C’est une « révolution silencieuse » qui ne s’est pourtant pas faite sans heurts de la part des élus. Si la loi Chevènement de 1999 simplifiant l’intercommunalité a suscité un large consensus au Parlement, c’est que le terrain avait été déminé plusieurs années avant, notamment grâce à un certain Jean-Claude Gaudin qui, en 1996, proposait déjà la création d’une centaine d’agglomérations. La même année, le Conseil des ministres adoptait un projet de loi de Dominique Perben, ministre de la Fonction publique, visant à simplifier la création d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Ce n’est un secret pour personne, ces orientations inspirèrent le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, dans la rédaction de sa loi, trois ans plus tard.
Si celle-ci fut seulement rejetée par les communistes et quelques élus de droite, c’est qu’un long travail de débat et de conviction avait été mené en commission et sur le terrain, via les associations d’élus locaux. Et ce débat fut dense, émaillé de discussions sur les aspects financiers et les délégations de compétences prévues par la loi.
« Tout au long du débat, le ministre de l’Intérieur a cherché à ménager les intérêts et les susceptibilités des élus, sachant que, l’intercommunalité reposant sur une démarche volontaire des élus locaux, il était essentiel d’obtenir l’adhésion des parlementaires », écrit François Rangeon, professeur de science politique à l’université de Picardie, dans l’Annuaire des collectivités locales (2000).
> Pour aller plus loin : une brève histoire de l’intercommunalité en France
Le développement de l’intercommunalité en France a profondément modifié le visage de notre pays et son organisation politique, bien que le débat autour de son développement n’ait jamais véritablement atteint le grand public. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce sondage réalisé pour l’Assemblée des communautés de France (AdCF), selon lequel 54 % des Français ne connaissent toujours pas le nom de celui ou celle qui est la tête de sa structure intercommunale. Il semble donc que le degré d’information sur l’intercommunalité soit inversement proportionnel à son importance dans la vie quotidienne des élus.
Un bénéfice pour les élus : servir leurs intérêts locaux
[pullquote]En 1993, seules 14 % des communes appartenaient à un EPCI (à peine 28 % de la population). En 2014, 96 % des communes, soit 90,2% de la population, appartiennent à un EPCI[/pullquote]Car s’il suscite encore quelques critiques, peu d’élus réclameraient aujourd’hui la suppression de l’échelon intercommunal. Et pour cause : le bénéfice qu’en ont tiré les communes est indéniable. Une rationalisation de l’action publique, une meilleure prise en compte des habitudes des citoyens et des besoins du territoire, une réduction des coûts par la gestion commune de certains services publics, des financements et des moyens techniques et humains supplémentaires… Si bien que, sauf pour des cas isolés, en raison de contraintes géographiques notamment, chaque commune désire s’intégrer dans une structure intercommunale.
Pour preuve, le nombre d’intercommunalités n’a cessé d’augmenter. En 1993, seules 14 % des communes appartenaient à un EPCI , couvrant à peine 28 % de la population. Au 1er janvier 2014, les 12 159 EPCI regroupent désormais 96 % des communes, soit 90,2% de la population (2 145 à fiscalité propre et 10 014 syndicats de communes). Alors que les maires étaient plutôt réticents face à l’intercommunalité, aujourd’hui, chacune d’entre elles affiche son ambition et se félicite des moyens qui lui sont conférés.
[Diaporama] Voici ce qu’affichent les intercommunalités sur leur site internet :
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Mieux, en étudiant de manière plus fine les statistiques de la Direction générale des collectivités locales (DGCC), on se rend compte que la taille moyenne des intercommunalités à fiscalité propre a largement augmenté depuis le début des années 2000, qui furent un véritable déclencheur de l’intercommunalité sur le terrain. Le nombre de communes regroupées s’élevait en 2011 à 13,5, soit 22 623 habitants, contre 11 en 1999 pour 20 270 habitants.
