de sortir Marseille de la Loi PLM pour que cette élection municipale soit la dernière avec ce mode de scrutin ? »
Dans une tribune dans Le Monde datée du 11 juin 2019, nous pointions le fait que le drame de la rue d’Aubagne, tout comme l’incurie dans la gestion des écoles et l’abandon des quartiers Nord n’étaient pas de la seule responsabilité de la présente équipe municipale. Elle était aussi le fruit du mode de scrutin de la loi PLM. Cette loi conçue par un génie politique, Gaston Defferre, semble une fois de plus tenir toutes « ses promesses ». Une fois de plus l’élection est en passe d’échapper aux Marseillais. Une fois de plus les enjeux passent au second plan au profit des querelles de personnes et des enjeux réducteurs de mainmise sur des territoires.
Bienvenue dans ces 8 bastions organisés en autant de places fortes
Pour accéder à la magistrature de la ville, il faut passer à Marseille comme à Paris et à Lyon d’abord par la case secteur. Dans toutes les grandes villes où deux tours suffisent pour dégager une équipe et un projet, il nous en faut donc trois. Comme si nous n’avions déjà pas suffisamment de problèmes à circonscrire !
Marseille est très étendue et très diverse. C’est une banalité de le constater mais cette ville semble trop grande pour ceux qui aspirent à la gouverner. Alors, bienvenue dans le combat à corps à corps, dans ces huit bastions organisés en autant de places fortes, où tous les coups sont permis, et où l’intérêt de la ville dans sa globalité est perdu de vue.
Où sont les axes forts des uns et des autres, où mettront-ils la priorité ?
Alors même que l’état de Marseille suscite une grande inquiétude et une profonde insatisfaction chez les Marseillais qui voit leur ville à la dérive dans de nombreux domaines, logement, écoles, transport, pollution, pauvreté et discrimination, trafics, délinquance et grande criminalité, propreté, dette, services publics défaillants, une ville qui tourne en sous-régime, comme s’accordent à le dire tous les visiteurs occasionnels, que constate-t-on ?
Une campagne morne, sans élan, où les faits saillants se concentrent sur les changements de camps, sur les trahisons personnelles des uns ou des autres considérées comme des prises de guerre
Fatima Orsatelli et Alain Trannoy
Une campagne morne, sans élan, où les faits saillants se concentrent sur les changements de camps, sur les trahisons personnelles des uns ou des autres considérées comme des prises de guerre, où les commentaires se concentrent sur le mercato, sur la course aux petits chevaux, les billards à trois bandes avec en vue les sénatoriales. Aucun débat public annoncé ! Où sont les axes forts des uns et des autres, où mettront-ils la priorité ? Qui s’est exprimé, comme nous l’avons tenté fait, dans la presse nationale pour dégager les enjeux et proposer les remèdes ?
Marseille est très endettée, on ne pourra pas tout faire ! Oui, en termes de théorie des jeux, cette campagne est ouverte, passionnante, avec ses coups de Jarnac qui ponctuent cette campagne. La concurrence entre 7 listes va démultiplier les possibilités de marchandage qui peuvent changer d’un secteur à un autre. Mais au-delà de la compétition électorale qui peut toujours amuser par son caractère sportif, cette campagne ne suscite aucun enthousiasme dans la population. Plus que jamais, le monde politique joue en vase clos et les militants ont déserté. Marseille va-t-il manquer cette occasion de rebond, pourtant si indispensable ?
Ce mode de scrutin favorise les baronnies et leurs clientèles.
Fatima Orsatelli et Alain Trannoy
Ce mode de scrutin favorise les baronnies et leurs clientèles. L’horizon politique s’arrête le plus souvent au secteur avec la seule perspective de monnayer son territoire dans tout accord de second ou de troisième tour, au détriment de la compétence et de l’intérêt général.
Sortir Marseille de la Loi PLM pour que cette élection municipale soit la dernière avec ce mode de scrutin
Cela peut faire craindre le pire sur les petits arrangements entre amis et ennemis au soir du premier tour. Aurons-nous droit à un choix clair au soir du premier tour, entre des options affirmées sur la façon d’envisager le travail municipal, sur la démocratie locale au plus près des intérêts, des attentes, des préoccupations des habitants et surtout des plus fragiles ? Sur les priorités financières, sur l’augmentation ou non des impôts locaux ou le recours à la dette ? Sur la façon de s’attaquer à toutes les prébendes et tous les trafics qui constituent une plaie et favorisent le Front National qui en joue et en surjoue ?
Alors, posons à ce stade une question toute simple aux candidats. Etes-vous prêt à vous engager à demander au Gouvernement et à l’Assemblée Nationale de sortir Marseille de la Loi PLM pour que cette élection municipale soit la dernière avec ce mode de scrutin ? Dans ce domaine aussi, l’héritage de Gaston Defferre est trop lourd à porter et a été depuis trop longtemps largement défavorable à nous autres Marseillais.
Fatima Orsatelli et Alain Trannoy
(Mardi 3 mars 2020)
(*) Gomet’ Media, attaché à la vitalité du débat local, publie régulièrement des tribunes de contributeurs extérieurs. Ces points de vue n’engagent pas la rédaction.