« Gouverner, c’est faire croire ». Ainsi parlait le prince Machiavel. Ainsi pense peut-être Jean-Claude Gaudin qui, à la veille d’abandonner – conformément à la loi contre le cumul des mandats – la vice-présidence du Sénat, laisse à croire qu’il fera de même pour son fauteuil de maire, avant 2020. Il désigne, ou il désignerait, on ne sait plus très bien, Martine Vassal pour lui succéder à la présidence de la Métropole et Bruno Gilles pour la mairie. La gauche qui a oublié qu’elle était ici l’héritière d’un manœuvrier hors pair – Gaston Defferre – se dit offusquée par la manière peu démocratique de M. Gaudin. La droite, ce n’est pas une surprise, se déchire, tout en muscle avec Renaud Muselier, mezzo voce avec Guy Teissier. Ils pourraient se consoler auprès de Philippe San Marco et Michel Pezet qui ont vécu, du temps de « Gaston », pareille mésaventure. Les trimestres à venir s’annoncent aussi turbulents qu’un ouragan. Il est à prévoir un bilan humain lourd dans le camp des Républicains qui n’avait pas besoin de cette nouvelle épreuve, alors qu’ils entament la bataille de la présidence de leur formation politique. Tous nos Marseillais devraient se rapprocher de l’ex-député Christian Kert, qui prépare une biographie sur Mirabeau. Le tribun affirmait « qui avance d’une marche lente ne fait que des pas sûrs ». Jusqu’à ce mois de septembre, Jean-Claude Gaudin allait au train de sénateur. Ces confidences estivales ont accéléré le mouvement mais attention, un faux-départ est toujours possible.
Ouvrir le parapluie c’est bien…
La météorologie s’est invitée avec férocité dans notre actualité. Les images des Antilles dévastées frappent les esprits. Pour combien de temps ? Et voit-on le cœur du questionnement avec la même acuité que nous regardons l’œil d’Irma, l’ouragan ? Les Claude Allègre, climatosceptiques ou climato-négationnistes sont plus discrets et quelques vérités s’imposent. Le réchauffement climatique est là. Patent. La cause est l’activité humaine. Particulièrement dans nos métropoles où on continue à brûler des hydrocarbures et à saturer l’atmosphère. Une ville et une région comme Marseille participent lourdement à cette pollution. Les politiques agissent à leur rythme et avec leur moyen. L’Etat et l’Europe prodiguent des recommandations, mais peu de solutions concrètes s’imposent. Les citoyens sont attristés par la situation, mais ne changeraient pas pour tout l’or (noir) du monde leurs habitudes. Il y a peu de chance qu’on soit frappé sur nos côtés méditerranéennes par des ouragans, nous disent les scientifiques. Mais les phénomènes « Cévenol » comme à Nîmes, Vaison, Marseille au tournant des années 2000, Draguignan… vont se multiplier. Comme les Gaulois on dira que le ciel est tombé sur nos têtes. Et les druides contemporains continueront à prêcher dans le vide.
Belle comme l’antique
Eugène Caselli lui-même s’est ému. C’est dire. On va réduire la carrière antique de la Corderie à la portion congrue. Jean-Claude Gaudin et les promoteurs immobiliers concernés se frottent les mains. 120 appartements de standing vont être ainsi mis en vente. Françoise Nyssen, ministre de la Culture, a écouté les experts de l’archéologie qui ont décrypté la valeur scientifique de ce patrimoine grec foulé jusqu’ici par des piétons sous-informés. Le maire assure que Marseille a toujours eu le souci de sauvegarder les traces de son passé. L’ancien professeur d’histoire a la mémoire un peu courte et il faut rappeler que le jardin des vestiges du Centre Bourse ne doit son existence qu’à une levée de boucliers de citoyens, plus érudits alors que le maire cévenol de l’époque, Gaston Defferre. Ceux qui aujourd’hui se passionnent pour le site découvert au pied de la colline de Notre Dame de la Garde, devraient unir leurs forces pour étudier comment la cité gère son passé en dehors d’événements comme la commémoration des 2600 ans. Ils seront vraisemblablement déçus par le peu d’appétence des Marseillais à leur histoire. Leurs voisins, les Aixois ne sont pas plus exemplaires. L’oppidum d’Entremont et ses 3,5 hectares de vestiges Celto-Ligures ne doit sa notoriété qu’à l’énergie d’une association (Association archéologique Entremont). C’est sans doute parce qu’elle est Arlésienne que Mme Nyssen sait distinguer une ville, Arles belle comme l’antique, de Marseille.