[pullquote] En dix ans, l’adhésion est en hausse parmi les élus, moins réticents qu’avant d’entrer dans un EPCI dont la taille moyenne augmente, ce qui tord également le cou à la fameuse critique de la « proximité » préférable à l’échelon communal. [/pullquote] Ce qui signifie qu’en dix ans, l’adhésion est en hausse parmi les élus, moins réticents qu’avant à l’idée d’entrer dans un EPCI dont la taille moyenne augmente, ce qui tord également le cou à la fameuse critique de la « proximité » préférable à l’échelon communal. Il est possible de conserver une proximité avec ses administrés tout en mutualisant quelques moyens. Certains élus craignaient le contraire. Communes et intercommunalités forment un couple qui fonctionne, tourné vers les mêmes objectifs, les secondes venant épauler les premières.
Regardez. Pour aller plus loin : qu’est-ce qu’une intercommunalité ?
« L’intercommunalité dans sa réalité pratique est une heureuse surprise », reconnaissait Philippe Bonnecarrère, président de la communauté d’agglomération du Grand Albigeois (17 communes, 82 928 hab.) dans Le Courrier des maires. « Elle se révèle être une vraie réponse à la dimension des territoires et aux vécus de nos concitoyens. Et une aventure humaine réussie : elle a conduit les élus à mieux se connaître, à créer un esprit d’équipe entre les municipalités et à une gouvernance équilibrée et apaisée. Elle est un niveau institutionnel pertinent du territoire pour l’action, l’investissement et la mise en œuvre des projets. » Finalement, l’intercommunalité s’est avérée être un succès car les maires y ont vu un moyen plus efficace de réaliser leur politique communale. Les élus locaux ont refusé l’autonomie totale des intercommunalités pour servir leurs intérêts locaux. Un équilibre plutôt malin qui ne s’est pas fait en un jour, tant les réticences étaient lourdes au départ, notamment sur le caractère « obligatoire » de l’intercommunalité pour les élus.
Une perte de souveraineté pour les élus
En effet, l’idée d’être privé de certains pouvoirs déplaisait aux élus, qui n’acceptaient pas cette perte de « souveraineté ». En transférant d’importantes compétences au profit des intercommunalités, n’allait-on pas vider les communes de leur substance ? Pire, les voir disparaître ? Comme pour la métropole d’Aix-Marseille-Provence actuellement en construction, la bataille des intercommunalités s’est faite selon un modèle connu dans notre pays : celle d’un État centralisateur et jacobin face à des élus locaux réticents… qui ont pesé malgré tout sur la réforme mis en place. Jusqu’à déjouer certains plans qui ne leur convenaient pas.
Dans les discussions en commission du Sénat et les rapports de l’époque, les parlementaires faisaient largement ressortir l’idée selon laquelle les conseillers municipaux devaient être « associés à la procédure de transformation d’un établissement public de coopération intercommunale » ou encore de « prévoir une délibération expresse des conseils municipaux sur des procédures qui concernent directement les intérêts des communes ».
[pullquote] Aujourd’hui encore, une commune ne rentre pas dans une communauté d’agglomération si elle ne le souhaite pas. Dans la réalité, les logiques de territoire sont souvent plus puissantes que les réticences ou les manœuvres politiques.[/pullquote]
La légitimité démocratique en question
Parmi les premières critiques adressées à l’intercommunalité, la question de sa légitimité démocratique. De même que Maryse Joissains, maire d’Aix-en-Provence, dénonce aujourd’hui la métropole comme une instance « bureaucratique » et « technocratique », c’est-à-dire opaque et éloignée des citoyens, l’intercommunalité fut, dès le départ, critiquée pour le mode de désignation de ses conseillers directement par le conseil municipal. Celui-ci a pour conséquence une séparation entre l’espace de représentation du politique (la mairie), où se discutent les orientations importantes, et le lieu de la décision (l’intercommunalité), dont l’existence peine à atteindre le grand public.
Dès 2000, un rapport de Pierre Mauroy proposait l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct. « Comme l’avait bien vu Tocqueville, l’attachement des citoyens à leur commune est tel que la liberté communale est ressentie par tous comme une garantie démocratique », écrivaient quant à eux les sénateurs dans une proposition de loi de la même année, pour justifier ce type d’élection. C’est chose faite depuis la réforme des collectivités territoriales du 10 décembre 2010. Aux dernières municipales, chaque citoyen a donc pu voter pour son maire et pour ses conseillers communautaires, selon la méthode du « fléchage » (dans les villes de plus de 1 000 habitants). Pour exemple, la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole (MPM) a vu l’élection de 138 conseillers au suffrage universel direct. De la même manière, les élus du futur conseil métropolitain seront élus au suffrage universel direct en 2020.
