Ce mardi, le cinéma Les Variétes affichait complet pour l’avant-première Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob, un beau documentaire sur la transmission de l’oeuvre de Pina Bausch, en présence de Clémentine Deluy, chorégraphe d’origine marseillaise et danseuse de Pina Bausch au Tanztheatre de Wuppertal.
Près de quatorze ans après la disparition de Pina Bausch, figure emblématique de la danse contemporaine qui a bousculé les codes, son oeuvre fascine, évolue, continue à se transmettre entre les générations et perdure grâce au soutien de la Pina Bausch Foundation, fondée et dirigée par Salomon Bausch, le fils de la chorégraphe. C’est ce passage de témoin que montre Dancing Pina du réalisateur allemand Florian Heinzen-Ziob qui suit et observe les répétitions de la reprise de Iphigénie en Tauride au Semperoper de Dresde et du Sacre du printemps à l’Ecole des Sables, fondée à Dakar par la danseuse franco-sénégalaise Germaine Acogny et son époux Helmut Vogt. Au fil du récit le cinéaste réussit le challenge de nous captiver pendant près de deux heures sur le processus de création de deux pièces du répertoire de Pina Bausch revisitées par de jeunes danseurs et danseuses venus du monde entier et guidés par d’anciens membres du Tanztheater Wuppertal à l’instar de Joséphine Ann Endicott, Malou Airondo (marseillaise également), Clémentine Deluy et Jorge Puerta Armenta. Destiné à un large public, Dancing Pina est à l’affiche cette semaine.
Gomet’ a rencontré Clémentine Deluy lors de son passage à Marseille. Elle nous parle de son parcours, de la beauté du film, de l’empreinte indélébile qu’a laissée Pina Bausch sur son travail et de la nécessité de transmettre son oeuvre qu’elle perdure.
Vous êtes native de Marseille où vous avez été formée à la danse classique, puis vous vous êtes tournée vers la danse contemporaine où vous avez intégré de prestigieuses compagnies à l’instar du Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Clémentine Deluy : J’ai commencé à l’âge de 6 ans à l’Ecole Titus et Elena Ponsard au cours Julien, c’est là que j’ai fait mes premiers pas de danse puis je suis rentrée à l’âge de 8 ans à l’Opéra de Marseille dirigé par Roland Petit et ensuite à l’Ecole de Danse de Marseille. Plus tard je suis partie en Allemagne à la Folkwang-Hochschule à Essen où j’ai suivi l’enseignement de la danse-théâtre qui m’a été transmis par Malou Airodau qui est aussi dans le film et qui est mon Maître. Dominique Mercy a été mon professeur également. La première compagnie que j’ai intégrée était Sascha Waltz and Guests, une très grande chorégraphe allemande à Berlin où j’ai passé quatre années. Et c’est en 2006 que j’ai rejoint le Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch.
Dans le film, vous intervenez en tant que directrice artistique des deux pièces aux côtés de vos anciens collègues du Tanztheater, mais en quoi cela vous tenez à coeur d’accompagner la sortie de Dancing Pina dans votre ville natale ?
C. D : Déjà, hélas, il n’y a pas de salle à Marseille pour accueillir des spectacles de Pina car ce sont de gros spectacles avec des décors massifs. Du coup, l’endroit le plus proche où la compagnie du Tanztheater a pu se produire jusqu’à présent, c’est le Festival d’Avignon. Sinon, il y a quelques années les séniors ont joué une seule fois Kontakthof au Théâtre de la Criée. Pour ma part, je n’ai jamais eu l’occasion de jouer sur Marseille, en tout cas avec Pina.
Concernant Dancing Pina, il y a quelque chose de très particulier dans le travail de Florian qui m’a beaucoup plu, c’est qu’on ouvre le regard très spécifique de la transmission d’une génération à une autre. Dans le film, on rentre dans une atmosphère de travail et il faut savoir que le travail chez Pina était préservé, très secret. Elle ouvrait aucune de ses répétitions au public surtout en période de création. On était dans une très grande intimité ce qui nous permettait de pouvoir se donner sans recul, sans limites, de passer tous les risques. Pour moi, la beauté de ce documentaire, c’est de vraiment voir le travail de Pina qui hélas n’est plus avec nous et de le transmettre à une autre génération. Si je prends le cas d’Iphigénie par exemple, c’est Malou Airodo qui m’a donné le rôle. J’ ai eu la chance de le danser pendant quatre ans et de voir le passage entre moi, Sangeun Lee et Courtney Richardson, dans le film on voit les différentes générations. Même chose pour le Sacre du Printemps quand vous voyez Josephine Ann Endicott qui faisait partie du casting original, j’ai travaillé des mois à côté d’elle pour prendre des informations qui ne m’étaient pas connues. Car, bien qu’à l’époque j’avais un rôle spécifique dans Le Sacre, je ne connaissais pas tous les rôles et là ma tâche était d’enseigner la totalité de la pièce avec Jorge Puerta Armenta.
Justement, aviez-vous dansé Le Sacre du Printemps et Iphigénie en Tauride du vivant de Pina Bausch ?
