L’actrice et cinéaste, Mati Diop, lauréate du Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2019 pour Atlantique a fait escale à Marseille au cinéma les Variétés. En toile de fond de son film, le voyage sans retour de jeunes africains partis au large. Sur les écrans de la métropole à partir de mercredi 2 octobre.
La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop (au centre sur la photo) était ici en terrain conquis. C’est en effet dans la cité phocéenne que six ans auparavant, le jury du FIDMarseille lui a décerné le prestigieux Grand prix de la Compétition Internationale pour son documentaire Mille Soleils. Mais aussi la ville dans laquelle elle a tourné en 2012 Big Vietnam, un moyen-métrage produit par Néon Productions, société de films basée à Marseille.
Pour son premier long-métrage, la cinéaste a choisi de tourner à Dakar, métropole, chère au coeur de la cinéaste. Le film qui s’ouvre quasiment comme un documentaire sur un chantier des environs de Dakar, retrace l’histoire fictionnelle de la mystérieuse disparition d’un jeune ouvrier Souleiman (Ibrahima Traoré, à droite sur la photo). Sans salaire depuis des mois, il décide de partir par l’océan pour un avenir meilleur, laissant derrière lui sa fiancée Ada (Mana Sané, à gauche sur la photo). Promise à un jeune homme riche mais persuadée que son amoureux va revenir, Ada tente de survivre à la perte de l’être cher, telle une Pénélope des temps modernes. Un événement va bousculer le cours de son histoire, lorsqu’un incendie dévaste son mariage et que de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier… L’amour serait-il plus fort que la mort ?
Des acteurs non-professionnels d’une incroyable justesse
Un scénario original, une esthétique rare dans les images, des acteurs non-professionnels d’une incroyable justesse (face à l’énigmatique Mana Sané, le jeune Amadou Mbow offre une présence ambivalente dans le rôle du commissaire Issa) ce premier long-métrage bouscule, séduit et dégage une atmosphère surréaliste peu commune. Atlantique est l’aboutissement d’un long cheminement qui a débuté en 2008 lorsque Mati Diop a décidé de retourner à Dakar : « J’ai ressenti le besoin de renouer avec mes origines africaines que j’avais délaissées pendant dix ans, en évoluant dans un milieu parisien culturel très blanc et où l’Afrique était très loin de moi.» confie la cinéaste. « Quand je suis arrivée à Dakar en 2008, toute une jeunesse partait du pays pour fuir le chômage et regagner l’Europe. J’y allais dans des conditions de privilégiée, libre de circulation tandis qu’eux partaient dans une situation qui les mettait dans la clandestinité. J’étais sur place dans un quartier populaire où je passais beaucoup de temps avec les jeunes. De cette collision est née Atlantique.»
Un contexte difficile, douloureux, auquel elle parvient malgré tout à donner une forme singulière en
mêlant le réalisme au fantastique : « C’était clair pour moi que je voulais consacrer un long-métrage à une jeunesse disparue en mer. Du coup cela impliquait le registre du fantastique. Parce qu’il s’agit d’une jeunesse fantôme qui n’a pas laissé de trace puisque les corps ne reviennent jamais, donc ce sont des personnes qu’on peut attendre potentiellement tout une vie.»
Pas de démarcation entre vie et mort, visible et invisible
Le film n’est pas pour autant un film mortifère, il peut se suivre au premier degré, comme une intrigue romanesque imprégnée de mythes et de légendes venues du monde entier. « C’est un brassage de culture, l’Afrique en fait partie” souligne Mati Diop. Elle poursuit : « Depuis quelques années je suis intriguée par les histoires de Djinns (créatures surnaturelles) et par un phénomène considéré comme réel au Sénégal qui consiste à penser qu’à l’heure du coucher de soleil les esprits circulent. De ce fait pas mal de gens ne sortent pas à ce moment là.»
En conclusion, Mati Diop revient sur son bonheur d’avoir tourné en Afrique. « J’ai trouvé passionnant de tourner un film fantastique en Afrique dans la mesure où le fantastique fait partie du réel et qu’il n’y a pas de démarcation comme en Occident entre le réel et le fantastique, le visible ou l’invisible ou justement la vie et la mort comme dans notre culture. En tant que métisse c’est intéressant de partir du principe qu’il n’y a pas de hiérarchie dans ces visions du monde. J’essaie d’éviter de regarder l’Afrique à travers le prisme de ma culture occidentale, j’essaie de la regarder depuis l’intérieur. »