Au moment où Bernard Aubert nous quitte brutalement, apparaît à tous, le lien exceptionnel qu’il avait noué avec Marseille. Et pourtant, né dans le Gard, il est nîmois, éducateur spécialisé et le Midi libre a relaté comment avant de venir à Marseille, il était déjà le père de la movida nîmoise.
Le journaliste Adrien Boudet raconte ainsi comment dès 1983, il ouvre l’espace “Musique en stock” avec Bernard Souroque, Christian Goudin, David Moré. Les Rita Mitsouko, Jacques Higelin, Stephan Eicher, Chet Baker, Dee Dee Bridgewater, Johnny Clegg, Juan Carmona animent cette scène inédite. Il donne des couleurs et des notes à la feria avec des musiques de rue.

Lorsqu’il vient à Marseille au début des années quatre-vingt-dix, il a déjà cette immense culture musicale, ces liens avec des artistes que l’on retrouvera sur les plateaux de la Fiesta et cette envie de casser les codes, d’ouvrir des espaces, de faire partager ses découvertes et ses plaisirs.
Un chef de bande
Bernard Aubert n’est pas un génie solitaire qui aurait sorti de son cerveau, le concept de la Fiesta du Sud. C’est un chef de bande. De Nîmes À Marseille, Il associe des talents improbables qui vont fabriquer un succès inattendu dans son ampleur. Pas d’organigramme savant dans ce team comme on dirait aujourd’hui.

Nul ne sait qui a inventé quoi et les revendications post mortem feraient sourire Bernard. Le collectif est éruptif, parfois volcanique souvent conflictuel, mais créatif et chaleureux ! En 1992, ils sont une petite équipe, qui se réunissent de temps en temps dans les locaux de Sudreporters sur la Canebière (dont Jean-Yves Delattre était le photographe et qui faisait partie de la bande) : impossible d’imaginer alors que de ces palabres interminables, de ces éclats de rire, de ces coups de gueule sortirait une manifestation qui va changer l’image de Marseille.
Ni un festival, ni un concert,… judicieusement la fête, la fiesta
La Joliette n’est pas encore une place tendance ; seuls s’y retrouvent des chauffeurs poids-lourds qui avalent un sandwich omelette frites ou un pan-bagnat. Les docks sentent encore l’arachide et les produits exotiques, les rats en sont les seuls habitants. Michel Kester qui vient de prendre les rênes de Nexity, propriétaire de hasard des lieux, leur en ouvre les portes. Ils concoctent ce qui n’est ni un festival, ni un concert, et qui s’intitule judicieusement la fête, la fiesta.

À la surprise de Bernard lui-même, la première édition est déjà un succès incroyable : plusieurs milliers de Marseillais sont au rendez-vous. “Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine” disait le grand Timonier. La Fiesta est un succès, comme si les Marseillais attendaient ce lieu et ce temps. Ça match entre une ville qui se réveille, s’ébroue, sort de ses années post-coloniales et cette bande créative qui fait passer la culture latino de la rive droite à la rive gauche du Rhône. « Nous avons fait la fiesta dans l’audace, la folie et le plaisir. On s’est beaucoup amusé » se souvient un ancien.
L’esprit féria déporté

L’aventure commence ainsi ; elle va perdurer avec cette identité étonnante inspirée des ferias. Pas dans leur aspect tauromachique, encore que le club taurin Paul Ricard ait toujours sa plaque dans la bodega, mais dans cette déambulation qui fait des spectateurs les propres auteurs de leur expérience. Cet espace clos est sécurisé (le public féminin y est en sûreté), mais il offre le paradoxe d’être à la fois fermé et totalement libre, avec un esprit de labyrinthe qui permet toutes les rencontres. Un rendez-vous urbain intrinsèquement marseillais, ouvert aux métissages en créant des rendez-vous communautaires improbables, en suscitant du lien et de la connivence avec les gens.
L’audace et la folie
La programmation est évidemment facteur d’attraction. Chaque fiesta propose sa, ou ses locomotives. Mais surtout Bernard Aubert a eu le flair, le talent, l’intelligence de détecter des groupes, des chanteurs et chanteuses en émergence. La peña traverse les allées, la scène s’ouvre aux talents locaux et les artistes gardent de leur passage un souvenir inégalé. Il panache ces novations avec ses nostalgies et fait venir des stars des années soixante-dix, comme Richie Havens, qui réconcilient jeunes et soixante-huitards.

Cette scène ouverte aux musiques du monde va permettre l’organisation d’un marché, Babel Med devenu Babel Music XP le rendez-vous incontournable et vital des musiques du monde.
Dommage, la Fiesta n’a jamais fait partie du projet d’aménagement global de cet arrière-port
Si aujourd’hui les hommages se ramassent à la pelle, la Fiesta a passé ces trente années en état de survie perpétuelle, mise en danger chaque année, par les déménagements contraints, les aléas des politiques publiques, les humeurs des uns et des autres. Cette équipe a mis à la mode Euroméditerrranée qui était un quartier miséreux et maudit, mais elle n’a jamais fait partie du projet d’aménagement global de cet arrière-port. Dommage, les promoteurs lui doivent beaucoup. Condamnée à l’errance, elle a dû se réinventer et Bernard Aubert était en train, avec l’équipe fondatrice de passer le relais à ceux qui sont aux manettes. Pour transmettre l’audace et la folie qui font les belles aventures.

Les obsèques de Bernard Aubert auront lieu au crématorium du cimetière Saint-Pierre à Marseille à 17h samedi 19 août.
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