C’est une charge à la hussarde. Qu’en vieux grognard de la plume j’ai apprécié comme un compliment. Un lecteur de Gomet’ m’écrit un message courroucé. J’ai parlé dans ma dernière chronique de Sébastien Delogu s’affichant avec Manuel Bompard et Assa Traoré pour annoncer son meeting de lancement de campagne des municipales.
Le député des Bouches-du-Rhône a choisi d’appeler l’égérie de la cause anti-raciste d’Ile-de-France à haranguer avec lui ses partisans pour, dit Delogu, « ramener le peuple au pouvoir ». C’est beau comme un 13 juillet 1989. Quant à la présence de Traoré mon interlocuteur me confirme qu’elle est bien là pour dénoncer une réalité tant de fois répétée par les Insoumis, « la police tue ».

Il cite aussi en défense Pierre Joxe, ministre de François Mitterrand, qui a dénoncé (Sécurité intérieure, chez Fayard) quelques inacceptables dérives policières dont les victimes trop souvent sont les plus démunis, les plus vilipendés, les plus visés. Cette plèbe qui n’a rien et agace la couenne de ceux qui ont tout.
Victor Hugo l’avait précédée avec cette formule lancée en 1851 dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale et qui est devenue slogan pour les Insoumis : « Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part ! »
Nous ne referons pas l’Histoire face à notre contradicteur, mais qu’il nous soit permis de dire ici que ce qui nous gêne dans cette condamnation, c’est la formule générique « La police ». Si tous les policiers sont corrompus et assassins, on peut alors citer à l’infini quelque tout qui font partie, sans pour autant faire vérité. « Les professeurs ne pensent qu’aux vacances », « les fonctionnaires sont tous des feignants », « les magistrats… selon Nicolas Sarkozy sont issus « du même moule, les mêmes personnes, tout le monde qui se ressemble, alignés comme des petits pois » … on passera sur « les juifs et leur goût du lucre », « les Arabes et leur bellicisme viscéral », « les peaux rouges et leur soif de scalps ».
Le poids des mots donc et l’impérieuse nécessité de le mesurer avant de les délivrer.
Pour ma part c’est au téléphone qu’un matin j’ai pris conscience qu’un pluriel pouvait masquer le singulier. C’était au défunt Provençal. Un retraité m’interpelle : « Pourquoi vous parlez toujours en mal dans votre journal des quartiers Nord. Il y a aussi des hommes et des femmes honnêtes qui vivent dans ces quartiers qui se sont cassés le dos sur le port, dans les savonneries, dans le bâtiment pour s’acheter un petit bien. Et vous nous humiliez nous qui avons toujours vécu là, sans jamais demander notre reste ». C’était il y a trente ans et le vieil homme amer avait raison. Le mal était pourtant déjà fait. Aujourd’hui à Brest, Toulouse, Angoulême, Lyon ou Strasbourg on parle systématiquement de Marseille et de la malédiction qui pèse sur les quartiers Nord ou « les quartiers shit » pour reprendre le jeu de mots de Philippe Pujol (La fabrique du monstre, Les Arènes).
Le poids des mots donc et l’impérieuse nécessité de le mesurer avant de les délivrer. Une étude publiée ce 3 décembre par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) révèle que la première des préoccupations des Français concernait le spectacle offert par la classe politique. L’usage de la parole éruptive plutôt qu’explicative doit y être pour beaucoup. Marseille n’échappe pas à ce qui pose un problème fondamental pour la survie de l’espace démocratique. Il suffit d’une expression mal formulée, tronquée, ambivalente, pour plonger les électeurs vers des abysses où le doute le dispute à la désespérance. Et là encore il faut faire le distinguo entre une formule générique et un positionnement singulier.
Prenons ainsi la prestation récente de Mme Martine Vassal sur l’onde de Sud-Radio. Elle est interrogée sur un second tour aux élections municipales qui s’annonce d’ores et déjà complexe et ouvre pour le camp qu’elle représente l’hypothèse d’une alliance avec Franck Allisio et le Rassemblement National. L’actuelle présidente de la Métropole a répondu « on verra à ce moment-là » ouvrant de facto le champ des possibles.

