Sur le parvis du théâtre Toursky, au fond de l’impasse Léo Ferré dans le quartier Saint-Mauront, une cinquantaine de personnes attendent, ce vendredi 9 juin, la venue d’une Arlésienne, désormais aussi célèbre que celle de Georges Bizet mais pas pour les mêmes raisons : Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Les minutes passent et elles se demandent si c’est bien vrai que la ministre va venir jusqu’ici, parce que, de passage à Marseille, Françoise Nyssen a, comme il se doit, un planning de… ministre. Après une rencontre avec Raymond Vidil au sujet de MP 2018 à la préfecture et avant celle avec les acteurs culturels locaux au Mucem, suivies d’un troisième rendez-vous avec le personnel de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac Paca) à Aix-en-Provence, Corinne Versini, candidate aux législatives sur cette 4e circonscription, l’a invitée à venir découvrir ce lieu et surtout son équipe qui œuvre pour la culture à Marseille mais aussi pour ce quartier, « l’un des plus pauvres d’Europe » comme le rappelle Richard Martin. Malheureusement, les finances et la reconnaissance manquent. Alors quand deux berlines noires arrivent, tout le monde retient son souffle. Elle est bien là. Les premiers instants sont même quelque peu maladroits car comment dire tout à coup « Madame La Ministre » à ce visage si familier du paysage culturel de la région.
S’ensuit une visite des lieux et lorsque la ministre pénètre dans l’espace Léo Ferré, la seconde salle du théâtre Toursky créée pour MP 2013 et dont l’avenir est plus qu’incertain par manque de subvention (lire notre article), elle est accueillie par un « bienvenue » de la part de la chanteuse-comédienne Cristina Rosmini, en résidence au Toursky et en répétition avec son groupe. Comme elle le ferait pour des amis, l’artiste entonne un chant espagnol qui célèbre les défenseurs de la liberté et de la République.
Richard Martin : « Je ne peux pas cacher ma joie »
Au point presse qui s’improvise dans la cour, le président du théâtre, Michel Dossetto s’adresse à la ministre : « En vous déplaçant ici, vous envoyez un signal fort pour toute l’équipe » et bien plus. Et à Richard Martin de renchérir : « Je ne peux pas cacher ma joie. Ce théâtre se bat depuis 47 ans pour que la culture ne soit pas réservée, mais ouverte pour tous et tout le temps. Je voudrais, avec beaucoup d’émotion, saluer votre courage. Cela fait 47 ans que nous nous battons et vous venez, là, nous reconnaître. Merci. Beaucoup. »
C’est parce qu’il parle avec son cœur que Richard Martin touche toujours son auditoire, jusqu’à Corinne Versini qui prend la parole : « Merci Richard de me faire venir les larmes aux yeux parce que j’ai souvent ri au cours de cette campagne, parfois stressée mais jamais aussi émue. Je suis ravie d’être ici car quand j’étais étudiante, Toursky, c’était déjà un emblème. Je remercie notre ministre de la Culture d’être venue ici pour me soutenir car je suis face au plus gros dinosaure de la politique qu’on peut trouver en France et je voudrais montrer que la culture est un emblème aussi à En Marche!. Ce n’est pas réservé à certains. La culture peut rentrer partout, y compris dans ces quartiers qui sont les plus défavorisés mais ça ne va pas durer. »
François Nyssen : « Je vais continuer à faire le catalyseur»
C’est au tour de Françoise Nyssen de s’exprimer : « Je n’ai pas préparé de discours, je voulais juste partager, mais j’ai quand même envie de vous dire pourquoi je suis là. Ça fait trois semaines que je suis devenue quelqu’un d’autre. Je ne sais pas si je suis devenue quelqu’un d’autre mais, du moins, je suis entrée dans une autre vie pour lutter contre tout ce qui nous atteint, contre tout ce qui nous met dans la colère. Je sais que beaucoup d’entre vous sont portés par ça, tellement il y a d’injustice, tellement il y a de difficultés, mais face à cette colère, on peut essayer de faire quelque chose ensemble. J’avais jamais imaginé de me trouver là devant vous à parler, j’étais plutôt comme vous, dans une autre vie, sur le terrain, à essayer de faire, d’enchanter, d’inspirer, de proposer, d’accompagner. J’ai découvert avec Corinne Versini que nous étions toutes les deux au départ des chimistes, et donc que nous étions des catalyseurs. Un catalyseur, c’est une substance qui permet à une réaction de se faire puis disparaît. Et je pense que je vais continuer à faire le catalyseur “là-haut”, comme je dis maintenant et qui fait beaucoup rire en général. Oui, maintenant j’ai un bureau “là haut” mais ce n’est qu’un bureau.
