On se souvient du poème de Jacques Prévert : « Louis I, Louis II, Louis III… Louis XIX, puis plus rien. Mais c’est quoi cette famille qui ne sait pas compter jusqu’à XX ». A Marseille les rois savent aller jusqu’à XXI. Particulièrement à La Plaine, qui en avait assez d’être morne, et décida donc d’organiser son 21ème carnaval. Comme dans cette ville sans égale, on aime bien se distinguer, ce serait pour beaucoup sans masque, ce qui permettrait au coronavirus de continuer sa samba. « En même temps », comme le disent encore les macronistes, on annonçait que les thèmes de cette mascarade seraient politiques. Il était ainsi question de faire, pour rire, le procès de Martine Vassal reine du conseil départemental sur l’air de « Allons maman bobo ». La cour des miracles reproche à la droite d’avoir condamné la place Jean Jaurès, Noailles et le cours Julien à la « gentrification ». « Un grand remplacement », comme dirait Michel Houellebecq, qui verrait des bourgeois bohèmes fous de bio, de new wave, et d’un peu d’herbe, chasser les junkies et autres taggers de ces paradis artificiels où les héroïnes sont brunes et les héros sans futur.
Les désorganisateurs avaient depuis longtemps perdu la main, et il advint ce qui devait arriver
« Et que vive la teuf » proclamaient quelques calicots portant le « A » libertaire. Ils partirent donc cinq cents, mais par de prompts renforts, ils furent 6 500 en arrivant au Vieux-Port. Les désorganisateurs avaient depuis longtemps perdu la main, et il advint ce qui devait arriver, lorsque la meute tourne à l’émeute.
On connait la suite. Quelques milliers de dégâts pour le mobilier urbain, une poignée de banques et magasins coupables d’être les représentants du capitalisme, et un manège récemment rénové. Une petite dizaine de fêtards braillards interpellés et abandonnés par leurs compagnons de « teuferie ». Et puis, comme toujours, les politiques qui jurent, à la barre du tribunal de l’opinion, que la fête dégénérée, est une défaite de ceux qui gouvernent aux plans local ou national.
Les micros se tendirent donc vers ceux qui avaient quelque chose à dire ou à commenter. Le socialiste Yannick Ohanessian, adjoint délégué à la sécurité, se livra à une analyse dépassionnée, ce qui lui vaudra d’être traité par quelques adversaires de gauche de « Gérald Darmanin ». Il n’aura pourtant que décrypté les faits : « On nous demande des efforts collectifs depuis un an pour faire face à cette pandémie, ça passe forcément par de la responsabilité individuelle ». Cette dernière fut balayée par quelques centaines d’imbéciles. L’adjoint à la culture, le communiste Jean-Marc Coppola, ne pouvait qu’enchérir tout en plaidant l’indulgence : « Il faut mesurer l’état de frustration de gens, et notamment des plus jeunes, mais cela n’excuse par l’imbécillité de ces actes irresponsables qui desservent la ville de Marseille. » On comprend d’autant plus l’amertume, quand on sait que la cité a été choisie comme « ville test », pour juger de l’opportunité de rouvrir les salles de spectacles.
La droite ne pouvait, un an après sa Bérézina que pointer du doigt ce Waterloo de la municipalité
La droite bien évidemment ne pouvait, un an après sa Bérézina que pointer du doigt ce Waterloo de la nouvelle municipalité. Toujours dans la nuance, Valérie Boyer parla d’un « véritable attentat contre la santé des Marseillais ». Et la sénatrice, qui est l’une des rares à avoir serré la main d’Assad le Syrien, de désigner les terroristes du moment « la gauche et l’extrême gauche ».
Une fois de plus c’est Jean-Luc Mélenchon, le député du TGV Paris-Marseille, qui frappa le plus fort les esprits. Comme on dit à l’OM, il a choisi le contrepied : « Ça suffit maintenant. Les Français sont un peuple adulte. Les gens qui vont faire un carnaval le font en responsabilité et ils ont raison de rire au nez des bonnes consciences qui leur font des reproches, quand vous voyez comment ça se passe tous les matins sur les quais du métro ou du RER en région parisienne.» L’ancien professeur démontre qu’entre pédagogie et démagogie, il n’y a finalement que la différence d’un… radical.
Bon ! Pour paraphraser Chirac, c’est à la fin de cette triste foire que l’on comptera les cas positifs et ceux qui hélas devront porter un masque… mortuaire.
A Marseille « la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière. »
Gustave Flaubert
Que nous apprend cet épisode, qui aurait pu être drôle, s’il n’était pas lourd de conséquences ? Qu’il y a une marmite en surchauffe et des jeunes privés de ces moments qui font qu’on n’est pas raisonnable quand on a 17, 18, 19 ou 20 ans. Qu’il existe des associations qui réclament, une fois l’an, d’être subventionnées, au nom de l’intérêt collectif et qui oublient en chemin qu’être citoyen est un droit mais exige des devoirs. Que nous vivons un des moments de l’Histoire où ceux qui représentent la République, ceints de l’écharpe tricolore, ont l’impérieuse exigence d’être à la hauteur des circonstances. Qu’à Marseille, ville rebelle, comme l’écrivait Gustave Flaubert, « la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière. » Un Carnaval devrait être de cette fête-là ! Sinon Marseille sera Carmentran. Le « fainéant, malhonnête, goinfre et débauché » qu’on brûlait pendant le carnaval au Moyen-Age, après l’avoir exhibé dans les rues de la ville. Condamné pour avoir crié trop fort.