Aux armes Arlésiens…
Les confidences de Gaudin sur sa succession à la Métropole et à la mairie ont eu un effet tellurique. La secousse a été ressentie jusqu’en Arles, où l’on s’inquiète de voir Martine Vassal diriger un jour une métropole marseillaise qui ressemblerait à s’y méprendre au département. Les Arlésiens, à raison, rappellent un certain nombre de leurs spécificités. Le pays d’Arles ce sont des petites communes, une cité portée par sa culture contemporaine (Festival de la photo, tauromachie…) et antique, au dynamisme incontesté, un tissu de TPE et PME dense, un tourisme vivant en saison et hors saison. Une foule d’atouts que les élus, toutes étiquettes confondues, entendent préserver. Mme Vassal, présidente du conseil départemental, a entendu les inquiétudes et perçu, à la veille des sénatoriales, le danger que faisaient peser les supputations politiques marseillaises. Pour autant il faudra bien avancer un jour pour prendre en compte la problématique arlésienne. Si le Rhône reste encore pour beaucoup une limite infranchissable, Arles profite de sa proximité immédiate d’une grande voisine Nîmes qui n’appartient ni au 13 ni à la région Paca. Comme la ville- chère à Van Gogh, Frédéric Mistral ou Yvan Audouard – est connectée avec la nordique et vauclusienne Avignon. Ce triangle-là, c’est tout sauf l’Arlésienne.
La sélection par l’usure
Comme un serpent de mer revient en ces heures de rentrées scolaire et universitaire le mot qui fait trembler les syndicats étudiants comme la gauche bien-pensante : « sélection ». En droit, en médecine en sciences humaines, les chiffres l’attestent, la première année est une « boucherie » selon l’expression d’un étudiant. La faute à l’orientation, aux amphis surchargés, aux enseignements, expliquent plus ou moins doctement les « sachants ». Pour autant, on laisse, à Aix-Marseille comme ailleurs, des générations entières se fracasser sur des écueils parfaitement identifiables. Des études plus fines révèlent aussi que ce sont les étudiants issus des couches sociales les moins favorisées qui forment les bataillons de victimes. Le mot « excellence » a beaucoup été utilisé par le pouvoir universitaire, tant au plan de la communication que pour identifier des identités performantes. Il faudrait l’appliquer à l’accueil, l’encadrement, les conditions de vie et de transports des étudiants. Ce serait « excellent ».
La fabrique d’image
Notre confrère Philippe Pujol est un essayiste heureux. Son livre « La Fabrique du monstre » est désormais accessible en livre de poche, mais il va également être traduit en allemand. On peut se réjouir pour lui-même, comme on peut être chagrin de voir cette image (réaliste) de Marseille gagner l’outre-Rhin. Nos amis allemands sont heureusement férus de culture et ils penseront peut-être à regarder la cité phocéenne par un autre bout de la lorgnette. Plus littéraire, comme l’évocation de la Canebière par Heinrich Mann, le frère aîné de Thomas, qui avait en son temps succombé au charme en désordre de cette ville singulière. Un peu à la manière de Gustave Flaubert qui confiait ainsi son enthousiasme : « On y sent je ne sais quoi d’oriental, on y marche à l’aise, on respire content, la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière ». Ah ! « Respirer content » le soir, à la brune, sur un parking presqu’île de la corniche, quoi de mieux ? Et peut-être comme Simone de Beauvoir nommée pour son premier poste d’enseignante au Lycée Montgrand, dévaler l’escalier de la gare St Charles et se laisser porter ? « Je me mis à descendre l’escalier ; je m’arrêtais à chaque marche (il y en a cent quatre et sept paliers), émue par ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces trottoirs qui peu à peu allaient se révéler à moi et me révéler à moi-même. »