Le professeur Yehezkel Ben-Ari l’avoue sans détour. C’est avec une grande déception qu’il vit l’arrêt de l’essai de phase III conduit par Servier et son laboratoire marseillais Neurochlore pour le traitement de l’autisme. Plus de dix années de recherche sont ainsi démenties par un essai lourd et cher qui portait les espoirs, non seulement des chercheurs, mais aussi des familles qui ont apporté un soutien continu aux travaux du professeur Yehezkel Ben-Ari (1) et de son équipe. « Je suis naturellement déçu, déclare à Gomet’ le professeur Ben-Ari, mais les faits sont ce qu’ils sont, la science est ainsi. »
Le communiqué officiel du 7 septembre 2021 des laboratoires Servier et de Neurochlore est sans appel : « Servier et Neurochlore annoncent qu’aucun signe d’efficacité n’a été observé dans leurs deux études cliniques de phase III évaluant la Bumétanide, versus placebo, dans le traitement des troubles du spectre autistique (TSA) chez l’enfant et l’adolescent. En conséquence, Servier et Neurochlore ont pris la décision, d’un commun accord, d’interrompre de manière anticipée les deux études cliniques en cours. » C’était selon les labos « le plus vaste programme européen de phase 3 consacré au traitement des symptômes clés de l’autisme en pédiatrie ».
Rappelons que le professeur Yehezkel Ben-Ari, né en Égypte, étudiant en Israël, chercheur à Paris, puis Marseille, est selon la revue Sciences humaines (juillet 2020) « père du concept de « neuroarchéologie », et qu’il s’est taillé une réputation mondiale grâce à ses découvertes sur la maturation cérébrale des fœtus et des bébés. Selon lui, notre santé mentale se joue en partie in utero, dans cette période risquée où se bâtissent les fondations de notre cerveau. »
Il a fondé Neurochlore, il y a 10 ans avec Éric Lemonnier et Nouchine Hadjikhani, une société de biotechnologies pour conduire des études expérimentales et des essais cliniques « basés sur la restauration des taux de chlore dans les neurones avec un agent dont c’est l’action principale », la Bumétanide.
Notre traitement améliore la communication sociale des enfants et des adolescents et réduit les mouvements stéréotypés et l’agitation. Les parents nous disent que les enfants sont plus « présents ».
Yehezkel Ben-Ari
Deux essais randomisés en double aveugle (Bumétanide versus placebo) ont été conduits avec des résultats significatifs sur plus de 90 enfants traités. « Notre traitement, plaide Yehezkel Ben-Ari améliore la communication sociale des enfants et des adolescents et réduit les mouvements stéréotypés et l’agitation. Il améliore aussi les interactions visuelles et les parents nous disent que les enfants sont plus « présents ». Nous avons eu l’autorisation européenne de faire cette phase III parce que les essais de phase II apportaient des résultats hautement significatifs ».
Un essai de phase 2B porté par Neurochlore et mené dans six centres en France auprès de 90 enfants et adolescents autistes avait apporté des résultats encourageants et avait débouché sur un accord de partenariat, signé en mars 2017, entre Servier et Neurochlore, avec l’objectif de développer la Bumétanide comme premier traitement des TSA chez l’enfant et l’adolescent. En cédant la licence d’exploitation à Servier pour l’Europe, Neurochlore avait trouvé un partenaire pour poursuivre ses investigations. « Les deux études, précise Yehezkel Ben-Ari ont été conduites par Servier et Neurochlore en Europe, aux États-Unis et en Australie dans 40 centres avec 422 enfants : 211 avaient de 2 à 7 ans et 211 de 7 à 18 ans. L’Europe tenait à un essai en pédiatrie ». Commencées il y a quatre ans dans 14 pays, dont 11 en Europe, les deux études cliniques randomisées de phase III étaient conduites, en double aveugle, versus placebo, dans le cadre d’un plan d’investigation pédiatrique accordé par l’Agence européenne du médicament (EMA). Ainsi, les 422 enfants et adolescents présentant un trouble du spectre autistique (TSA) modéré à sévère, ont été suivis pendant six mois, en double aveugle, contre placebo avant de poursuivre sous Bumétanide six mois supplémentaires. « Il s’agit selon les labos, du plus vaste programme européen de phase III consacré au traitement des symptômes clés de l’autisme en pédiatrie. »
Autisme : 422 enfants ont participé à l’étude dans 40 centres
