Nous avons vu dans la chronique précédente que l’océan a permis d’absorber plus de 90% de l’excès de chaleur dû à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère par les rejets des activités humaines.
[pullquote] L’océan stocke 50 fois plus de carbone que l’atmosphère.[/pullquote] Mais ce n’est pas tout, car l’océan stocke 50 fois plus de carbone que l’atmosphère. Ainsi, selon le dernier bilan carbone de la planète publié le 7 décembre dernier*, l’océan a absorbé un peu plus du quart (26%) de nos émissions de dioxyde de carbone sur la dernière décennie. Du fait de cette « pompe à carbone » naturelle, l’océan est un « puits » de carbone. Il existe un deuxième puits naturel de dimension similaire : les continents qui ont pompé en moyenne 30% de nos rejets de CO2 dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse des végétaux qui utilise le CO2 atmosphérique pour le convertir en matière organique, constituant de tout organisme.
La résultante de ces deux puits est donc que seuls 44 % de nos émissions de CO2 dans l’atmosphère au cours de la dernière décennie y sont effectivement restés. Ainsi la planète à l’échelle globale réabsorbe naturellement 66% de nos émissions ce qui permet de limiter drastiquement le réchauffement climatique qui aurait dû avoir lieu si l’ensemble nos rejets de CO2 s’y étaient accumulés. Il est indispensable de pouvoir suivre et quantifier ces puits naturels de carbone et de pouvoir prédire combien de CO2 les continents et les océans vont pouvoir absorber au cours des prochaines décennies ou au prochain siècle. Pour ce faire, il faut d’abord bien comprendre et quantifier les nombreux processus qui entrent en jeu dans ce stockage naturel.
[pullquote] Un peu comme votre bouteille de boisson gazeuse : elle va mieux conserver son gaz au frigo.[/pullquote] Dans l’océan, il y a deux pompes à carbone. La première, la pompe de solubilité est un processus physico-chimique d’équilibrage entre le CO2 atmosphérique et océanique. Comme tout gaz en contact avec un liquide, une partie du CO2 de l’air se solubilise en surface de l’océan. S’il y a plus de CO2 dans l’atmosphère, il y aura plus de CO2 dans l’océan et cette solubilisation est d’autant plus importante que les eaux sont froides. Un peu comme votre bouteille de boisson gazeuse : elle va mieux conserver son gaz au frigo que si vous la chauffiez. Ainsi la pompe de solubilité est surtout efficace dans les océans froids comme l’Atlantique Nord et l’Océan austral autour de l’Antarctique que dans les océans tropicaux.
Or ces zones froides sont également des sites de formation d’eaux denses qui vont s’écouler en profondeur (cf. la chronique précédente). Elles vont donc entrainer avec elles beaucoup de CO2 et le puits océanique de carbone en est plus efficace. La circulation profonde ayant un temps de renouvellement supérieur à 1000 ans, le CO2 ainsi pompé ne sera plus en contact avec l’atmosphère pour plusieurs siècles, voire millénaires.
La deuxième pompe est la pompe biologique. Comme pour les continents, une activité photosynthétique a lieu en surface de l’océan, là où la lumière est suffisante (jusqu’à 50 à 100m de profondeur selon les zones et saisons). A l’échelle de l’océan mondial, cette photosynthèse est essentiellement faite par le phytoplancton : des algues microscopiques et planctoniques qui forment la base des écosystèmes marins. A la mort des micro-organismes marins, une partie de ceux-ci vont sédimenter en formant une « neige » marine composée de carbone organique. Comme pour la pompe de solubilité, plus ce carbone sera exporté en profondeur, plus il constituera un puits de carbone à long terme.
[pullquote] L’efficacité du puits de carbone de l’Océan austral est repartie à la hausse.[/pullquote] Ces dernières années, des études semblaient montrer que l’efficacité du puits de carbone océanique, dont 40% sont dus au seul Océan austral, avait diminué. Or, une étude** publiée il y a quelques semaines montre qu’au cours de la dernière décennie, l’efficacité du puits de carbone de l’Océan austral est repartie à la hausse du fait d’une combinaison complexe de facteurs liant température et changement du régimes des vents autour de l’Antarctique. Si ce résultat peut rassurer, il confirme aussi qu’il existe une grande variabilité à l’échelle décennale des échanges d’énergie et de matière entre l’océan et l’atmosphère, qu’il convient de mieux prendre en compte.
Or, la Cop21 s’est soldée par un accord aux objectifs certes ambitieux mais à l’implémentation vague. Par exemple, dans l’Article 5 «les Parties devraient prendre des mesures pour conserver et (…) renforcer les puits » de gaz à effet de serre. On peut regretter que cet article ne soit qu’incitatif, pour des actions essentiellement forestières, visant à diminuer chaque contribution nationale, et que sur les 39 pages de l’accord, l’océan, dont l’essentiel des puits de carbone ne connait pas de frontières, n’y soit cité qu’une seule fois.
Damien Cardinal
Professeur en biogéochimie et chimie marine Université Pierre & Marie Curie
Liens utiles :
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