Depuis le drame de la rue d’Aubagne, les professionnels de l’immobilier se sont peu exprimés. « Nous avons été particulièrement choqués par cette catastrophe », indique François-Xavier Guis, président adjoint de la FNAIM Aix-Marseille Provence, dont le slogan « agir pour le logement » figure sous le logo. « Nous sommes là pour amener un cadre de vie à la population, à une entreprise ou un commerce, dès lors qu’il y a un drame comme ça, cela touche à notre ADN », poursuit le président Didier Bertrand, à l’occasion de la conférence de presse sur le thème « Quid des loyers du parc privé en 2018 dans le département (lire par ailleurs). Après le 5 novembre, la Fédération a fait le choix de ne pas faire de communication médiatique, « et de travailler. Nous avons été particulièrement sensibiliser, aux côtés de la préfecture, de la Ville de Marseille et des acteurs publics pour que le parc privé soit un acteur du relogement. La FNAIM a proposé des offres de relogement, sans prendre d’honoraire ».
Le drame de la rue d’Aubagne a eu quelques répercussions sur la profession d’administrateur de biens. L’une des premières conséquences : un certain nombre de professionnels « dignes de ce nom ont rendu leur tablier », souligne Didier Bertrand. «Nous, on délivre un service. Lorsqu’un propriétaire ne souhaite pas faire de travaux, et qu’en en tant que professionnel nous ne sommes pas d’accord, on se retire. On ne peut pas exercer notre mission ». Résultat : des copropriétés privées livrées à elles-mêmes. « Concrètement, tout le monde a ouvert le parapluie, poursuit François-Xavier Guis. Les services municipaux en appliquant le principe de précaution et en évacuant les immeubles, les administrateurs de biens qui n’arrivaient pas à faire voter les travaux partent sur des procédures dites d’administrations judiciaires ou donnent leur démission car ils ont peur. Des administrateurs de biens qui louaient des appartements qui ne répondaient pas aux normes sont aujourd’hui plus regardants. »
Un phénomène de « phobie des fissures »
Si le drame n’a pas eu d’impact sur les prix du marché locatif privé, notamment à Marseille, il a touché au quotidien des professionnels au travers de ce qu’ils appellent la « phobie des fissures. « Ce n’est pas péjoratif, et on comprend tout à fait que cela puisse inquiéter un particulier. Nous sommes sollicités tous les jours et nous avons à cœur de lever les doutes. Notre job, c’est de vérifier, avec les architectes et les bureaux d’études mais dans 99% des cas il s’agit de fausses alertes ».
La FNAIM met d’ailleurs l’accent sur ce qui relève de fissures esthétiques et les fissures structurelles. « L’obligation du bailleur est de délivrer un logement en bon état d’usage, ces normes de décence sont visibles à l’œil nu par un profane. Bien entendu, la question de la structure c’est une question d’expert, ajoute Thierry Moallic, directeur de l’Adil 13. Nous avons tous été choqués par ce qui s’est passé, mais il faut tirer les enseignements de ce drame. » Les professionnels attendent d’ailleurs beaucoup des rapports des experts du conseil supérieur des travaux publics (CSTB) qui se sont déplacés à Marseille, à la suite de la catastrophe. Ils étudient les différentes pathologies existantes par type d’immeuble, « parce que tous les immeubles n’ont pas été construits selon les mêmes techniques de construction. S’il fallait faire un exercice pédagogique auprès des populations, c’est bien de dire que tout le monde n’est pas confronté aux mêmes techniques de construction », reprend Thierry Moallic.