La foudre s’est aussitôt abattue sur elle. La gauche lui reproche « d’ouvrir la porte » à l’extrême-droite, la droite « de ne pas la fermer ». Renaud Muselier, qui faut-il le rappeler a conquis la Région grâce au front républicain et le retrait au second tour des socialistes de la compétition, sentant le danger, a une fois encore osé évoquer, pour défendre sa championne, un « féminicide politique ». Son directeur de cabinet Romain Simmarano proposait illico une autre cible, en allumant un contrefeu. Il dénonçait, sans vergogne ni preuve, « l’insupportable collusion entre LFI et Benoit Payan ».
Seule la très macroniste Sabrina Agresti-Roubache, ultra-minoritaire dans la coalition dans laquelle elle s’est engagée, a dit sa « colère » sa « déception » et sa « honte ». Gabriel Attal président de Renaissance lui a implicitement donné raison et obtenu, dit-il, un engagement sans faille de Martine Vassal. Pas d’alliance avec le RN. La messe est dite. Pas sûr. Une chose est patente comme l’atteste l’étude citée plus haut du Cevipof, les Marseillais ont de quoi être préoccupés par la sphère politique qui prétend les gouverner.
Question au bout de ce pathétique mécompte : c’est quoi un écologiste à Marseille ?
Un autre exemple permet d’abonder en ce sens. Là encore on peut – à tort – partir d’un terme générique : les écologistes. Mais qui sont-ils en fait ces verts mâtinés c’est selon de rouge, de rose, de bleu qui s’entredéchirent pendant que l’horizon de la planète phocéenne s’assombrit de noir. Où l’on apprend que Sébastien Barles a pris distance avec la majorité municipale pour rejoindre LFI avec dans son programme le désarmement de la police municipale, le démantèlement de la vidéo-surveillance et la dépénalisation du cannabis. Audacieux au moment où le nouveau préfet de Région promet « la férocité républicaine » à ceux qui ébranlent l’ordre public. Barles a appelé la nouvelle formation qu’il dirige « Vaï » qui veut dire « viens » en Provençal. Oui mais pour où, s’interroge du coup Hervé Menchon, écologiste comme lui, mais peu enclin à s’engager dans la direction de Barles.

Pour compliquer la tâche des citoyens marseillais, soucieux de l’avenir environnemental de leur territoire, Christophe Madrolle, ancien directeur de campagne de Dany Cohn-Bendit aux élections européennes de 1999, y va de son antienne en prônant « une écologie des solutions » (Le nom de son Think-Thank). Il a été élu derrière Muselier à la Région, conteste l’urgence à « parler aux électeurs du RN » comme le souhaite Mme Vassal et ne trouve pas plus de « valeurs » à partager avec Franck Allisio qu’il n’y en aurait avec Sébastien Delogu. Question au bout de ce pathétique mécompte : c’est quoi un écologiste à Marseille ? Seule certitude : un mot peut être hybride, complexe, trompeur voire décourageant.
Ces giboulées automnales sont préoccupantes et on conviendra que les citoyens français et marseillais ont des raisons d’être déboussolés par le comportement de nos femmes et hommes politiques. Ils les mettent légitimement donc, comme le démontre l’étude du Cevipof , et l’écrit Le Monde « au banc des accusés ».
Le mauvais film qui se joue dans et autour du petit palais mairie du Vieux Port est d’autant plus affligeant que de grandes questions s’invitent régulièrement au premier rang de l’actualité marseillaise. Quid d’un rassemblement citoyen après la tragédie qui a frappé la famille Kessaci victime de sa lutte contre le narcotrafic ? L’avenir du Port autonome, où l’on annonce un investissement d’un milliard, redonnera-t-il des perspectives à une population qui fut si longtemps rattachée à sa prospérité ? (1) Quand osera-t-on, comme dans la plupart des villes éco-responsables, mettre fin à la dictature de tout ce qui est mobile et motorisé ? Où en sont les mal-logés à l’heure où des propriétaires rénovent à tout va pour n’abriter que des touristes en quête d’exotisme marseillais ? Pourquoi la greffe du programme euroméditerranéen n’a pas prise sur l’ensemble du tissu social des quartiers où il s’étend désormais ? Comment mettre fin au saupoudrage territorial du département, pourtant lourdement endetté, que pointe du doigt la Chambre régionale des comptes et qui induit qu’une fusion entre le conseil départemental et la métropole semble inéluctable ? De bonnes questions complexes en attente de réponses construites, argumentées, lisibles.

La liste est loin d’être close et convoque tous ceux qui prétendent diriger Marseille pour s’expliquer plutôt que faire des phrases, ou pire, dissimiler leur impéritie derrière un ou des mots aussi dangereux que des mines antipersonnel sur un champ de bataille. Tout un programme à venir, à entendre et à débattre en quelque sorte.
(1) Une audition-débat est proposée par Marseille et moi sur le thème « le Port de Marseille, ADN des Marseillais pourtant grand inconnu » ce mardi 9 décembre, à 18h30, au Vieux Moulin, 12 rue de Provence, 13004 Marseille. Intervenants : Jacques Hardelay, président d’honneur du chantier naval de Marseille et président de l’association Marseille Provence Croisière et Thierry Aguila, écrivain et réalisateur de « Dockers une famille sur le port. »













