Stigmatisé comme bolcheviste-juif-dégénéré par le nazisme, devenu français en 1937, Chagall se réfugie à Gordes en 1940. Grâce à l’américain Fry, il gagne les États-Unis l’année suivante. Pour ne revenir sur la Côte d’Azur qu’après la guerre… Il mourra, quasi centenaire, en 1985, à saint Paul de Vence.
Dans les années cinquante, l’artiste s’initie à la céramique, puis à la sculpture en marbre, bronze ou pierre de Rognes. D’après Meret Meyer, sa petite-fille (et commissaire de l’exposition), ces techniques permettront au poète de la palette d’enrichir son dessin et son activité picturale.
C’est justement à cette seconde période d’activité du “maître de la couleur” que s’intéresse la présentation d’Aix-Caumont. La première phase de l’œuvre (davantage contrastée noire et blanche) n’est pas négligée pour autant. L’homme avouait au demeurant : « la peinture m’est aussi nécessaire que la nourriture… Comme une fenêtre à travers laquelle je m’envolerais vers un autre monde. »
Chagall : amoureux en lévitation
Très rarement vu en Europe, prêté par une firme japonaise, un Arlequin multicolore géant, sur fond bleu lunaire. En arrière-plan de son genou droit, telle une miniature, la silhouette de Notre Dame de Paris… tandis que l’autre jambe surplombe trois ponts enjambant la Seine.
C’est une véritable singularité chagallienne, ces ajouts de croquis et d’esquisses, plus ou moins flous… personnages et animaux, le coq, l’âne, un violon ou les maisons de son village natal de Vitebsk (Biélorussie), dans les coins et recoins de la plupart de ses toiles. Et souvent la tête en bas, en inversion délibérée. Voire en lévitation flottante, entre terre et ciel, comme souvent sont figurés les amoureux, dégagés de l’attraction terrestre, et des pesanteurs du chagrin.
Fervent lecteur de la bible, Marc Chagall combine à plaisir les références juives et chrétiennes, la croix et les chandeliers. Sur les flancs d’un somptueux vase, – tourné par ses soins- il parvient à fusionner les profils d’Adam et Ève, tant il est déjà propulsé, avant que ce temps n’arrive, dans la troisième dimension de l’art. Cet audacieux qui n’a jamais voulu s’affilier à une quelconque académie n’hésite pas à mêler du sable et des végétaux, ou de la sciure à l’épaisseur de sa pâte.
Prodige onirique
Mystique et cosmopolite, l’inclassable virtuose réalise, pour une synagogue de Jérusalem, une douzaine de vitraux. Trois autres pour la cathédrale de Reims et encore un vitrail au siège New Yorkais des Nations Unies. Sur commande de l’écrivain-ministre Malraux, Chagall signera en 1964 le plafond de l’opéra de Paris, où tourbillonnent deux de ses thèmes de prédilection : la musique et la joie de vivre.
Dix ans plus tard, sera inauguré à Nice le musée Chagall. Lui aussi doté d’un vitrail. D’un créateur aux multiples outils, qui a toujours désiré «se couvrir le coeur d’ombre et de lumière. » Au besoin via la cuisson, il réussit ce prodige onirique de sculpter la couleur.
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Photos : A gauche Marc Chagall, Esquisse pour Nu mauve, vers 1967. Gouache, encre de Chine, pastel, papiers de couleurs, papiers repeints et tissus collés sur papier, 24,3 x 20,6 cm Collection particulière © ADAGP, Paris, 2018 © Archives Marc et Ida Chagall, Paris. A droite, Marc Chagall, Esquisse pour Le Rappel, 1968-1971 Gouache, encre de Chine, pastel, crayon noir, tissus imprimés, papiers repeints collés sur papier, 16 x 16,2 cm Collection particulière © ADAGP, Paris, 2018 © Archives Marc et Ida Chagall, Paris.