Le coût des intercommunalités pointé du doigt
Voir les impôts augmenter. C’était la grande crainte des élus locaux, dépossédés de leur fiscalité propre par des EPCI qui prendraient désormais en charge le prélèvement de l’impôt. « Le développement de l’intercommunalité à fiscalité additionnelle s’est accompagné d’un alourdissement du poids des impôts locaux », affirmait Hervé Mariton dans un rapport de juillet 2005. Et parmi les raisons évoquées, le doublon des effectifs entre ceux des communes et des intercommunalités. Mais si les services s’additionnent, c’est que, bien souvent, les élus ont une confiance modérée dans leur EPCI et veulent conserver l’autorité sur certains services. Profitant de quelques marchandages, ils gardent en leur sein une administration censée être transférée à l’intercommunalité, comme le démontre une étude l’Ifrap, un think tank libéral.
Surtout, l’augmentation des impôts reste une décision politique. La droite promet d’ailleurs souvent de les baisser, tandis que la gauche en fait une condition des services publics… Récemment, Guy Teissier a profité de son élection à la tête de Marseille Provence Métropole (MPM) pour collecter 35 millions d’euros supplémentaires aux 18 communes de MPM. La métropole, elle, ne prévoit pas d’augmentation les impôts.
> Voir notre infographie : Vos impôts vont-ils augmenter avec la métropole ?
Georges Cristiani, à la tête de la fronde anti-métropole, ne supporte pas que les impôts locaux soient décidés par la métropole. Mais c’est déjà une compétence de l’intercommunalité. La fiscalité métropolitaine devra donc reprendre les codes qui régissent ceux de MPM. Seulement, il existera une harmonisation fiscale sur tout le territoire, faite dans les douze ans, lissée dans le temps et donc peu visible, promet-on du côté de la mission métropole.
Une domestication des institutions par les maires
« En une vingtaine d’années, le rapport qu’entretiennent les élus à l’intercommunalité a changé de nature. Aujourd’hui, ils ne sont plus réticents à travailler au sein d’établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre », écrit Rémy Le Saout, maître de conférences en sociologie de l’université de Nantes. Un propos nuancé par Sébastien Guigner et Alistair Cole, dans le Dictionnaire des politiques territoriales, sous la direction de Romain Pasquier (Presses de Sciences Po, 2011) :
« Aussi, la diffusion massive de l’intercommunalité depuis la loi de juillet 1999 ne doit, elle, pas faire illusion. Plus que le signe d’une réussite réformatrice, d’une soumission ou d’une conversion des élus locaux aux objectifs de l’intercommunalité, elle traduit la domestication de ces institutions par les maires ».
En clair, les élus se sont conformés à un statut qui faisait autorité, dans la loi mais aussi dans la logique des territoires. Et l’ont transformé, modelé, modifié en fonction de leurs contraintes politiques.[pullquote]Les intercommunalités sont devenues un enjeu majeur pour certains maires qui y étaient, jadis, opposés.[/pullquote] Si bien qu’aujourd’hui, explique Alain Fontanel, secrétaire national aux fédérations au sein du PS, interrogé par Le Monde.fr, « les prises de contrôle des intercommunalités sont devenues des enjeux majeurs de politiques urbaines. Elles lèvent l’impôt, disposent de budgets deux à trois fois supérieurs à ceux des villes et ce sont elles qui, du fait des compétences qui leur ont été transmises, façonnent les territoires ». Un maire ne peut donc plus faire campagne sans intégrer la dimension intercommunale, puisque c’est désormais à cet échelon que se prennent les décisions les plus importantes.
Perte des repères de proximité, hausse éventuelle des impôts et des effectifs, délégation trop forte de compétences… Les craintes furent nombreuses autour de l’intercommunalité. À quinze ans d’intervalle, ce sont à peu près les mêmes arguments qui reviennent pour l’examen de la métropole. Logique, quand on sait qu’Aix-Marseille-Provence, par exemple, naîtra de la fusion de six EPCI. La métropole saura-t-elle convaincre les élus comme l’a fait l’intercommunalité ? Réponse dans quelques mois.