Les professionnels de l’immobilier l’ont déjà diagnostiqué. Les familles jeunes avec enfants ont tendance à quitter les centres des grandes villes pour gagner des univers périurbains. Le constat s’impose à chacun : les centres métropolitains sont peu équipés pour accueillir des familles et des jeunes actifs. La Métropole Aix Marseille Provence a voulu aller plus loin que ce ressenti et a confié aux deux agences d’urbanisme d’Aix-en-Provence et de Marseille, une étude approfondie sur « les dynamiques périurbaines à l’œuvre et leurs effets sur les grands équilibres sociaux et territoriaux ». Car si les urbanistes et les élus tentent de dessiner la ville, ce sont les habitants, dans leur individualité et dans leur masse qui colorient le territoire réel qui échappe très souvent aux prospectives.
L’étude de l’Agam et de l’Aupa publiée dans un « Cahier Dynamiques périurbaines » se focalise donc sur les modèles de développement et d’aménagement qui devront prendre en compte les trajectoires des habitants dans leurs choix résidentiels.
« La recherche d’un cadre de vie plus « rural » par les ménages et les familles, lit-on en introduction, pourrait se traduire par un nouvel exode urbain dans des territoires de plus en plus éloignés de la métropole. Ce mouvement serait d’ailleurs rendu possible par l’avènement du télétravail qui permettrait de repenser la mobilité quotidienne en permettant un redéploiement de l’emploi hors des grands centres urbains. Dans ce scénario, et malgré les risques d’un nouvel étalement urbain, les cœurs de village pourraient retrouver un nouvel élan, par l’arrivée de ménages qui contribueraient ainsi à redynamiser l’économie locale. A contrario, les centres-villes les plus denses et les plus métropolitains pourraient-ils attirer de nouveaux actifs et sous quelles conditions ? » telle est exposée la problématique et les données chiffrées passées au crible par les analystes et urbanistes vont apporter des réponses étonnantes, voire inquiétantes.
La métropole et ses territoires voisins
Le périmètre de l’étude inclut donc la zone de la métropole Aix Marseille et les territoires voisins qui démarrent dans le Var du Var avec la Sainte Baume, la Provence verte, le Verdon, la puis Durance, poursuivent avec le Luberon, les Alpilles et le pays d’Arles. Aix et surtout Marseille très densément peuplées représentent plus de 50 % de la population et des emplois métropolitains.
En méthodologie, les chercheurs ont fait des choix : « Au plan purement géographique, historique, culturel ou identitaire, la métropole AMP est unique en France. Sa structuration multipolaire, son étendue et sa diversité rendent sa compréhension et son organisation complexes. Aussi, pour appréhender cette question, nous avons fait le choix de privilégier une approche inframétropolitaine. Les villes d’Aix et de Marseille sont analysées séparément du reste des pôles urbains de la métropole (Aubagne, Gardanne, Istres, La Ciotat, Marignane, Martigues, Miramas, Pertuis, Salon-de-Provence, Vitrolles) et des autres communes métropolitaines. Au sein des territoires voisins, nous avons observé séparément les pôles urbains voisins (Arles, Brignoles, Cavaillon, Châteaurenard, Manosque, Saint-Maximin- la Sainte Baume, Saint-Rémy-de-Provence, Sanary-sur-Mer) et les autres communes voisines. »
C’est la première fois que l’on chiffre les transits de population entre la Provence et les cœurs de ville.
Près de 2 400 000 personnes vivent dans l’ensemble du territoire d’étude : 79% dans AMP et 21% dans les territoires voisins. Sur l’ensemble de la population étudiée, Marseille représente la part la plus importante (36%), avec un peu plus de 860 000 habitants en 2016. Les données retenues sont celles des années 2015 et 2016, elles ne correspondent pas à un mandat électoral, mais les tendances dont nous parlons sont lourdes, durables et la fiabilité des phénomènes mis à jour a toute sa valeur en 2022. Si les flux internes à la métropole sont bien documentés, c’est la première fois que l’on chiffre les transits de population entre cette grande périphérie, la Provence pourrait-on dire, et les cœurs de ville.
