Le débat du mercredi 20 avril était présenté par tout un chacun comme « le match retour » d’il y a cinq ans. Et pourtant, tout a changé. Et les deux candidats se présentaient avec chacun leur handicap. Marine Le Pen, on s’en souvient, avait perdu pied très vite, face à son adversaire. Elle avait cru pouvoir le déstabiliser et lui faire perdre le nord. Il en aurait fallu plus. Elle ne pouvait que faire mieux. Emmanuel Macron, lui, aborde ce débat en « sortant ». Il n’est plus le jeune inconnu, porteur de toutes les promesses, incarnant la rupture, la jeunesse et le rêve. Il a un bilan, donc des insatisfactions et a géré de grandes crises. Il ne s’agissait donc pas d’un match retour. Et le déroulement l’a prouvé. Chacun a joué sa partition, sans sortir de sa zone de confort.
Le pouvoir d’achat
Première passe d’armes sur le pouvoir d’achat. Marine Le Pen, pas très à l’aise, promet des compléments de revenus de 200 à 300 €, la suppression de la TVA sur 100 produits de première nécessité, la défiscalisation des augmentations de 10%. Emmanuel Macron a choisi, et ce sera sa ligne directrice pendant tout le débat, d’être à l’offensive, il ne laisse rien passer et démonte quelques-unes des mesures préconisées par son adversaire comme la sortie du marché de l’électricité ou l’émancipation des règlements européens de réciprocité.
L’Ukraine et la Russie
C’est sur l’Ukraine que le débat va s’échauffer, chacun y va de sa compassion avec le peuple ukrainien, mais l’échange se durcit sur la nécessité ou pas des sanctions. Marine Le Pen se fait conciliante en reconnaissant le rôle du chef de l’État pendant cette période et l’on pourrait croire que le débat va perdurer dans un consensus national inattendu. Emmanuel Macron lui sort très vite de ce calme et cible le financement par une banque russe de la campagne de Marine Le Pen et il n’y fait pas qu’une allusion, il insiste, il détaille, il réplique, il enfonce le clou et à partir de ce simple crédit non remboursé, il en fait la démonstration que les propos de Marine Le Pen sur la Russie ne pourraient pas être indépendants. « Je suis une femme libre » s’oppose alors Marine Le Pen contrainte à jouer en défensive face à un adversaire qui ne lâche rien.
L’Europe, le sujet suivant donne l’occasion aux deux adversaires de camper sur leurs positions bien connues : « Je crois en l’Europe » rappelle Emmanuel Macron face à une Marine Le Pen qui dénonce le libre-échange, les travailleurs détachés, la baisse de la production agricole. Elle réaffirme sa conviction que la commission doit respecter les choix des nations. Emmanuel Macron lui reproche de vouloir« faire bande à part» dans l’Europe et lui, il lance « vous mentez sur la marchandise ».
Les retraites
La suite du débat sur les retraites offre à Marine Le Pen un angle d’attaque, elle souhaite une retraite à 60 ou 62 ans avec 40 annuités « la retraite à 65 ans, dit-elle est une imposture profondément injuste » ; elle décline un argumentaire social qui fait mouche. Emmanuel Macron est alors obligé de contourner un peu l’obstacle, de rappeler qu’il a baissé de 50 milliards d’euros les impôts, qu’il veut naturellement préserver le système social français et qu’il faudra travailler progressivement plus, en augmentant de quatre mois par an l’âge de départ à la retraite. Et si le candidat Macron a du talent pour démonter le mécano des retraites du Rassemblement national, il est interloqué lorsque Marine Le Pen endosse le costume de la compassion, dénonce le fait qu’il y a 400 000 pauvres de plus depuis le début du quinquennat, que selon des chiffres retravaillés, le chômage n’aurait que fictivement baissé, que le déficit de la balance commerciale pèse dorénavant 85 milliards, et que la France aurait perdu quoi que dise l’Insee 14 500 emplois industriels. Emmanuel Macron en président sortant assume le « quoi qu’il en coûte » et ses répercussions ; il assume les 600 milliards de dettes qui ont permis de maintenir le pays à flot.
Sur la santé étrangement les deux candidats promettent tous les deux un plan à 20 milliards sans que l’on connaisse les contours exacts de la réforme qu’ils attendent. Marine Le Pen plante une banderille : « il n’y a que les crises qui vous font bouger.» Emmanuel Macron réplique toujours très précis et technique : Ségur de la santé, augmentation de 183 euros par mois des salaires des soignants investissements dans l’hôpital public, etc. Chacun veut revaloriser le salaire et le travail des personnels de service dans les Ehpad. Emmanuel Macron promet même 50 000 postes.
L’environnement
Sur la problématique de l’environnement et du rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), Marine Le Pen plaide étrangement contre le système de libre-échange qui représenterait, selon elle, 50% des gaz à effet de serre. Elle ne prône pas le nationalisme ou l’autarcie, mais revendique « le localisme et le patriotisme économique », elle réussit dans ce chapitre ouvert par le rapport du Giec, à ouvrir une séquence sur la souffrance animale qui elle aussi serait liée au libre-échange !
