A la veille du Conseil métropolitain, où la délibération sur les transferts de compétences et d’équipements a été ajournée, Loïc Gachon, maire (PS) de Vitrolles, revient, pour Gomet’, sur cette question, sa vision de la Métropole Aix-Marseille Provence, l’intérêt des Conseils de territoire ou encore son positionnement au sein de la collectivité, où les clivages persistent.
Il y a quelques semaines, les agendas de la mobilité métropolitaine et économique ont été adoptés en Conseil métropolitain. Sont-ils, selon vous, un bon départ pour la Métropole Aix-Marseille Provence ?
Loïc Gachon. C’est un bon départ, mais j’estime que ce n’est pas au niveau d’innovation ou de vision politique que j’aurais souhaité. L’équilibre est difficile, avec des politiques qui se sont conduites de manière éparse, et on ne part pas de rien. Chaque EPCI (Etablissement public de coopération intercommunale, Ndlr) avait sa vision des choses et, de fait, il y a une dimension « collage » des approches avec quelques éléments au-dessus qui dessinent la ligne métropolitaine. Je vais être positif, c’est le bon chemin, mais on doit laisser à la Métropole l’occasion de s’emparer de ces sujets-là. Cela doit être nos sujets de débats.
Vous voulez dire que vous ne débattez pas ou plus de sujets stratégiques ?
L.G. Le problème c’est qu’il y a tellement de sujets qui arrivent dans la machine métropolitaine qu’ils doivent tous être débattus, car tous ont des enjeux, et parfois des enjeux ultra-locaux qui viennent interfacer nos compétences de maires. Il y a bien longtemps que les maires n’ont plus la compétence transport, par exemple, et le débat sur ce thème est de portée un peu plus générale. Mais quand on arrive à des compétences de type voirie, équipements de proximité, ça vient impacter des responsabilités qu’on exerce tous les jours. On peut parler deux heures de la manière dont va être exercée la compétence voirie. Comment va se gérer l’allée du Puisard aux Pinchinades, ça n’intéresse que les habitants du quartier, et pourtant c’est un sujet métropolitain.
Le transfert à la Métropole de la compétence voirie est reporté à 2020. Doit-elle alors rester, comme d’autres, du ressort des communes ?
L.G. La loi est intransigeante là-dessus. Elle a tranché. La voirie est devenue une compétence obligatoire de la Métropole, reportée à 2020, en effet, mais de mon point de vue c’est une énorme erreur. Ça peut avoir du sens quand on a des situations de conurbations à la lyonnaise, parce que quand on traite une voie à Lyon ou à Villeurbanne on est vraiment dans la continuité. Ce sera inopérant sur la Métropole Aix-Marseille. Il faut maintenant vite trouver la manière de traiter cette question, de la redescendre à une échelle pertinente de gestion et de ne pas épuiser et phagocyter nos débats métropolitains… C’est ce qui a été fait en la décalant dans le temps, mais si on n’en profite pas pour la traiter, en 2020 on se reposera la question.
« Il faut y aller fort, il n’y a aucun doute »
D’un côté, vous dites que ça ne va pas assez vite sur des compétences stratégiques, de l’autre ça va trop vite, qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?
L.G. Ce n’est pas une question de rythme. Je pense que le rythme de la Métropole, c’est celui qu’elle peut donner. C’est une question de priorités. L’expression de Jean-Claude Gaudin régulièrement reprise « ça va trop vite, trop fort, trop loin», je ne la fais pas mienne. Je pense qu’en matière de compétences stratégiques, on peut aller plus loin, et il faut y aller fort, il n’y a aucun doute à ça dans le domaine des transports, de la mobilité, du développement économique et même sur des questions comme la promotion de territoire… En revanche, il y a des sujets sur lesquels nous ne sommes pas sur le bon échelon pour les traiter. Il y a plein des compétences qui sont, sans doute, de pertinence supra-communale mais qui ne sont clairement pas métropolitaines. Les médiathèques, les piscines sont des questions à l’échelle des bassins de vie. La médiathèque d’Aubagne a intérêt à travailler en réseau avec celle d’Istres, mais aucun habitant d’Istres n’ira à la médiathèque à Aubagne, ou alors une fois tous les dix ans, ça n’a aucun intérêt. C’est pareil pour les piscines, il y a une logique de bassins de vie. La piscine de Venelles qui a fait beaucoup parler, quand un habitant de Martigues ira s’y baigner ? Une fois l’an…
Ce sujet du transfert des piscines, comme des médiathèques, a d’ailleurs créé quelques remous au sein de la collectivité ?