C. D : Le Sacre, oui, je l’ai dansé sous son regard et c’était difficile. C’est d’ailleurs ce que je dis aux danseurs, le travail de Pina était difficile. Vous pouviez passer des heures sur un mouvement et répéter, répéter. Iphigénie en Tauride, je l’ai appris. J’ai dansé une répétition avec quatre actes devant elle, toute seule sans le corps de ballet, mais hélas je ne l’ai pas dansé sur scène avec elle. Parce qu’à l’époque elle m’a dit : “il faut encore grandir le rôle” et je pense que c’était vrai. À l’époque je n’étais pas prête.
Pouvez-vous nous dire en quoi Iphigénie en Tauride et Le Sacre du Printemps font partie des oeuvres phares du répertoire de Pina Bausch ?
C. D : Je pense parce qu’Iphigénie est le premier opéra qu’elle a créé en 1974 et Le Sacre du Printemps en 1975. D’ailleurs, vous remarquerez qu’il y a très peu de chorégraphes qui sont collés au Sacre, parce que la musique est très complexe. Pour moi, Pina est un vrai génie parce qu’elle est arrivée à tisser les mouvements sur la musique. Tout est perfection en fait. J’ai toujours cette image là, c’est de la haute couture, c’est du fil d’or et en même temps sur la musique de Stravinsky et du Sacre du Printemps c’est presque impossible de réaliser ce qu’elle nous demande. Elle est toujours en train de nous mettre devant la falaise. C’est ce qui rend la pièce très riche.
Pour en revenir au film, ce qui est touchant aussi c’est de voir comment les danseurs et danseuses doutent en permanence ou comment leur approche est différente selon qu’ils viennent de la danse classique, de la danse traditionnelle africaine ou de la capoeira. Je pense aussi à la réflexion de ce danseur américain qui dit : “la danse classique c’est la perfection, là on est dans l’imperfection et ce qui me plaît” ou encore la danseuse Sangleun qui parle de nouveau vocabulaire à apprendre. On a l’impression que le travail que vous avez effectué les ont affranchis de certains codes de la danse classique, qu’en pensez-vous ?
C. D : Il me faire rire Julian quand il dit que c’est de l’imperfection. Mais l’imperfection c’est la technique ! C’est complexe et parfois le plus difficile pour eux ce sont les moments de rien. Comment vous allez poser un regard sur un danseur, comment vous allez habiter une préparation avant de commencer votre mouvement, comment vous marchez, comment vous courez, comment vous touchez. Il y a une vraie technique et en même temps on ne peut jamais fermer la porte à qui on est. Evidemment que Pina aimait la technique. Et c’est là où je veux en venir. Pina choississait et cherchait des danseurs, des techniciens, mais pas que. Dans ses danseurs, elle a eu des gens qui n’étaient pas danseurs parce qu’elle était intéressée par l’humanité de la personne, c’est ça la grande différence avec Pina. Et je pense que ce qui revient toujours au coeur de n’importe quel public qui regarde le travail de Pina c’est qu’en fait ce sont des situations qui nous parlent. Dans Le Sacre du Printemps par exemple, il y a une animalité que chaque être humain a au plus profond de soi, c’est ça qui est le moteur de la recherche du mouvement, de cette envie, de tout ce panel d’émotions. On a de tout chez Pina, on n’arrête jamais d’être chavirés par ses émotions.
Avez-vous vu Pina de Wim Wenders et Les Rêves dansants de Anne Linsel et Rainer Hoffmann?
C. D : Le film Pina ! J’y ai participé, je suis la jeune fille avec la robe rouge qui porte l’arbre. Quant aux Rêves dansants, c’est un film merveilleux. En fait, Pina avait créé cette pièce en 1974 – Kontakthof – qui a tourné et qui continue de tourner. Dans les années 90 elle l’a faite pour des séniors, c’était incroyable. Elle avait le souhait de faire cette pièce pour les adolescents et c’est ce que vous voyez dans Les Rêves dansants.
Avez-vous des projets à venir ?
C. D : Quand on est danseuse et chorégraphe on a toujours des projets. Je donne des stages, je m’occupe beaucoup de jeunes artistes, j’aime les rencontres en fait. Avec le travail de Pina, on mêle le théâtre et la danse, ça s’appelle la danse-théâtre, j’aimerais bien m’orienter vers quelque chose de plus théâtral. Je suis curieuse, je suis dans une période où j’ai du temps pour prendre de la matière. Un beau projet, ce serait de venir danser mes créations à Marseille ! Là, je reprends la route avec Le Sacre du Printemps.
Qu’aimeriez vous que les spectateurs retiennent du film ?
C. D : Quand je vois Dancing Pina, c’est l’être humain. Dans la période que nous vivons actuellement et qu’on voit les nouvelles, c’est le message d’espoir et de partage qu’il y a dans le travail de Pina. Toutes les colères qu’on voit s’exprimer, c’est nécessaire de les faire dans un théâtre. J’aimerais que la compagnie vienne montrer le travail de Pina à Marseille, ce serait merveilleux…
Lien utile :
> Bande d’annonce du film