Des voix s’élèvent – c’est bien – pour dire ou écrire que personne après cette première quinzaine de 2015 ne pourra faire l’économie de cette réflexion : comment lutter contre l’isolement d’une partie importante de la population dans laquelle prospère l’intégrisme, l’extrémisme, l’opposition aux lois républicaines et à la laïcité ? Depuis les années soixante à Marseille le fossé n’a pas cessé de se creuser entre ces quartiers qu’on situait, par raccourci, au Nord, mais qui vont en fait bien au-delà de ces limites. A l’exception d’enseignants ou d’animateurs sociaux remarquables, peu ont consenti à braquer leurs regards sur une réalité dérangeante, accablante, grandissante.
Longtemps la carte politique a révélé cette césure. Quatre secteurs à gauche, quatre secteurs à droite se plaisait-on à commenter à l’exception notable de l’épisode Robert P. Vigouroux auteur inattendu d’un grand chelem en 1989 (Il sera maire jusqu’en 1995 et sera avec d’autres l’initiateur de Marseille Espérance réunissant toutes les pensées religieuses lors de la première guerre du Golfe).
A y regarder de plus près on voyait bien qu’une partie de la population échappait aux élus, à la vie républicaine, aux lois de la cité. Ces immigrés venus du Maghreb ou d’Afrique pour faire tourner nos usines pendant les trente glorieuses ou l’industrialisation triomphait n’avait qu’un droit : travailler et se taire. Ils travaillèrent beaucoup, gagnèrent peu et s’installèrent dans un silence aussi profond que la mer qu’ils pouvaient voir entre deux barres de béton et au-delà de laquelle ils avaient laissé leur histoire, leurs racines, leur mémoire.
[pullquote]Ces mères remarquables mais impuissantes.[/pullquote] On les regarda comme des naufragés sans intérêt, puis, lorsque la drogue installa son économie parallèle, comme une menace, que seule l’armée selon la sénatrice Samia Ghali pourrait réduire ou au moins contenir. L’incivisme des jeunes générations issues de ce creuset protéiforme gonfla avec son cortège de drames et les larmes de ces mères remarquables mais impuissantes.
Le clientélisme, ce cancer qui se développe de famille en communauté, trouva là un terreau fécond et quelques carrières d’édiles doivent plus à cette capacité à répartir la manne qu’à quelque perspective crédible formulée le temps d’une tribune. On vit même un certain Jean-Marie Le Pen – il draguait à la fin des années 80 la communauté gitane de ces quartiers marseillais – se fendre d’un pèlerinage aux Saintes-Marie-de-la-mer pour remplir les urnes de quelques bulletins frontistes.
Les médias ne pénétraient pas dans ces zones de non droit à l’exception récente d’un Philippe Pujol surprenant prix Albert Londres pour sa série dans La Marseillaise sur « les quartiers shit ». Seuls les faits-diversiers assurent encore la couverture de ces zones distillant régulièrement quelques réassurances pathétiques : « la police a mis un coup de pied dans la fourmilière ». Il y a eu pourtant des consciences pour s’élever, comme André Cordesse protestant et ami de Gaston Defferre qui formula l’idée de créer une édition en arabe du défunt Provençal pour sortir ces populations de la désinformation dans laquelle elles stagnaient. Le rêve s’écrasa au pied des rotatives.
[pullquote]En total abandon.[/pullquote] Depuis trente ans donc ces fameux « quartiers nord » et leurs petits frères de l’est ou du sud sont dans un total abandon. Mal irrigués par l’information, les bus ou le métro, l’économie, ils demeurent l’espace où s’installent et fructifient tous les obscurantismes. Les merveilleuses plages du Prado ou le Vélodrome et son « peuple de Marseille » ne suffisent pas à leur donner l’oxygène démocratique qui les remettrait debout.
Il faudra bien que des bonnes volontés abandonnent les certitudes assises pour porter l’espoir sur ces territoires-là. Quelques grandes gueules politiciennes peuvent couvrir un temps encore le silence des amers, mais il y aura un moment où il sera urgent de ne plus attendre.
Hervé Nedelec