Distribution soigneusement ordonnée au Rassemblement National avec dans le rôle principal Marine Le Pen faisant claquer, depuis son fief nordiste où elle a été réélue, son étendard sur lequel étaient gravés trois mots clés pour un nouveau triptyque républicain : « Liberté, sécurité, unité ». La nouvelle « Jeanne » – nom du micro parti qu’elle créa un temps – pouvait annoncer au bon peuple de France qu’elle bouterait bientôt les tenants de la « macronie » hors des palais Bourbon et de l’Elysée. Quelques minutes plus tard en second rôle parfaitement policé, Jordan Bardella lisait avec application un mini-discours de politique générale, à la manière d’un Premier ministre auto-proclamé en ces dernières heures d’un mois de juin tellurique.
Ainsi est allé notre beau pays sur nos écrans en ce dimanche électoral où les carillons de nos églises sonnaient comme autant de tocsins prévenant d’un danger imminent, à commencer par la fin d’une certaine idée de la France.
Les faits sont têtus. Après les Européennes, le Rassemblement National confirme qu’il s’est enkysté durablement dans l’opinion publique. Qu’il a définitivement brisé le plafond de verre que les observateurs pensaient indestructible et derrière lequel les démocrates de gauche et de droite se croyaient à l’abri.
Quelques imprudents une calculette à la main, des péréquations plein la tête et leur foi républicaine pour conforter leur prière, spéculaient sur une probabilité : vainqueur le RN ne sera pas en mesure d’avoir une majorité absolue. Une semaine suffira-t-elle à écarter cette hypothèse ? Rien n’est moins sûr.
Il faudra convaincre de la sincérité des désistements, puisque tout reposera sur le fait que le second tour sera marqué par de très nombreuses triangulaires. Edouard Philippe, ancien Premier ministre et président d’Horizon, comme François Bayrou président du Modem, rappellent leur attachement viscéral aux fondements républicains et donc la nécessité de faire barrage à l’extrême droite. Mais ils ponctuent leur engagement d’un bémol : pas une voix non plus pour la France Insoumise. On tripatouillera donc de ce côté-là pendant les jours à venir pour distinguer dans le Nouveau Front Populaire le bon grain de l’ivraie, et tant pis si dans ces tergiversations d’apothicaire on prend le risque de donner les clés du pouvoir au couple Le Pen-Bardella. D’autant qu’il faut s’attendre dans cette droite laminée et cantonnée à 10% à quelques fausses notes comme celle qu’a laissé entendre le Versaillais François-Xavier Bellamy, qu’Eric Ciotti et ses Nouveaux amis vont se faire un devoir de courtiser au nom des quelques valeurs partagées sur la famille, l’école ou encore l’immigration.
Emmanuel Macron après avoir appuyé imprudemment sur le bouton nucléaire ne peut que faire le constat des dégâts qui ont laminé son camp réduit désormais à la portion congrue, ses ministres à quelques rares exceptions près ayant été emportés dans la tourmente dès ce 30 juin. Puisqu’il n’a pas l’intention de se démettre, il lui reste à mettre si tant est qu’il soit encore maître de ce jeu-là, un peu d’ordre dans le désordre qu’il a voulu, se réfugiant derrière une volonté supposée des Français.
La gauche même si elle ne progresse pas comme elle l’espérait reste le faible espoir d’endiguer la marée montante du RN. Jean-Luc Mélenchon s’est immédiatement octroyé le premier rôle entouré d’une garde prétorienne d’Insoumis. Il a répété comme il le fit naguère avec moins de clarté qu’aucune voix ne devait aller au RN et que, arrivé troisième, le nouveau front populaire se retirerait. Attendons de voir si les consignes seront aussi audibles qu’elles avaient l’air lisibles sur les quatre feuillets qu’il a lus. Raphaël Glucksmann et François Ruffin n’ont pas eu les pudeurs de gazelle que le patron des Insoumis reproche souvent à ses adversaires. Leur Marseillaise a paru plus convaincante même si on a cru entendre « aux larmes citoyens » dans leurs trémolos.
Les heures qui viennent seront décisives. Il n’y aura pas de sursaut le corps électoral semblant figé depuis qu’Emmanuel Macron a entamé sa longue descente. Restera des poches de résistance pour déterminer quelle configuration aura l’hémicycle le 8 juillet prochain. Gabriel Attal a finalement été le seul à prononcer les mots attendus par beaucoup. Battre le RN était pour lui une « question d’honneur ». Un peu à la Churchill qui, après la honte des pourparlers en 1938 avec Hitler avait lancé à Chamberlain et Daladier : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. »
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