(1) La démographie métropolitaine et marseillaise décline
« Au cours de l’année 2015, 40 500 nouveaux habitants sont venus s’installer dans la métropole en provenance du reste de la France métropolitaine. Dans le même temps, 42 500 personnes ont quitté la métropole vers le reste de la France métropolitaine. Cela représente donc un solde migratoire négatif de 2 000 habitants. » Au cours de cette décennie la courbe démographique de la métropole s’inverse et devient négative, ce qui est aussi le cas pour la ville centre, Marseille.
(2) Les familles actives quittent les centres urbains
« Les profils des personnes transitant entre la métropole et les territoires voisins sont différents. Ce sont les familles avec ou sans enfant qui quittent majoritairement la métropole pour s’installer dans les territoires voisins. Dans le sens inverse, ce sont principalement des personnes seules qui viennent s’installer dans la métropole. » Parmi les 4 530 personnes venant s’installer dans la métropole depuis les territoires voisins, près de 28% sont des jeunes de 15 à 20 ans.
(3) Les villes et villages périphériques deviennent résidentiels
« L’accentuation récente des processus de périurbanisation a conduit à un fort développement résidentiel des territoires proches de la métropole. Une part importante de leur croissance démographique est alimentée par des ménages métropolitains faisant le choix de la périphérie, dans des communes pour la plupart « résidentielles », peu densément peuplées et ayant un faible poids économique. Cette périurbanisation s’explique par un desserrement urbain, depuis les grandes villes et les villes moyennes, vers les communes en périphérie. »
(4) La vie en solo dans les cœurs de villes
« Les « nouveaux ménages » de Marseille Aix et des pôles urbains des centres, la majorité sont des personnes seules (étudiants, jeunes actifs, retraités), des familles monoparentales ou des couples sans enfants. » Les centralités urbaines, Aix (47%), Marseille (41%), et dans une moindre mesure les pôles urbains de la métropole (33%) et des territoires voisins (37%), accueillent le plus de personnes seules. « Parmi les familles sans enfant, la majorité est soit des personnes âgées dont les enfants ont quitté le foyer familial, soit des jeunes couples qui n’ont pas encore d’enfant. » Entre 2011 et 2016, tempère le Cahier dynamiques périurbaines, le nombre de ménages composés d’une personne seule ainsi que les familles monoparentales progresse partout. Mais « la proportion de familles avec enfant(s) baisse ou stagne dans les centralités urbaines (Aix, Marseille, pôles urbains), elle progresse légèrement dans les communes métropolitaines (+0,9 %) mais surtout dans les communes voisines où l’augmentation est notable (+3,8 %).
(5) Le village, la petite ville ou le rêve pavillonnaire familial
Les petites communes périphériques « accueillent beaucoup plus de familles et notamment de familles avec enfant(s) ». Les ménages avec des enfants y sont particulièrement présents avec un taux de 41,9 % . Avec une appétence pour la maison individuelle : dans les territoires voisins, 61 % des logements autorisés sont des logements individuels. Dans la métropole, cette proportion est inversée avec 76 % de collectif. « Le rêve pavillonnaire n’est pas toujours au rendez-vous et les déconvenues de ces familles souvent modestes peuvent être importantes : cohabitation parfois difficile, endettement qui peut peser très lourd dans le budget des ménages, difficultés plus marquées pour sortir du chômage du fait d’un éloignement des grands pôles d’emplois (notamment pour les femmes), coût élevé des transports, précarité énergétique… Au final, ces dynamiques périurbaines ont un coût social et font émerger de nouvelles formes d’exclusion. »
Pour Jacques Garnier, économiste et ancien chercheur au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST) « cette situation génère un double flux, dans deux temporalités : un flux des familles du cœur de la métropole vers les marges, qui génère lui-même des migrations alternantes, de nouveaux flux quotidiens, de la résidence au lieu de travail en métropole. »
(6) Les classes moyennes renforcent les périphéries
Sociologiquement cette migration ne touche pas tout le monde. « Les classes moyennes (les professions intermédiaires) ont fortement progressé dans les territoires voisins : +9 % contre +1 % dans la métropole » . Les employés et les ouvriers y sont également plus nombreux. Le risque d’une aggravation de la fracture sociale est grand. Rappelons que contrairement à la légende d’une cité pauvre, mais égalitaire, on observe une forte disparité entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres. Cet écart des décimes est de 1 à 3 en France, il s’aggrave de 1 à 4 dans la métropole Aix-Marseille-Provence.
