C’est une pétition qui remet la question sur la place publique. Lancé par Adrien Sergent sur Change.org, «Protégeons le vrai savon de Marseille», dépassait les 75 000 signatures le 2 février. C’est de ce même impétrant que partit, fin 2012, la mobilisation initiale du grand public autour de l’enjeu de la préservation du Savon de Marseille. Souvenez-vous, à l’époque, La Savonnerie du Fer à Cheval menaçait de s’effondrer. Suite à la mobilisation citoyenne et politique, une loi était votée en juillet 2013 pour étendre le label IGP (Indication Géographique Protégée) jusque là réservé à l’agro-alimentaire aux produits industriels et artisanaux. Histoire de préserver ce patrimoine local et différencier l’authentique du produit d’import à la composition douteuse qui remplit étals et rayons.
Aujourd’hui c’est la définition de cet IGP qui fait débat. Et là, deux visions divergent… Elles ont donné lieu à deux dossiers différents déposés à l’INPI. Selon la pétition lancée récemment, la menace vient «des laboratoires cosmétiques qui tentent d’usurper l’image du Savon de Marseille auprès des consommateurs». Ces nouveaux acteurs souhaitent modifier la recette avec des adjuvants, ne pas se limiter aux Bouches-du-Rhône pour la zone de fabrication etc… Les méchants industriels contre les gentils artisans ? David contre Goliath ? «Plus complexe, la réalité est», dira maître Yoda dans l’épisode VIII.
La guerre des savons
Il y a les historiques de l’Union des professionnels du savon de Marseille (UPSM) qui militent de puis 2012. Nous les appellerons ”les tradis”. Composés de 4 savonneries (du Midi, Marius Fabre, Fer à Cheval, et le Sérail). L’association a déjà un tampon commun ”Savon de Marseille” relié à une charte de production. A savoir un savon vert ou jaune (selon l’huile végétale utilisée ; palme ou olive), d’une forme géométrique non fantaisiste, à la composition pure : de l’huile végétale, de la soude, du sel, puis basta grosso modo. Aucun adjuvant, ni colorant, ni parfum. Bref, un savon à l’odeur de savon et rien d’autre, fabriqué à Marseille, maximum dans les Bouches-du-Rhône.
Puis il y a l’association des fabricants de savon de Marseille sortie du bois en juin 2014 et qui a déposé en premier un dossier à l’INPI, prenant les ”tradis” de court. Nous les appellerons les ”libéraux”. 12 entreprises – dont 1 seule marseillaise – forment ce regroupement qui inclut le Var, les Alpes de Hautes-Provence et une partie de la Drôme. Chez les ”libéraux”, on trouve des acteurs industriels comme les laboratoires BEA, L’Occitane de Provence, Sandralex, ou plus artisanaux comme la savonnerie des Alpilles ou le marseillais de La Licorne. Pour eux, il est dommage de limiter le marché du futur savon de Marseille IGP. «Ce que les clients veulent c’est du savon à la lavande», constate Serge Bruna, le président des ”libéraux” depuis la Savonnerie la Licorne. Donc une ouverture aux colorants et aux parfums «des huiles essentielles et du tout bio, s’il le faut» concède-t-il sans engager l’association. Mais ne pas se contraindre à la cuisson en chaudron, ni à la stricte géographie des Bouches-du-Rhône. Et pouvoir tenter des formes originales comme celle de la cigale.
«Si l’IGP est fait pour favoriser les plus forts, c’est dénaturer la lutte initiale pour préserver les savonneries marseillaises», s’engatse Bernard Demeure, responsable de la Savonnerie du Fer à Cheval et porte-parole des ”tradis”. «Si cette définition est retenue, c’est la fin du savoir-faire à l’ancienne, nous ne serons plus compétitifs et il sera impossible de se différencier. Être savonnier c’est réaliser la transformation des éléments sur 8 à 10 jours. Dans leur cahier des charges, nos confrères – ou concurrents je ne sais plus comment les appeler – n’ont pas obligation de réaliser leur propre pâte à savon. C’est le même débat qu”il y a quelques années sur l’appellation de boulanger pour ceux qui ne font que cuire le pain. Il faut sauver le métier de savonnier !», explique Bernard Demeure pour expliquer la beauté du geste des ”tradis” sans pour autant attaquer la qualité des savons des ”libéraux”, ni même les hommes. Mais quand même, «,je n’ai jamais compris ce que venait faire l’Occitane, ils ne fabriquent rien eux, ils vendent. De plus le chiffre qu’ils font sur leur Savon ne représente rien pour eux (ndlr : ligne de savon Bonne Mère dont un modèle est sans parfum ni colorant) ».
Mets de l’huile dans la vie faut l’IGP
«Ce qui est dommage, c’est que pendant qu’on fait la guéguerre, on laisse du savon de mauvaise qualité produit de l’autre côté du globe circuler sur le marché sous le nom savon de Marseille», regrette le président des ”libéraux”. La démarche de l’homologation de l’IGP en est à l’étape INPI. Le dossier des tradis va entrer dans l’étape de l’enquête publique. A la fin, l’autorité devra trancher. Ou forcer les ”tradis” et les ”libéraux” à se mettre d’accord. La Chambre de Métier et de l’Artisanat qui avait organisé une conciliation a échoué. Si chez les ”tradis” il y a certainement des extrémistes et des opportunistes chez les ”libéraux”, certains souhaitent une paix négociée. Des huiles essentielles pour les parfums pour les ”libéraux”, une détente sur la forme du savon pour les ”tradis”.
Les enjeux sont multiples. L’IGP savon de Marseille serait un formidable atout à l’exportation. Les ”libéraux” qui revendiquent « 1440 salariés et 95% du chiffre d’affaires du secteur » comme l’annonce l’article de Marsactu en ont complétement conscience. Chez les ”tradis”, on revendique «3000 Tonnes de savon produit chaque année soit 10% du marché national». Chez les dermatos, le Savon de Marseille est conseillé pour sa pureté et sa composition sans colorant ni parfum. Mais les dermatos se moquent de son lieu de fabrication. Manque plus qu’ils s’y mettent eux aussi.