L.G. La question des piscines est clivante au sein de la Métropole. Marseille n’a pas les moyens de réhabiliter des piscines, il faut des piscines pour les Marseillais et si la Métropole peut le faire, il faut lui faire faire, c’est une vision centrée sur les besoins des habitants de Marseille, je n’en doute pas une seconde. La gestion de Marseille concerne Marseille. Ce n’est pas la Métropole qui peut sauver Marseille, c’est elle-même qui peut se sauver. Aujourd’hui, la situation de Marseille est en train de plomber les possibilités politique, administrative et financière de la Métropole.
Mais certains équipements sont, eux, bel et bien d’envergure métropolitaine.
L.G. Oui, on a des équipements phares, culturels ou sportifs, qui ont cette dimension. C’est le cas indiscutablement du stade Vélodrome, l’opéra de Marseille, l’Arena du Pays d’Aix… Des équipements uniques, singuliers, mais je me pose aussi la question d’équipements qui étaient communautaires en Pays d’Aix et sont revenus à l’échelle communale alors qu’ils sont pour moi de portée métropolitaine : le Musée Granet, le Grand Théâtre de Provence, le Pavillon Noir…
A Vitrolles, la nouvelle médiathèque « La Passerelle » ou même le Stadium peuvent-ils répondre à ces critères ?
L.G. Le Stadium, c’est un autre sujet. Ce n’est pas un équipement, mais un projet potentiel. On travaille avec la Métropole pour voir ce que ça peut devenir, et ce sera, sans doute, un projet métropolitain lorsqu’on se sera mis d’accord.
La médiathèque est un bel équipement de rayonnement supra-communal. C’est un réseau métropolitain peut-être, mais ce n’est pas un élément majeur pour la Métropole. Ce n’est pas un équipement unique, même si architecturalement j’en suis très content. Il y a des médiathèques au moins aussi performantes ailleurs. En revanche, si on trouve un mode de gestion au niveau du bassin de vie, je n’ai pas de jalousie sur mes équipements communaux, mais je pense qu’il n’est pas pertinent de les mettre dans un gros paquet avec une énorme administration qui va devoir gérer des dizaines de milliers d’agents. Ce n’est pas raisonnable.
Véritable direction politique
Mais quel est votre sentiment général sur la Métropole en tant qu’administration ?
L.G. Aujourd’hui, on a une Métropole qui cherche à grossir, à atteindre une sorte de masse critique en termes de budget pour se dégager de marges d’emprunts, d’emprunts supplémentaires… On a l’impression que l’administration fonctionne sans direction politique. A côté, il y a une neutralisation des sujets, tous traités au même niveau. On passe cinq minutes sur ce qui fait consensus, alors qu’il faudrait aller gratter et soulever les sujets stratégiques, et on passe des heures sur ce qui fait débat, alors que ce n’est pas l’enjeu majeur de la Métropole.
Il y a un défaut de conduite politique selon vous ?
L.G. Je pense que c’est impossible à conduire. Je n’en fais pas grief à Jean-Claude Gaudin mais, oui, il y a un vrai déficit collectif de conduite politique, c’est indéniable, mais c’est aussi notre propre limite humaine d’élus métropolitains. On ne peut pas tout faire en même temps, on ne peut pas investir tous les sujets. Il y a trop de sujets en même temps, de l’accessoire comme de l’essentiel. Et ce qui est essentiel pour la Métropole n’est pas ce qui est essentiel pour un maire, comme tout ce qui relève des compétences de proximité, parce que c’est là-dessus que l’on est tous les jours, qu’on est harponné, sollicité, cuisiné voire mis en cause…
La fusion entre la Métropole et de Département évoquée par Emmanuel Macron peut-elle être une solution ?