Emmanuel Macron va très vite sortir de cette séquence bisounours en attaquant sur le fait qu’elle serait « climatosceptique », alors que lui est favorable à la planification environnementale avec ses deux volets sur l’énergie et sur le territorial. Marine Le Pen avait préparé sa riposte et lui répond en l’accusant d’être « un climato-hypocrite » partisan d’une écologie punitive qui aurait déstabilisé depuis huit ans la filière nucléaire. Le débat sur les éoliennes permet à chacun des deux adversaires de retourner chacun dans leur camp avec des positions claires et tranchées. Marine Le Pen, comme toujours, a bien du mal à détailler l’équilibre de son mix énergétique. Emmanuel Macron se pose en défenseur du nucléaire et des énergies renouvelables « il faut faire les deux » dit-il
Le numérique
Dans le chapitre proposé par les animateurs Gilles Bouleau et Léa Salamé, sur le numérique, Emmanuel Macron joue à domicile. « Quand j’ai été élu, rappelle-t-il, il y avait en France deux licornes, il y en a aujourd’hui 25 » ; il refuse le discours qui ferait de la France un pays relégué et salue les réussites françaises comme BlaBlaCar ou Doctolib. À une Marine Le Pen qui s’insurge contre l’ubérisation et propose des solutions publiques, voire européennes pour inventer des champions internationaux, il oppose la politique de soutien à l’innovation : « on ne décrétera pas ces champions », rappelle-t-il.
Sur l’enseignement
Sur l’enseignement Marine Le Pen propose une réforme du bac pour en faire de nouveau « un vrai examen », un retour aux filières et puis elle enchaîne très vite sur son domaine de prédilection, la question de la sécurité à l’école, le laxisme vis-à-vis d’éléments perturbateurs, la démission de l’administration face au désordre. « Il faut, résume-t-elle, être plus sévère ». Naturellement moins sécuritaire et spontanément moins empathique, Emmanuel Macron reprend alors dans son intervention le projet de réforme de l’éducation qu’il a avancé avec une plus grande autonomie des directeurs d’établissement, une plus grande liberté pour travailler avec les parents d’élèves, les maires, les associations et pour l’innovation pédagogique.
La sécurité
La sécurité qui enchaîne après l’enseignement est encore un passage où la leader du Rassemblement national est à l’aise : « nous sommes, dit-elle, confrontés à la barbarie à l’ensauvagement il faut une réponse ferme. » Elle reprend les grands classiques du Rassemblement national contre l’immigration pour laquelle elle veut un référendum, pour les peines incompressibles, pour l’expulsion des personnes en situation irrégulière, des fichés S, des délinquants etc.
Emmanuel Macron, pour une fois en défensive, revient sur les améliorations du budget du ministère de la justice, sur la création de 10 000 postes dans la police, sur la création prochaine de 20 brigades de gendarmerie dans les campagnes et des actions vigoureuses contre les cyberattaques avec 1 500 agents patrouilleurs. Il insiste sur sa détermination à lutter contre les féminicides et les violences intra-familiales. Il affirme ses convictions sur la laïcité et les fondamentaux de la liberté dans le pays des Droits de l’homme face à une Marine Le Pen qui veut interdire le foulard dans l’espace public, mélange les questions liées à l’immigration, l’insécurité et l’islamisme. Elle aboutit finalement à sa conclusion, où elle propose à nouveau « la suppression du droit du sol » la préférence nationale pour les logements et pour les emplois.
Un référendum pour le référendum
Sur les institutions justement, on aurait pu croire à un court instant à un modeste consensus possible sur l’instauration de la proportionnelle, mais cet instant sera bref, car Marine Le Pen revient sur le référendum d’initiative citoyenne. 500 000 personnes pourraient, soit bloquer une loi, soit en proposer une, ce qu’elle présente comme une façon de réconcilier les Français entre eux,« de recoudre la France.» Emmanuel Macron tente de démonter les aspects anticonstitutionnels de ces propositions. Peu importe à Marine Le Pen, elle souhaite appliquer l’article 11 de la Constitution pour changer la constitution.
Les 2h50 de débats ont effectivement balayé les six sujets prévus. Le débat a joué son rôle de clarification avec des oppositions radicales sur le droit de la nationalité, par exemple, les éoliennes, le foulard, la Russie. Mais ce débat va plus conforter chacun dans ses convictions que convaincre des indécis tant il est difficile dans des propos de tribunes de trancher pour savoir s’il y a 99 mosquées islamistes ou 470. Marine Le Pen n’a toujours pas fait la preuve de sa capacité à maîtriser l’économie et ses chiffres, la fiscalité et sa complexité, le budget de l’État et ses équilibres, mais elle a su se ménager des temps de compassion, des temps de colère sur la sécurité par exemple qui vont conforter son électorat. Emmanuel Macron s’est montré très offensif, jouant très souvent l’attaque et gagnant assez facilement sur l’argumentaire logique et raisonné, sur la compétence, mais il a eu du mal à retenir sa tendance naturelle à se jouer avec trop de facilité d’un adversaire souvent en difficulté.