Pour être Marocain, Tahar Ben Jelloun connait bien le Sud. En tout cas un de ses livres résume à lui tout seul le psychodrame qui a secoué la diaspora républicaine de Provence Alpes Côte d’Azur, cette semaine. Dans « Eloge de l’amitié : ombre de la trahison », le prix Goncourt 1987, affirme ainsi que « la politique dénature et ruine l’amitié ». Jusqu’à présent comme Antoine de Saint-Exupéry on pensait que « s’aimer c’est regarder ensemble dans la même direction ». Force est de constater que, chez Les Républicains, beaucoup sont atteints de strabisme divergent. Ce serait regrettable, si cela n’était pas en plus pathétique, et terriblement profitable à ceux qui, depuis plus de quarante ans, sapent, avec une infatigable pugnacité, les fondements de la démocratie.
Donc on aura compris, lors de ses journées des longs couteaux, que Christian Jacob était l’ami de Renaud Muselier, que celui-ci le fut de Thierry Mariani, que Christian Estrosi partagea le même lien avec Eric Ciotti… que des amis on vous dit. Et puis l’haleine fétide de la haine est venue embuer les objectifs des caméras, accourues filmer la curée. A décrypter les déclarations ou les vociférations des uns et des autres, on a vite pu mesurer les abysses qui séparaient désormais ceux qui furent, promis jurés, des amis.
Thierry Mariani a immigré au RN, pour s’être vu refuser par son parti Les Républicains, un siège aux dernières élections européennes. Il vient de désigner ceux qui, selon lui, ont encore une « colonne vertébrale » chez ses anciens amis et sont donc compatibles avec les lepénistes. Et de citer Eric Ciotti, Guillaume Peltier et Nadine Morano. On aura compris avec ces trois-là, qu’il s’agit plutôt de désigner leur scoliose idéologique, cette déviation sinueuse qui les fait pencher dangereusement vers l’extrême droite.
Pour le député de Nice, Eric Ciotti, que Les Républicains ont choisi, sans rire, pour présider leur commission d’investiture, ce n’est pas une surprise. Le Canard Enchaîné révèle, dans sa dernière livraison, qu’il a bénéficié en 2017 de la complaisance du parti de Mme Le Pen pour sauver son siège à l’Assemblée. Pour Guillaume Peltier, on ne sera pas plus étonné puisque le fringuant jeune homme milita chez Jean-Marie Le Pen, où il était chargé par Samuel Maréchal, le père de Marion, de recruter les jeunes catholiques traditionnalistes. Puis chez Bruno Mégret dont on n’a pas oublié l’extravagant passage à Vitrolles. Enfin faut-il s’interroger de retrouver dans ce trio, Nadine Morano, dont les répliques radio-télévisées semblent tout droit sorties de la dernière version des Tuches, version fachosphère ?
Mariani qui soutient à l’international les régimes les plus liberticides – Poutine et Assad notamment – laboure au national et au régional les terres qu’a ensemencées la famille Le Pen, et il sait pouvoir compter sur des membres de LR, pour parier sur des moissons fécondes.
« Si le maire de Troyes, mettait autant de force à condamner ceux dont le champ sémantique recoupe, au mot près, celui de Mme Le Pen »
Hervé Nedelec
Et Renaud Muselier dans tout cela ? Petit-fils de marin, il a tangué sans rompre dans la tempête. Dire qu’il a été dupe de la tentative amicale d’Emmanuel Macron de déstabiliser un peu plus sa famille, en anticipant, par la voix de Jean Castex, une alliance qui de toute façon sera indispensable au second tour des régionales, serait audacieux. Comme le maire de Nice, ou celui de Toulon, Hubert Falco, Muselier pressent que la future présidentielle sera un chemin de croix pour Les Républicains. Le président de la Région a sans doute été amusé, lorsqu’un de ses contempteurs du moment – encore un ami – François Baroin lui a reproché de « tirer une balle dans la tête » de son parti, en flirtant avec la Macronie. Si le maire de Troyes, mettait autant de force à condamner ceux qui, au LR, font jour après jour litière au FN – à commencer par Ciotti dont le champ sémantique recoupe, au mot près, celui de Mme Le Pen – on serait rassuré.
Renaud Muselier se retrouve donc au centre du débat à venir. L’ancien karatéka sait que tout se jouera sur sa capacité à défendre un bilan que l’Europe et l’Etat ont encouragé de leurs aides, et à attaquer un adversaire dont les zones d’ombre inquiétantes sont pour l’heure masquées par les gesticulations d’un état-major républicain à l’inconsistance crasse.
Son salut viendra peut-être d’une partie de la gauche qui a choisi de confier sa destinée à Jean-Laurent Felizia, un écologiste lavandourain dont la notoriété se limite à l’horizon des îles d’Or. Divisée dans la perspective de la Présidentielle, elle se présentera affaiblie, à ce que les observateurs désignent, comme le vrai premier tour du scrutin de 2022. Ses voix compteront pourtant au second tour pour ressusciter un front républicain que l’on dit obsolète, à moins qu’elle ne choisisse l’abstention ou le vote blanc, comme le préconisaient 65% des Insoumis en 2017.
En prônant une large ouverture au-delà de ses amis, Muselier prépare de fait un accord à venir avec LREM, même si sa tête de liste Sophie Cluzel secrétaire d’Etat regrette qu’il ait cédé à des « apparatchiks » parisiens. L’amitié a ses raisons et ses déraisons.