Mais, les résultats de ces études n’ont pas démontré la supériorité de la Bumétanide de Neurochlore par rapport au placebo. « Aucun des critères d’efficacité, principal (CARS – Childhood Autism Rating Scale) comme secondaires (SRS – Social Responsiveness Scale -, CGI Scale – Clinical Global Impression Scale -, Vineland), précise le communiqué, n’a été atteint après six mois de traitement, que ce soit chez les enfants âgés de 2 à 6 ans, ou chez les enfants et adolescents âgés de 7 à 17 ans. Les études n’ont révélé aucun problème de sécurité inattendu associé à l’usage de la Bumétanide. »
Le professeur de Luminy ne désarme pas. « Il y a en tout neuf essais conduits dans le monde, aux USA, en Chine, en France, en Hollande, en Tunisie et ces essais montrent que ça marche ; on reste, malgré tout, optimistes. Je pense que le placebo était élevé, les enfants ont été choisis sans critères précis de sélection et l’hétérogénéité du symptôme étant ce qu’elle est, il faut reconnaître que la Bumétanide marche sur des sous populations d’enfants autistes qui ont des propriétés particulières, un encéphalogramme spécifique. Par exemple, pour la sclérose tubéreuse de Bourneville, qui mêle autisme et épilepsie, le symptôme autistique est nettement atténué avec le traitement, mais pas les crises d’épilepsie. Ce n’est pas la Bumétanide qui est le problème c’est la généralisation de la phase III. On n’aura probablement jamais une molécule de type A valable pour tous les enfants autistes. Les choses sont plus compliquées. Mais je suis sûr qu’un jour, ce ne sera pas moi, ce sera quelqu’un d’autre, on va utiliser ces travaux pour traiter l’autisme ».
Neurochlore ou la difficulté d’un traitement universel de l’autisme.
Pour l’heure, Neurochlore qui compte 17 salariés, doit faire un plan social en cours de discussion.
Si le chercheur vit mal ces départs dans son équipe, s’il doit renoncer à poursuivre sur la voie de la Bumétanide, il persévère dans la recherche sur l’autisme et annonce des avancées dans l’utilisation de l’intelligence artificielle pour détecter, en maternité, donc pendant la grossesse, les symptômes de troubles autistiques. B & A Biomédical une start-up dédiée à l’IA, a récemment développé un programme type « Machine Learning » qui, se basant sur l’analyse des données de la maternité, permet d’identifier à la naissance des bébés à risque, diagnostiqués plus tard avec des TSA. « Cela est important, souligne Yehezkel Ben-Ari sur son blog, car le diagnostic clinique est obtenu en général à 3-5 ans or les effets des méthodes psychoéducatives sont plus importants, si elles sont appliquées plus tôt. Un pronostic dès la naissance serait par conséquent une avancée majeure. Nos résultats montrent qu’il est possible d’identifier 96 % les bébés qui ne seront pas diagnostiqués plus tard avec des TSA, et 41 % de ceux qui le seront mais avec une précision de 77 %. Notre objectif est maintenant d’élargir cette étude dans plusieurs maternités afin d’optimiser l’analyse, d’accroître le pourcentage de bébés identifiés et mieux déterminer les paramètres qui favorisent le pronostic.
L’intelligence artificielle pour un pronostic à la naissance
Attention, il s’agit d’un pronostic, pas d’un diagnostic et sa fiabilité nécessite d’être consolidée par des estimations sur des centaines de bébés. Si ces données étaient confirmées dans des études plus larges, ils ouvriraient la voie à des prises en charge préférentielles des bébés à risque et une identification précoce qui est un des buts majeurs des programmes de protection et de traitement des TSA. » Yehezkel Ben-Ari promet des avancées significatives dans les semaines qui viennent.
(1) Yehezkel Ben-Ari , CEO Neurochlore, est l’auteur de « Les 1000 premiers jours », Editeur Humen Sciences, 2020 ; 213 pp . Docteur Honoris causae de l’Université de Liège, directeur émérite de l’INSERM (2009) et fondateur de l’INMED, il est connu pour ses travaux sur les régulations ioniques dans le développement cérébral et différentes pathologies notamment les TSA. Il a publié plus de 500 articles scientifiques, ses travaux ont été honorés par des grands prix notamment le Grand prix de la recherche INSERM (2009), du FNRS de Belgique (2012) et les grands prix des fondations américaines (2000) et européennes (2010) de l’épilepsie. Après 40 ans de recherche académique sur la maturation cérébrale et les syndromes associés au développement cérébral, Yehezkel Ben-Ari a créé deux entreprises et un Fonds de dotation à but non lucratif centrés sur la compréhension et le traitement des troubles du spectre autistique (TSA).
Servier Neurochlore: le communiqué
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