Je suis là avec vous, au milieu de vous et c’est pour ça que je viens. Si je me suis vu confier ce poste, dont je mesure l’ampleur, l’honneur, la responsabilité, parce que désormais je suis au service. C’est justement sur des principes forts que nous allons essayer de mettre en marche avec la culture comme moteur pour réinspirer, faire le lien, être. Bien sûr, on est là parce qu’il y a d’abord des créateurs et on les accompagne, on est à leur service mais ces créateurs, il faut les aider à être avec leur public, avec tous les publics, avec les vieux comme les jeunes… et c’est pour cela ce que je suis vraiment contente d’être ici car parce que ce qui se fait ici est vraiment emblématique. Si vous vous êtes un peu intéressés au programme que défend Corinne Versini, c’est un programme basé sur l’attention aux gens partout où ils sont. Depuis que je suis arrivée là haut, je suis allée partout, je ne peux pas imaginer mon travail sans être en contact de tous ceux qui créent. Si on est arrivé à ces fractures et à cette souffrance, c’est parce que les gens ne se parlent plus et qu’il y a des gens qui se sentent abandonnés. Et ça commence malheureusement souvent dès l’école et donc il y a un gros travail à faire pour que 100% des enfants puissent eux aussi imaginer leur vie enchantée par la culture. Et je sais que ce travail se fait ici aussi. C’est un des axes importants que nous voulons faire. Et d’une façon plus politique et plus générale, vous aurez compris, un des axes forts que nous voulons est redonner du sens, même à la politique mondiale, même à l’Europe. C’est vraiment un de nos objectifs. Essayer d’être là, d’accompagner, d’accueillir. »« Depuis que je suis arrivée à Marseille, j’ai beaucoup entendu parler de fraternité, de projets qui vont irriguer le territoire. J’ai entendu parler de ce projet de rebondir sur ce moment qu’a été Marseille capitale européenne de la culture, de lui redonner un écho avec l’ensemble des acteurs avec comme thème l’amour. J’entends parler de fraternité, d’égalité mais si on n’en passe pas par la liberté pour y arriver, on n’y arrivera pas très bien. C’est la liberté de chacun de s’accomplir en fonction de ce qu’il est, et c’est là aussi notre rôle. C’est d’aider chacun à redevenir pilote de sa vie, de retrouver de l’espoir, d’avancer, de se tenir droit devant la vie et de dire à nos enfants “Grandissez, le monde que vous allez vivre sera un monde plein de merveilles et vous allez y arriver !” Je voulais dire à quel point j’espère qu’on pourra travailler tous ensemble et pour cela, c’est évident qu’il faut soutenir Corinne, d’autant plus qu’il s’agit d’une femme engagée, qui s’est engagée pour l’éducation, pour les femmes, pour cette liberté qui mène à l’égalité. C’est important de la soutenir face à des personnes qui parfois ont des idées formidables mais quand sont menées, elles, par la colère, par la frustration, et ce n’est pas bien. Je dis souvent cette phrase de Gramsci “Le pessimiste de la raison nous oblige à l’optimisme de la détermination” . »
Lorsque nous demandons à Françoise Nyssen si du fait qu’elle vienne du monde de la culture, on attendait plus d’elle, c’est Richard Martin qui glisse : « Il se peut qu’on ait là notre 3e ministre de la Culture, après Malraux et Lang. »
Poursuivant sa visite sur le territoire métropolitain, Françoise Nyssen a repris cette image de catalyseur notamment en s’adressant au personnel de la Drac, à Aix-en-Provence, en présence de Maryse Joissains Masini, maire de la ville, de Sophie Joissains, adjointe à la culture et de Marc Ceccaldi, le directeur de la Drac. « La culture doit être diffusée partout, et vous êtes ceux qui l’accompagnez. Notre rôle est de stimuler, de jouer un rôle de catalyseur dans la production culturelle. Ce qui nous anime est la volonté de ré-enchanter le monde à travers la culture.» À un journaliste, à Marseille, qui demandait pourquoi le mot communication avait disparu du ministère, Françoise Nyssen a répondu que simplifier ne voulait pas dire disparaître. À Aix-en-Provence, elle a précisé que si elle avait réduit son cabinet, c’était « pour travailler au plus près des Drac et des services. »
Enfin, après le départ de la ministre du théâtre Toursky, Corinne Versini nous confiait qu’elle était « ravie que cette rencontre ait pu se faire car plusieurs politiques pas très bienveillants ne voyaient pas pourquoi venir ici. »