« L’objectif est de ne pas rester les bras croisés et de s’opposer à la présence du fascisme. Notre seul but est d’empêcher l’arrivée du FN au pouvoir. » Le ton est donné, le cadre est fixé. Il est près de 19h lorsque Hervé Castanet, psychanalyste, prend la parole sur l’estrade de l’espace Leo Ferré du théâtre Toursky. « Il est vrai que ce n’est pas vraiment le rôle des psychanalystes mais étant donnés les enjeux, nous sortons de notre réserve. Quant à moi, je continuerai le combat, avec d’autres, lors des législatives. On ne joue pas avec la République, avec la démocratie. »
Devant près de 250 personnes, Philippe Pujol prend à son tour la parole. «Mon cousin germain est fasciste, raconte le journaliste, prix Albert Londres 2014, en évoquant son livre Mon cousin le fasciste. Il est tellement à droite qu’il a été banni du Front national et est un leader ultra-radical. » De son statut d’observateur, il tente de mettre en garde : derrière la façade aseptisée du Front national, se cachent des franges politiques bien plus dangereuses. « À chaque fois que l’extrême droite prend le pouvoir, s’ensuit d’abord une lutte interne. L’aile la plus fasciste prend souvent le dessus », poursuit-il. Est-il besoin de rappeler la Nuit des longs couteaux le 29 juin 1934, lors de laquelle les nazis ont perpétré des assassinats au sein même de leur mouvement, ou l’exécution en 1936 de José Antonio Primo de Rivera, fondateur du parti fasciste espagnol La Phalange, permettant sa domination par le général Franco ? « Je préfère, dans un prochain bouquin, dénoncer la politique de Macron que raconter la résistance française sous Marine Le Pen », conclut Philippe Pujol.
La banalisation en question
« Diabolisation, c’est un terme qui sort de la bouche du Front national, souligne André Koulberg, professeur de philosophie et auteur du livre Le FN et la société française. Ce parti n’est puissant que parce qu’il trouve des relais dans la société. La banalisation, c’est ne plus sentir son danger et ce phénomène passe par l’utilisation d’un vocabulaire normalisé. Mais le « peuple » de Marine Le Pen n’est pas le « peuple » de la Révolution française. » Evoquant l’obsession ethnique du parti d’extrême droite pour l’immigration massive et incontrôlée, André Koulberg dénonce les discriminations qu’il veut instituer au sein de la société : à l’embauche, au logement social, aux allocations familiales, à l’école. « La priorité nationale est la mise en cause du socle sur lequel notre démocratie repose. »
Place ensuite à la poésie. « Où sommes-nous ? », se demande Alexis Nuselovici, professeur de littérature et directeur du groupe Transpositions à Aix-Marseille Université. « Il y a deux France : celle des droits de l’homme et celle des croix de feu, celle de la Révolution et celle de Vichy. Le monstre a engendré un autre monstre, une troisième France virtuelle, celle du dos à dos, de la peste, du choléra, des mains salies. Le ni-ni, c’est le nid du facisme. » Un texte puissant, lu avec une colère sourde, qui a fait régner un silence parfait parmi les fauteuils de velours rouge. « Le FN a gagné au-delà du premier tour, car il a paralysé la pensée. »
Un débat mouvementé à l’écran comme dans la salle

Mais il est bientôt 21h et le débat va commencer. Hervé Castanet voudrait laisser terminer les interventions mais la salle s’affole. « On est venus pour voir le débat ! », entend-on. « Non, on aurait pu le voir de chez nous ! », objecte une spectatrice. Le psychanalyste tranche : puisqu’on ne peut pas déplacer le vidéoprojecteur, la table ronde migre au théâtre et avec elle, les trois quarts des spectateurs. « Ne dites pas de bêtise, Mme Le Pen », Emmanuel Macron apparaît sur l’écran géant, l’air désolé et le ton morigénateur. On prend le débat en cours de route, Marine Le Pen accuse le candidat d’En Marche ! d’avoir vendu SFR. Il lui réplique qu’à l’époque il n’était pas ministre. Elle vérifie ses fiches. Elle confond en fait avec le dossier Alstom et General Electric. Dans la salle Léo Ferré, le public est médusé : ça commence fort.
Quand Marine Le Pen lance : « Je suis la candidate du pouvoir d’achat, vous êtes le candidat du pouvoir d’acheter », quelques rires fusent. Les yeux s’écarquillent, on attend la suite, curieux et abasourdis. Les candidats enchaînent sur la protection sociale, la désertification médicale, l’augmentation du numerus clausus voulue par le FN : « il faut dix ans pour former les médecins », objecte Macron, sur le coût des médicaments, que Marine Le Pen veut drastiquement réduire. « Alors j’ai le regret de vous dire que sous votre présidence, ils augmenteront car 80% des médicaments sont fabriqués à l’étranger et vous voulez taxer les importations. » Le public de Toursky adhère à la répartie de l’ancien ministre, chaque punchline est ponctuée par des rires francs.
Noms d’oiseaux
Mais l’attitude de Marine Le Pen, tout en minauderie feinte, en sourires narquois et en rires simulés, installe un malaise. Les spectateurs se regardent, comme pour vérifier qu’ils ne sont pas témoin d’une hallucination. Certains cachent leur visage dans leurs mains. D’autres secouent la tête, incrédules. « La lutte contre le terrorisme est une problématique majeure. Il faut expulser les Fichés S qui ont un lien avec Daesh. Dehors ! Dehors ! » Huée générale. Emmanuel Macron la renvoie à ses propos sur la responsabilité de la France lors de la rafle du Vel d’Hiv. « Moi je considère que la France était à Londres », répond-elle. La réaction de la salle ne se fait pas attendre. Certains spectateurs se lèvent, outrés. « Mauvaise foi ! », crie un homme.
Sur l’Europe, la candidate frontiste déroule son discours mais manque de précision, selon Emmanuel Macron. Quelle monnaie ? L’écu, le franc, l’euro ? Marine Le Pen s’emmêle les pinceaux et la salle est hilare. « Elle est ridicule ! » affirme une dame au troisième rang, « Odieuse » , « Grotesque », les adjectifs pleuvent. Marine Le Pen continue de vilipender Emmanuel Macron qui la renvoie dans les cordes : « Le parti des affaires, c’est le vôtre », rappelle-t-il. « J’espère qu’on n’apprendra rien dans les semaines à venir, comme l’existence d’un compte off-shore aux Bahamas, par exemple », sourit-elle, caustique. A nouveau, la salle désapprouve bruyamment. « Vous venez encore une fois de montrer à quel point vous êtes indignes. La France mérite mieux que vous ». C’est la conclusion du candidat d’En Marche ! et elle semble être largement partagée par le public venu assister à ce second forum anti-haine.