L.G. Je n’ai pas entendu d’expression très claire sur ce sujet, on reste en veille. C’est trop tard selon moi. C’est peut-être une nécessité mais maintenant ce n’est plus une solution, ça l’aurait été au démarrage. Le Département a une technostructure de haut niveau et reconnue comme telle. Il exerce déjà pour partie les compétences métropolitaines, dans le champ des transports, de la circulation… même de l’économie. C’était même la seule collectivité à appréhender ces enjeux à l’échelle métropolitaine. Et puis budgétairement et financièrement, on avait une structure saine, redistributrice et qui parlait aux communes avec – on l’a trop dit mais c’est encore le cas aujourd’hui – une forme d’autorité liée à sa capacité à autofinancer certains projets locaux. C’était le cas avant et depuis très longtemps, donc ce n’est pas une question de personne. Le Conseil départemental était le bon véhicule, ça permettait de trouver une forme de paix en ne créant pas une structure supplémentaire. Aujourd’hui, ça ne solutionnerait rien.
Qui a prise sur quoi?
Pourquoi ? Parce que la technostructure de la Métropole s’est mise en place ?
L.G. Elle existe, quoi qu’on en pense, de manière concurrente de celle du Conseil départemental, et de manière concurrente aussi de celle des EPCI. Et elle vient superposer les choses. On a tendance à oublier la question de la superposition des administrations. Par principe, une administration a sa propre vie, elle nourrit sa propre stratégie. Une administration qui existe va chercher à survivre, se pérenniser, se développer, se structurer naturellement, qu’elle ait un pouvoir politique fort ou faible, et là c’est ce qu’il se passe.
Le Conseil départemental va naturellement résister sur un certain nombre de compétences, il n’a pas envie de disparaître, d’être absorbé, et la Métropole va faire la même chose. La question qui se pose sur la présidence de la Métropole nourrit le débat médiatique car elle se focalise sur des personnes. La même question beaucoup plus discrète se pose, et peut-être de manière encore plus lourde, à toutes les échelles de la fusée, au niveau des directions générales, de chaque compétence… Qui a prise sur quoi ? Et ce débat-là est fondamental.
Que préconisez-vous ?
L.G. L’autre option, qui était pour moi la seule alternative possible, c’était de faire une Métropole réduite aux compétences stratégiques avec les budgets afférents, avec des obligations de contributions et laisser les EPCI gérer leur vie quotidienne. Et je pense qu’on aurait trouvé un accord là-dessus. Mais ça non plus, ça n’a pas été possible.
Dans tout ça, quelle est la place des conseils de territoire ? Ont-ils une véritable nécessité ?
L.G. La question des conseils de territoire est extrêmement importante et la Métropole a tendance à la balayer d’un revers de main, considérant que ça n’a pas beaucoup d’utilité, et n’a de cesse, administrativement comme politiquement d’ailleurs, de les affaiblir. C’est une erreur, pas le conseil de territoire en tant que tel, mais cette échelle métropolitaine de proximité. Le déséquilibre entre le Pays d’Aix (36 communes) et le Pays de Martigues (3 communes) est difficilement tolérable. Avoir des conseils de territoire sur plusieurs bassins de vie pose problème, mais ils restent indispensables. Il y des choses qui se discutent en conseils de territoire impossibles à discuter à l’échelle métropolitaine.
Mais il n’y a pas de vraies décisions, ce sont des avis…
L.G. Il y a des arbitrages qui doivent pouvoir être posés et il devrait même y avoir des compétences à la carte, à l’échelle des bassins de vie, ça permettra de sortir des antagonismes historiques. La décentralisation et la déconcentration des compétences métropolitaines est la question clé pour que la Métropole fonctionne et ne s’engorge pas. Pour le moment ce n’est pas le sujet.
La Métropole est très marseillaise de par ses élus et son administration, et du coup elle ne voit pas la légitimité ou la pertinence de ce fonctionnement. Je ne fais pas de procès d’intention, mais il y a Marseille, et le reste c’est la campagne. Cette perception-là est vraie, ce n’est pas du snobisme. Tout en tentant de rester neutre, il y a des traces de ça dans les discussions. Je crois que les élus du reste du département connaissent mieux Marseille que les élus marseillais ne connaissent le reste du département. Moi, je suis capable de citer les équipements marseillais qui me paraissent d’intérêt métropolitain. Je mets au défi un maire de secteur d’en faire autant sur les équipements départementaux…