(7) Les emplois progressent là où l’habitat régresse et inversement
Cette situation de déconnexion a été mise à jour par nos urbanistes depuis longtemps. Mais l’étude démontre une « forte concentration des emplois dans les zones urbaines denses ». « Sur les 900 000 emplois à l’échelle du territoire d’étude, plus de 80 % sont dans la métropole Aix-Marseille-Provence, plus particulièrement dans les grandes villes (Aix et Marseille) et les pôles urbains de la métropole. Toutes ces villes concentrent deux emplois sur trois pour seulement un habitant sur deux du grand territoire. » Avec des dynamiques différentes : « Aix, les autres communes métropolitaines ainsi que les autres communes voisines ont les taux de croissance de l’emploi les plus forts. Ces trois catégories de communes qui ne représentent qu’un emploi sur trois aujourd’hui ont polarisé 80 % de la croissance. A contrario, Marseille ainsi que les pôles urbains voisins sont en situation de quasi-stagnation économique ».
Les territoires voisins ont une faible indépendance économique : « Quotidiennement, ce sont plus de 35 000 personnes qui viennent travailler dans la métropole en provenance de ces communes. » Seule la région de Manosque a un développement endogène avec le CEA et le groupe Pellenq notamment puisque 74 % des actifs qui y résident travaillent sur place. Pour Jacques Garnier, il faudra regarder l’incidence du télétravail et du numérique. « Ils rapprochent l’actif de son emploi sans déplacement et notre modèle productif va changer. On peut imaginer avec les fab’lab, les makers, que des segments de montage, de production, de services se décentralisent. Nous sommes encore dans un mode de production totalement vertical qui montre ses limites. »
Les agences d’urbanisme vont dans le même sens : « les villes moyennes et centres bourgs du périurbain ne pourraient-ils pas constituer de nouveaux relais de développement dans l’armature régionale ? Vers l’émergence de « systèmes productifs résidentiels » (SPR) à l’échelle interterritoriale ? Ces systèmes qui prendraient appui sur des centralités « historiques » pourraient ainsi structurer leurs bassins de vie qui se développeraient de façon relativement autonome (en associant emplois, services, équipements…) pour réduire les disparités d’accès aux services et aux emplois. »
Et pourquoi cette périurbanisation ?
Les chercheurs des agences d’urbanisme s’interrogent sur les causes de cette polarisation du territoire : « Cette périurbanisation est d’abord liée à des problématiques d’accès au logement à des prix abordables, principalement pour les familles avec enfant(s). L’offre massive en maison individuelle proposée par les territoires voisins alimente ces départs. Toutefois, cette tendance pourrait aussi s’expliquer par un déficit d’offre adaptée dans les cœurs de métropole : l’offre résidentielle dans les grandes villes et plus généralement dans les zones urbaines denses ne correspond pas à la demande :
- Les logements neufs sont trop petits et trop chers dans les programmes neufs. En moyenne, la taille d’un T3 dans le neuf est de 60 m2. Aussi, si les logements « neufs » construits dans les villes attirent les jeunes actifs, ils ne sont pas adaptés aux familles.
- Le marché du neuf est encore trop ciblé sur les produits investisseurs (type Pinel) qui privilégient, pour des questions notamment de rentabilité, des T1 ou T2.
- On note également, un manque de qualité urbaine (espaces verts, espaces publics de qualité, stationnement…) dans les zones urbaines denses, qui nourrit la périurbanisation.
- Le parc de logements vacants et de résidences secondaires progresse dans la métropole. »
À la racine de ces problèmes, le Cahier dynamiques périurbaines conclut que « l’accession à la propriété en maison individuelle reste un vecteur de mobilité résidentielle. Cela est particulièrement vrai pour les familles (avec ou sans enfant) qui quittent majoritairement la métropole pour les territoires de proximité. Dans l’autre sens, la métropole attire surtout des personnes seules (étudiants, jeunes actifs…). Cette situation s’explique en partie par la construction neuve qui ne semble pas adaptée aux besoins en termes de taille et aux attentes en termes de prix des habitants. » La question de l’accès au logement pour tous n’est pas uniquement un problème quantitatif.