Un meilleur contrôle de l’aide au logement
Dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne et dégradé, la FNAIM a donc proposé un contrôle obligatoire de l’ensemble du bâti au niveau national, tous les dix ans, sur le modèle du contrôle technique pour les voitures. « On espère que cette proposition va être reprise dans la loi », lance Didier Bertrand. La Fédération a fait plusieurs propositions (dont elle n’a pas souhaité dévoiler le contenu avant approbation). Mais elles visent à faire évoluer la législation et « obtenir des moyens curatifs mais aussi des moyens préventifs ». Dans le cadre de la prévention justement, une autre mesure, si elle est densifiée pourrait être un levier d’action efficace pour mieux lutter contre l’habitat dégradé : il s’agit d’un meilleur contrôle de l’aide au logement.
En effet, pour mettre en location un bien, sachant que le locataire va bénéficier d’une aide au logement, il suffit au bailleur de faire une déclaration sur l’honneur à la Caisse d’allocation familiale (Caf) selon laquelle le logement répond aux normes de décence. Lorsqu’un logement n’est pas décent, le locataire doit faire le signalement à la Caf (s’il perçoit une aide), c’est la loi. La Caf doit alors déclencher les vérifications par ses propres moyens ou par l’intermédiaire de différents opérateurs payés par la collectivité publique. Dans le cas où l’indécence se vérifie, elle doit procéder à la conservation des aides au logement, sans pour autant que le locataire soit en défaut d’impayés. « Il faut massifier ce dispositif », insiste Thierry Moallic, « parce qu’une grande pression sera exercée sur les bailleurs pour réaliser des travaux de mises aux normes. Elle n’a pas pris tout son essor et à Marseille elle peut avoir des effets extraordinairement bénéfiques. » Le gouvernement devrait mobiliser des moyens pour permettre à la Caf d’effectuer ces constats. Sur ce point, la FNAIM a d’ailleurs été auditionnée par Jacques Ansquer, dans le cadre des Assises citoyennes de l’habitat, lancées par la Métropole Aix-Marseille Provence.
« On a fait l’extérieur et on laisse pourrir l’intérieur »
Le drame de la rue d’Aubagne a également mis au jour de manière plus violente une désertification des centres-villes. Et sur ce sujet la FNAIM a également son avis. « Depuis des années, il n’y a pas eu d’entretien et un abandon des pouvoirs publics des centres-villes, estime le président adjoint de la FNAIM. Et l’impact est terrible ! D’une part sur des populations qui avaient les moyens et qui ont quitté les centres-villes et d’autres part sur la vie économique et les commerces. Il faut bien comprendre que c’est un phénomène national », insiste-t-il. La Fédération regrette que les aides fiscales (notamment de la loi Pinel) ne soient pas fléchées vers l’ancien. 95% des aides vont principalement au neuf, soit 45 milliards d’euros.
La FNAIM a demandé au gouvernement de flécher 10% de ce montant pour la rénovation des centres-villes. Didier Bertrand milite d’ailleurs pour un grand plan Marshall tout en faisant preuve de « bon sens ». « Aux Etats-Unis, on est sur ce qu’on appelle le Ground Zéro, faire de la rénovation de l’intérieur vers l’extérieur. Nous, on a fait l’extérieur et on laisse pourrir l’intérieur ». Cette réflexion est également valable pour la rénovation des façades. 3000 injonctions ont été votées à l’occasion du dernier conseil municipal de Marseille. « On va faire des belles façades et là il y a 50% d’aides », s’insurge Didier Bertrand, qui aimerait que la moitié de ces aides soient utilisées d’une manière plus pertinente.
Dans le cadre des Assises de l’habitat, la FNAIM aux côtés d’autres partenaires comme l’Adil, l’Unis… ont travaillé sur l’allègement et une accélération des procédures administratives. La députée (LREM) Alexandra Louis et son homologue dans le nord, Guillaume Vuilletet ont été missionnés par le Premier ministre pour étudier la manière d’assouplir les procédures et notamment les mesures de police, afin de proposer un projet de loi. La restitution des contributions des assises aura lieu le 26 mars prochain.
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A lire notre premier volet : [Immobilier] Un marché locatif stable mais bousculé par la location de courte durée (1/2)