Révisez vos classiques, oubliez les “services” et “l’industrie”, les scores des IDE, investissements directs étrangers, les perspectives de l’économie numérique, l’économiste Laurent Davezies propose une lecture différente de nos tissus économiques qui rend compte au plus près des réalités de terrain. L’Agam a publié une étude qui applique ce concept novateur (et contesté) au territoire de Marseille Provence. Pour les lecteurs de Gomet’, Aurélie Thomas, l’auteure, chargée d’études économie au sein du Pôle développement économique et stratégie de l’Agam, l’agence d’urbanisme de Marseille, éclaire ce concept nouveau.
Comment définir l’économie présentielle ?
Aurélie Thomas : L’économie présentielle rassemble les activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant les personnes présentes dans une zone géographique, qu’elles soient résidentes ou de passage (tels que les touristes, les navetteurs…). Avec cette donnée de présence, on passe de la notion « d’économie résidentielle » à celle « d’économie présentielle ».
Aujourd’hui, l’Insee désigne par « sphère présentielle » ce qu’il appelait hier « sphère résidentielle », à savoir les emplois qui se localisent pour répondre à la demande locale et qui dépendent des revenus dépensés par la population présente (et non pas seulement par la population recensée).
Recouvre-t-elle les anciennes définitions des secteurs primaire, secondaire, tertiaire ? Ou les catégories d’activité de l’Insee ?
Aurélie Thomas : La définition des trois sphères (productive, résidentielle et présentielle) se base sur le code NAF (nomenclature d’activités française) de l’établissement qui permet d’identifier la branche d’activité principale de l’entreprise ou du travailleur indépendant. Ces sphères dépassent donc les anciennes définitions des secteurs primaires, secondaires, tertiaires. Il n’y a pas de notion de « secteur » puisque ce qui différencie les activités présentielles des activités productives ou résidentielles, c’est le lieu de consommation d’un bien ou d’un service.
L’Insee a permis de définir les sphères présentielles et productives à partir de la nomenclature d’activité NAF. Ainsi, les 732 activités issues de cette NAF sont réparties entre la sphère présentielle qui en compte 248 (comme la restauration traditionnelle ou l’administration publique générale) et la sphère productive qui en regroupe 484 (tel que le raffinage du pétrole ou les transports maritimes et côtiers de fret).
En quoi le développement d’une économie présentielle est-elle un atout pour un territoire, au-delà de son ancrage nécessaire ?
Aurélie Thomas : L’économie présentielle constitue un excellent moyen de conserver de l’activité notamment pour les territoires qui n’offrent pas les conditions nécessaires pour accueillir des sites de production. Elle offre de réelles opportunités en termes de création d’emploi dans certains secteurs : tourisme, services à la personne, circuits courts, commerce et artisanat ou encore dans le BTP. De plus, ces emplois ont l’avantage de se répartir de manière plus homogène sur les territoires. L’économie présentielle présente une triple vertu :
- Être fortement intégratrice des publics peu qualifiés sur le marché du travail ;
- Se composer d’activités peu délocalisables ;
- Être peu sensible aux aléas économiques car ne dépendant que de la demande locale, moins élastique à la conjoncture internationale exception faite des activités immobilières et du secteur de la construction.
Soulignons toutefois que le développement de l’économie résidentielle, s’il s’accompagne en général d’une baisse du chômage, est souvent générateur de précarité (CDD, temps partiel, faible niveau de rémunération) notamment pour les femmes, qui occupent le plus souvent ces postes. Il peut donc entretenir une certaine fragilité sociale avec des emplois peu stables, partiels, peu rémunérés et qui peuvent être occupés par des non-résidents. Cependant, le développement d’une économie présentielle est un réel un atout si elle va de pair avec une économie productive et résidentielle active. L’enjeu du développement local repose donc sur un triptyque complémentaire entre :
- Économie productive : créer des richesses et importance de localiser des industries indispensables à notre indépendance sanitaire et alimentaire ;
- Économie résidentielle et touristique : capter des richesses et importance des métiers tels que les professions de santé ;
- Économie présentielle : faire circuler ces richesses et importance de développer les circuits courts pour soutenir et développer l’économie locale.
C’est l’équilibre entre ces trois mécanismes qui est facteur de dynamisme.